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c'était arrivé.

Publié le 31/10/2013

Extrait du document

c'était arrivé. Le colonel ne bronchait toujours pas, je le regardais recevoir, sur le talus, des petites lettres du général qu'il déchirait ensuite menu, les ayant lues sans hâte, entre les balles. Dans aucune d'elles, il n'y avait donc l'ordre d'arrêter net cette abomination ? On ne lui disait donc pas d'en haut qu'il y avait méprise ? Abominable erreur ? Maldonne ? Qu'on s'était trompé ? Que c'était des manoeuvres pour rire qu'on avait voulu faire, et pas des assassinats ! Mais non ! Voyage au bout de la nuit « Continuez, colonel, vous êtes dans la bonne voie ! « Voilà sans doute ce que lui écrivait le général des Entrayes, de la division, notre chef à tous, dont il recevait une enveloppe chaque cinq minutes, par un agent de la liaison, que la peur rendait chaque fois un peu plus vert et foireux. J'en aurais fait mon frère peureux de ce garçon-là ! Mais on n'avait pas le temps de fraterniser non plus. onc pas d'erreur? Ce qu'on faisait à se tirer dessus, comme ça, sans même se voir, n'était pas défendu ! Cela faisait artie des choses qu'on peut faire sans mériter une bonne engueulade. C'était même reconnu, encouragé sans doute par les gens sérieux, comme le tirage au sort, les fiançailles, la chasse à courre !... Rien à dire. Je venais de découvrir d'un coup la guerre tout entière. J'étais dépucelé. Faut être à peu près seul devant elle comme je l'étais à ce moment-là pour bien la voir la vache, en face et de profil. On venait d'allumer la guerre entre nous et ceux d'en face, et à présent ça brûlait ! Comme le courant entre les deux charbons, dans la lampe à arc. Et il n'était pas près de s'éteindre le charbon ! On y passerait tous, le colonel comme les autres, tout mariole qu'il semblait être et sa carne ne ferait pas plus de rôti que la mienne quand le courant d'en face lui passerait entre les deux épaules. Il y a bien des façons d'être condamné à mort. Ah ! combien n'aurais-je pas donné à ce moment-là pour être en prison au lieu d'être ici, moi crétin ! Pour avoir, par exemple, quand c'était si facile, prévoyant, volé quelque chose, quelque part, quand il en était temps encore. On ne pense à rien ! De la prison, on en sort vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c'est des mots. Si seulement j'avais encore eu le temps, mais je ne l'avais plus ! Il n'y avait plus rien à voler ! Comme il ferait bon dans une petite prison pépère, que je me disais, où les balles ne passent pas ! Ne passent jamais ! J'en connaissais une toute prête, au soleil, au chaud! Dans un rêve, celle de Saint-Germain précisément, si proche de la forêt, je la connaissais bien, je passais souvent par là, autrefois. Comme on change ! J'étais un enfant alors, elle me faisait peur la prison. C'est que je ne connaissais pas encore les hommes. Je ne croirai plus jamais à ce qu'ils disent, à ce qu'ils pensent. C'est des hommes et d'eux seulement qu'il faut avoir peur, toujours. Combien de temps faudrait-il qu'il dure leur délire, pour qu'ils s'arrêtent épuisés, enfin, ces monstres ? Combien de temps un accès comme celui-ci peut-il bien durer ? Des mois ? Des années ? Combien ? Peut-être jusqu'à la mort de Voyage au bout de la nuit tout le monde, de tous les fous ? Jusqu'au dernier ? Et puisque les événements prenaient ce tour désespéré je me écidais à risquer le tout pour le tout, à tenter la dernière démarche, la suprême, essayer, moi, tout seul, d'arrêter la guerre ! Au moins dans ce coin-là où j'étais. Le colonel déambulait à deux pas. J'allais lui parler. Jamais je ne l'avais fait. C'était le moment d'oser. Là où nous en étions il n'y avait presque plus rien à perdre. « Qu'est-ce que vous voulez ? « me demanderait-il, j'imaginais, très surpris bien sûr par mon audacieuse interruption. Je lui expliquerais alors les choses telles que je les concevais. On verrait ce qu'il en pensait, lui. Le tout c'est qu'on s'explique dans la vie. A deux on y arrive mieux que tout seul. J'allais faire cette démarche décisive quand, à l'instant même, arriva vers nous au pas de gymnastique, fourbu, dégingandé, un cavalier à pied (comme on disait alors) avec son casque renversé à la main, comme Bélisaire4, et puis tremblant et bien souillé de boue, le visage plus verdâtre encore que celui de l'autre agent de liaison. Il bredouillait et semblait éprouver comme un mal inouï, ce cavalier, à sortir d'un tombeau et qu'il en avait tout mal au coeur. Il n'aimait donc pas les balles ce fantôme lui non plus ? Les prévoyait-il comme moi ? "Qu'est-ce que c'est ? « l'arrêta net le colonel, brutal, dérangé, en jetant dessus ce revenant une espèce de regard en cier. e le voir ainsi cet ignoble cavalier dans une tenue Bélisaire aussi peu réglementaire, et tout foirant d'émotion, ça le ourrouçait fort notre colonel. Il n'aimait pas cela du tout la peur. C'était évident. Et puis ce casque à la main surtout, omme un chapeau melon, achevait de faire joliment mal dans notre régiment d'attaque, un régiment qui s'élançait dans a guerre. Il