CALIGULA Non. Appelons les choses par leur nom : tu crains que je ne t'empoisonne. Tu me soupçonnes. Tu m'épies. MEREIA Mais non, par tous les dieux ! CALIGULA Tu me suspectes. En quelque sorte, tu te défies de moi. MEREIA Caïus CALIGULA, rudement. Réponds-moi. (Mathématique.) Si tu prends un contrepoison, tu me prêtes par conséquent l'intention de t'empoisonner. MEREIA Oui.... je veux dire... non. CALIGULA Et dès l'instant où tu crois que j'ai pris la décision de t'empoisonner, tu fais ce qu'il faut pour t'opposer à cette volonté. Silence. Dès le début de la scène, Caesonia et Cherea ont gagné le fond. Seul, Lepidus suit le dialogue d'un air angoissé. De plus en plus précis. Cela fait deux crimes, et une alternative dont tu ne sortiras pas : ou bien je ne voulais pas te faire mourir et tu me suspectes injustement, moi, ton empereur. Ou bien je le voulais, et toi, insecte, tu t'opposes à mes projets. (Un temps. Caligula contemple le vieillard avec satisfaction.) Hein, Mereia, que is-tu de cette logique ? MEREIA Elle est..., elle est rigoureuse, Caïus. Mais elle ne s'applique pas au cas. CALIGULA Et, troisième crime, tu me prends pour un imbécile. Écoute-moi bien. De ces trois crimes, un seul est honorable pour toi, le second - parce que dès l'instant où tu me prêtes une décision et la contrecarres, cela implique une révolte chez toi. Tu es un meneur d'hommes, un révolutionnaire. Cela est bien. (Tristement.) Je t'aime beaucoup, Mereia. C'est pourquoi tu seras condamné pour ton second crime et non pour les autres. Tu vas mourir virilement, pour t'être révolté. Pendant tout ce discours, Mereia se rapetisse peu à peu sur son siège. Ne me remercie pas. C'est tout naturel. Tiens. (Il lui tend une fiole et aimablement.) Bois ce poison. Mereia, secoué de sanglots, refuse de la tête. S'impatientant. Allons, allons. Mereia tente alors de s'enfuir. Mais Caligula, d'un bond sauvage, l'atteint au milieu de la scène, le jette sur un siège bas et, après une lutte de quelques instants, lui enfonce la fiole entre les dents et la brise à coups de poing. Après quelques soubresauts, le visage plein d'eau et de sang, Mereia meurt. Caligula se relève et s'essuie machinalement les mains. A Caesonia, lui donnant un fragment de la fiole de Mereia. Qu'est-ce que c'est ? Un contrepoison ? CAESONIA, avec calme. Non, Caligula. C'est un remède contre l'asthme. CALIGULA, regardant Mereia, après un silence. Cela ne fait rien. Cela revient au même. Un peu plus tôt, un peu plus tard... Il sort brusquement, d'un air affairé, en s'essuyant toujours les mains. SCÈNE XI LEPIDUS, atterré. Que faut-il faire ? CAESONIA, avec simplicité. D'abord, retirer le corps, je crois. Il est trop laid ! Cherea et Lepidus prennent le corps et le tirent en coulisse. LEPIDUS, à Cherea. Il faudra faire vite. CHEREA Il faut être deux cents. Entre le jeune Scipion. Apercevant Caesonia, il a un geste pour repartir. SCÈNE XII CAESONIA Viens ici. LE JEUNE SCIPION Que veux-tu ? CAESONIA Approche. Elle lui relève le menton et le regarde dans les yeux. Un temps. Froidement. Il a tué ton père ? LE JEUNE SCIPION Oui. CAESONIA Tu le hais ? LE JEUNE SCIPION Oui. CAESONIA Tu veux le tuer ? LE JEUNE SCIPION Oui. CAESONIA, le lâchant. Alors, pourquoi me le dis-tu ? LE JEUNE SCIPION Parce que je ne crains personne. Le tuer ou être tué, c'est deux façons d'en finir. D'ailleurs, tu ne me trahiras pas. CAESONIA Tu as raison, je ne te trahirai pas. Mais je veux te dire quelque chose - ou plutôt, je voudrais parler à ce qu'il y a de meilleur en toi.