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Bakounine, « Qu'est-ce que l'autorité ? »

Publié le 14/04/2013

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La pensée anarchiste est opposé à toute forme d’autorité. Pourtant, c’est en démontant le processus des autorités existantes que l’anarchisme s’impose au milieu du XIXe siècle. Dans cet extrait tiré de Dieu et l’État, ouvrage publié en 1882 sous un titre posthume et provocateur, Mikhaïl Bakounine définit la liberté de l’Homme et tente de résoudre le paradoxe anarchiste : Comment accepter les contraintes extérieures à l’Homme, alors que l’anarchisme les rejette ? Comment reconstruire l’autorité sur la base de la volonté individuelle autonome ?

« Qu’est-ce que l’autorité ? « de Bakounine

 

Qu’est-ce que l’autorité ? Est-ce la puissance inévitable des lois naturelles qui se manifestent dans l’enchaînement et dans la succession fatale des phénomènes du monde physique et du monde social ? En effet, contre ces lois, la révolte est non seulement défendue, mais elle est encore impossible. Nous pouvons les méconnaître ou ne point encore les connaître, mais nous ne pouvons pas leur désobéir, parce qu’elles constituent la base et les conditions même de notre existence : elles nous enveloppent, nous pénètrent, règlent tous nos mouvements, nos pensées et nos actes ; alors même que nous croyons leur désobéir, nous ne faisons autre chose que manifester leur toute-puissance.

 

 

Oui, nous sommes absolument les esclaves de ces lois. Mais il n’y a rien d’humiliant dans cet esclavage. Car l’esclavage suppose un maître extérieur, un législateur qui se trouve en dehors de celui auquel il commande ; tandis que ces lois ne sont pas en dehors de nous ; elles nous sont inhérentes, elles constituent notre être, tout notre être, corporellement, intellectuellement et moralement : nous ne vivons, nous ne respirons, nous n’agissons, nous ne pensons, nous ne voulons que par elles. En dehors d’elles, nous ne sommes rien, nous ne sommes pas. D’où nous viendraient donc le pouvoir et le vouloir de nous révolter contre elles ?

 

 

Vis-à-vis des lois naturelles, il n’est pour l’homme qu’une seule liberté possible : c’est de les reconnaître et de les appliquer toujours davantage, conformément au but d’émancipation ou d’humanisation collective et individuelle qu’il poursuit. Ces lois, une fois reconnues, exercent une autorité qui n’est jamais discutée par la masse des hommes. Il faut, par exemple, être au fond ou un théologien, ou pour le moins un métaphysicien, un juriste, ou un économiste bourgeois, pour se révolter contre cette loi, d’après laquelle deux et deux font quatre. Il faut avoir la foi pour s’imaginer qu’on ne brûlera pas dans le feu et qu’on ne se noiera pas dans l’eau, à moins qu’on n’ait recours à quelque subterfuge, qui est encore fondé sur quelque autre loi naturelle. Mais ces révoltes, ou plutôt ces tentatives ou ces folles imaginations d’une révolte impossible, ne forment qu’une exception assez rare ; car, en général, on peut dire que la masse des hommes, dans la vie quotidienne, se laissent gouverner par le bon sens, ce qui veut dire par la somme des lois naturelles généralement reconnues, d’une manière à peu près absolue.

 

 

Le malheur, c’est qu’une grande quantité de lois naturelles, déjà constatées comme telles par la science, restent inconnues aux masses populaires, grâce aux soins de ces gouvernements tutélaires qui n’existent, comme on le sait, que pour le bien des peuples.

 

 

Il est, en outre, un inconvénient grave : c’est que la majeure partie des lois naturelles, qui sont liées au développement de la société humaine et qui sont tout aussi nécessaires, invariables, que les lois qui gouvernent le monde physique, n’ont pas été dûment constatées et reconnues par la science elle-même. Une fois qu’elles auront été reconnues par la science, et que de la science, au moyen d’un large système d’éducation et d’instruction populaire, elles auront passé dans la conscience de tous, la question de la liberté sera parfaitement résolue. Les autorités les plus récalcitrantes doivent admettre qu’alors il n’y aura besoin ni d’organisation, ni de direction, ni de législation politiques, trois choses qui émanent de la volonté du souverain ou de la votation d’un parlement élu par le suffrage universel, ne peuvent jamais être conformes aux lois naturelles, et sont toujours également funestes et contraires à la liberté des masses, par cela seul qu’elles leur imposent un système de lois extérieures, et par conséquent despotiques.

 

 

La liberté de l’homme consiste uniquement en ceci : qu’il obéit aux lois naturelles, parce qu’il les a reconnues lui-même comme telles, et non parce qu’elles lui ont été extérieurement imposées par une volonté étrangère, divine ou humaine, collective ou individuelle quelconque.

 

 

Source : Dubief (Henri), les Anarchistes (1870-1940), Paris, Armand Colin, 1972.

 

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