avait l'air de la saluer lui, ce cavalier à pied, la guerre, en entrant. ous ce regard d'opprobre, le messager vacillant se emit au « garde-à-vous «, les petits doigts sur la couture du pantalon, comme il se doit dans ces cas-là. Il oscillait ainsi, aidi, sur le talus, la transpiration lui coulant le long de la jugulaire, et ses mâchoires tremblaient si fort qu'il en poussait es petits cris avortés, tel un petit chien qui rêve. On ne pouvait démêler s'il voulait nous parler ou bien s'il pleurait. os Allemands accroupis au fin bout de la route venaient justement de changer d'instrument. C'est à la Voyage au bout de la nuit mitrailleuse qu'ils poursuivaient à présent leurs sottises ; ils en craquaient comme de gros paquets d'allumettes et tout utour de nous venaient voler des essaims de balles ageuses, pointilleuses comme des guêpes. L'homme arriva tout de même à sortir de sa bouche quelque chose d'articulé. -- Le maréchal des logis Barousse vient d'être tué, mon colonel, qu'il dit tout d'un trait. Et alors? Il a été tué en allant chercher le fourgon à pain sur la route des Étrapes, mon colonel ! Et alors ? Il a été éclaté par un obus ! Et alors, nom de Dieu ! Et voilà ! Mon colonel... C'est tout ? Oui, c'est tout, mon colonel. Et le pain ? demanda le colonel. Ce fut la fin de ce dialogue parce que je me souviens ien qu'il a eu le temps de dire tout juste : « Et le pain ? « Et puis ce fut tout. Après ça, rien que du feu et puis du bruit vec. Mais alors un de ces bruits comme on ne croirait jamais qu'il en existe. On en a eu tellement plein les yeux, les reilles, le nez, la bouche, tout de suite, du bruit, que je croyais bien que c'était fini ; que j'étais devenu du feu et du bruit oi-même. t puis non, le feu est parti, le bruit est resté longtemps dans ma tête, et puis les bras et les jambes qui tremblaient omme si quelqu'un vous les secouait de par-derrière. Ils avaient l'air de me quitter et puis ils me sont restés quand ême mes membres. Dans la fumée qui piqua les yeux ncore pendant longtemps, l'odeur pointue de la poudre et du soufre nous restait comme pour tuer les punaises et les uces de la terre entière. out de suite après ça, j'ai pensé au maréchal des logis Barousse qui venait d'éclater comme l'autre nous l'avait appris. 'était une bonne nouvelle. Tant mieux ! que je pensais tout de suite ainsi : « C'est une bien grande harogne en moins dans le régiment ! « Il avait voulu me faire passer au Conseil pour une boîte de conserve. « Chacun sa uerre ! « que je me dis. De ce côté-là, faut en convenir, de temps en temps, elle avait l'air de servir à quelque chose la uerre ! J'en connaissais bien encore trois ou quatre dans le régiment, de sacrés ordures que j'aurais aidés bien volontiers trouver un obus comme Barousse. Voyage au bout de la nuit Quant au colonel, lui, je ne lui voulais pas de mal. Lui pourtant aussi il était mort. Je ne le vis plus, tout d'abord. C'est qu'il avait été déporté sur le talus, allongé sur le flanc par l'explosion et projeté jusque dans les bras du cavalier à pied, le messager, fini lui aussi. Ils s'embrassaient tous les deux pour le moment et pour toujours. Mais le cavalier n'avait plus sa tête, rien qu'une ouverture au-dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel avait son ventre ouvert, il en faisait une sale grimace. Ça avait dû lui faire du mal ce coup-là au moment où c'était arrivé. Tant pis pour lui ! Sil était parti dès les premières balles, ça ne lui serait pas arrivé. Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble. Des obus éclataient encore à la droite et à la gauche de la scène. J'ai quitté ces lieux sans insister, joliment heureux d'avoir un aussi beau prétexte pour foutre le camp. J'en chantonnais même un brin, en titubant, comme quand on a fini une bonne partie de canotage et qu'on a les jambes un peu drôles. « Un seul obus ! C'est vite arrangé les affaires tout de même avec un seul obus «, que je me disais. « Ah ! dis donc ! que je me répétais tout le temps. Ah ! dis donc !... « Il n'y avait plus personne au bout de la route. Les Allemands étaient partis. Cependant, j'avais appris très vite ce coup-là à ne plus marcher désormais que dans le profil des arbres. J'avais hâte d'arriver au campement pour savoir s'il y en avait d'autres au régiment qui avaient été tués en reconnaissance. Il doit y avoir des bons trucs aussi, que je me disais encore, pour se faire faire prisonnier !... Çà et là des morceaux de fumée âcre s'accrochaient aux mottes. « Ils sont peut-être tous morts à l'heure actuelle ? « que je me demandais. Puisqu'ils ne veulent rien comprendre à rien, c'est ça qui serait avantageux et pratique qu'ils soient tous tués très vite... Comme ça on en finirait tout de suite... On rentrerait chez soi... On repasserait peut-être place Clichy en triomphe... Un ou deux seulement qui survivraient... Dans mon désir... Des gars gentils et bien balancés, derrière le général, tous les autres seraient morts comme le colon... Comme Barousse... comme Vanaille... (une autre vache)... etc. On nous couvrirait de décorations, de fleurs, on

