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Bloch, la Société féodale (extrait)

Publié le 13/04/2013

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Historien des mentalités, spécialiste d’histoire médiévale, fondateur avec Lucien Febvre de la revue les Annales d’histoire économique et sociale (1929), Marc Bloch publie, en 1939, la Société féodale, ouvrage qui présente une synthèse des connaissances sur l’organisation sociale au Moyen Âge. Son étude se fonde sur les conditions économiques et démographiques de l’époque pour expliquer les attitudes morales ou affectives — démarche que Lucien Febvre jugera trop sociologique. Dans cet extrait, qui récapitule les caractères fondamentaux de la féodalité européenne, sont cités les ordres constitutifs de la société féodale, fondée sur l’inégalité : les serfs, sous la dépendance des seigneurs, les moines et les guerriers.

« Les caractères fondamentaux de la féodalité européenne «

 

Le plus simple sera sans doute de commencer par dire ce que cette société n’était pas. Bien que les obligations nées de la parenté y fussent conçues comme très vigoureuses, elle ne se fondait pas tout entière sur le lignage. Plus précisément, les liens proprement féodaux n’avaient de raison d’être que parce que ceux du sang ne suffisaient pas. D’autre part, malgré la persistance de la notion d’une autorité publique superposée à la foule des petits pouvoirs, la féodalité coïncida avec un profond affaiblissement de l’État, notamment dans sa fonction protectrice. Mais la société féodale n’était pas seulement différente et d’une société de parentèles et d’une société dominée par la force de l’État. Elle venait après des sociétés ainsi constituées et portait leur empreinte. Les rapports de dépendance personnelle qui la caractérisaient gardaient quelque chose de la parenté artificielle qu’avait été, à beaucoup d’égards, le primitif compagnonnage et, parmi les droits de commandement exercés par tant de menus chefs, une bonne part faisait figure de dépouilles arrachées à des puissances « régaliennes «.

 

 

C’est donc comme le résultat de la brutale dissolution de sociétés plus anciennes que se présente la féodalité européenne. Elle serait, en effet, inintelligible sans le grand bouleversement des invasions germaniques qui, forçant à se fusionner deux sociétés originellement placées à des stades très différents de l’évolution, rompit les cadres de l’une comme de l’autre et fit revenir à la surface tant de modes de pensée et d’habitudes sociales d’un caractère singulièrement primitif. Elle se constitua définitivement dans l’atmosphère des dernières ruées barbares. Elle supposait un profond ralentissement de la vie de relations, une circulation monétaire trop atrophiée pour permettre un fonctionnariat salarié, une mentalité attachée au sensible et au proche. Quand ces conditions commencèrent à changer, son heure commença de passer.

 

 

Elle fut une société inégale, plutôt que hiérarchisée : de chefs, plutôt que de nobles ; de serfs, non d’esclaves. Si l’esclavage n’y avait pas joué un rôle aussi faible, les formes de dépendance authentiquement féodales, dans leur application aux classes inférieures, n’auraient pas eu lieu d’exister. Dans le désordre général, la place de l’aventurier était trop grande, la mémoire des hommes trop courte, la régularité du classement social trop mal assurée pour permettre la stricte constitution de castes régulières.

 

 

Pourtant, le régime féodal supposait l’étroite sujétion économique d’une foule d’humbles gens envers quelques puissants. Ayant reçu des âges antérieurs la villa déjà seigneuriale du monde romain, la chefferie de village germanique, il étendit et consolida ces modes d’exploitation de l’homme par l’homme et, joignant en un inextricable faisceau de droit à la rente du sol avec le droit au commandement, fit de tout cela véritablement la seigneurie. Au profit d’une oligarchie de prélats ou de moines, chargés de rendre le Ciel propice. Au profit, surtout, d’une oligarchie de guerriers.

 

 

Source : Bloch (Marc), la Société féodale, Paris, Albin Michel, 1968.

 

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