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AMITIÉ AMOUREUSE

Publié le 11/08/2011

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La mer est très belle, très chatoyante quand on la regarde de la corniche : elle est glauque sur les bords, mariant le bleu du ciel au vent lustré des cocotiers et des palmiers de la côte, et frangée d'écume, frangée déjà d'irisations; au-delà, elle est comme entièrement nacrée. Les îlots à cocotiers qu'on aperçoit au loin dans une lumière légèrement voilée, vaporeuse, ont une tonalité si douce, si délicate, qu'on en a l'âme comme transportée. Et puis il vient du large une brise qui, bien que faible, ne rompt pas moins la chaleur d'étuve de la ville. - On respire! disais-je. Enfin, on respire! - Oui, disait Marie. - Tu vois ces îlots, là-bas? Je parie qu'on y doit mieux respirer encore que sur la corniche. - Sûrement! disait Marie. - Tu n'aimerais pas y aller? - Où disait-elle. Dans les îlots? Mais il y a la mer! (...) - Nous pourrions demander à des pêcheurs de nous y conduire, disais-je. - Pourquoi le leur demander? disait Marie. Tu n'as pas besoin d'eux pour y aller, tu n'as même pas besoin de barque : il te suffit de regarder! Si tu regardes les îlots longtemps, si tu peux en regarder un sans ciller, le regarder assez longtemps pour le voir trembler, c'est comme si tu avais abordé : tu es dans l'îlot! - Tu crois? - Ecoute! Tu peux même entendre le passage de la brise dans les cocotiers; tu peux entendre le frémissement des cocotiers. Mais c'était au-dessus de nous, c'était au sommet des cocotiers plantés en bordure de la côte que la brise passait, c'étaient seulement les palmes de nos cocotiers qui frémissaient. Et l'enchantement brusquement cessait : nous éclations de rire. De quoi parlions-nous encore? De l'école évidemment : nous échangions les derniers potins de nos écoles; peut-être aussi évoquions-nous des souvenirs, peut-être parlais-je de Kouroussa 1 et de mes séjours à Tindican 2. Mais encore? Je ne sais pas, je ne sais plus. Sans doute ne nous cachions-nous rien, sauf notre amitié, sauf nos cœurs; nos cœurs qui étaient comme les îlots que nous regardions frémir au loin dans une lumière voilée : nous pouvions nous y transporter par la pensée, nous ne devions pas les aborder par la parole. Notre amitié était en nous, enfouie au plus profond de nous. Il fallait qu'elle demeurât secrète : une parole, une seule parole peut-être l'eût effarouchée; une parole aussi l'eût presque immanquablement transformée, et nous n'attendions point qu'elle se transformât : nous l'aimions telle qu'elle était. Il pourra sembler ainsi qu'il y avait tout et rien entre nous; mais non! il y avait tout, et il n'y avait rien : personne n'a jamais été si proche de mon cœur que Marie, personne ne vivait dans mon cœur comme Marie! Camara LAYE. L'enfant noir. Ed. Plon, 1953.

1. La ville où vivent ses parents. 2. Village où il passait ses vacances.

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