« venaient justement dechanger d’instrument.

C’estàla Voyage aubout delanuit mitrailleuse qu’ilspoursuivaient àprésent leurssottises ;ils en craquaient commedegros paquets d’allumettes ettout autour denous venaient volerdesessaims deballes rageuses, pointilleuses commedesguêpes. L’homme arrivatoutdemême àsortir desabouche quelque chosed’articulé. — Le maréchal deslogis Barousse vientd’être tué,mon colonel, qu’ildittout d’un trait. — Etalors? — Ilaété tué enallant chercher lefourgon àpain surlaroute desÉtrapes, moncolonel ! — Etalors ? — Ilaété éclaté parunobus ! — Etalors, nomdeDieu ! — Etvoilà !Mon colonel... — C’est tout? — Oui, c’est tout, moncolonel. — Etlepain ?demanda lecolonel. Ce fut lafin decedialogue parcequejeme souviens bien qu’ilaeu letemps dedire tout juste :« Et lepain ?» Et puis cefut tout.

Après ça,rien quedufeu etpuis dubruit avec.

Maisalors undeces bruits comme onnecroirait jamaisqu’ilenexiste.

Onenaeu tellement pleinlesyeux, les oreilles, lenez, labouche, toutdesuite, dubruit, quejecroyais bienquec’était fini;que j’étais devenu dufeu etdu bruit moi-même. Et puis non, lefeu estparti, lebruit estresté longtemps dansmatête, etpuis lesbras etles jambes quitremblaient comme siquelqu’un vouslessecouait depar-derrière.

Ilsavaient l’airdeme quitter etpuis ilsme sont restés quand même mesmembres.

Danslafumée quipiqua lesyeux encore pendant longtemps, l’odeurpointue delapoudre etdu soufre nousrestait comme pourtuerlespunaises etles puces delaterre entière. Tout desuite après ça,j’ai pensé aumaréchal deslogis Barousse quivenait d’éclater commel’autrenousl’avait appris. C’était unebonne nouvelle.

Tantmieux !que jepensais toutdesuite ainsi:« C’est unebien grande charogne enmoins danslerégiment !» Ilavait voulu mefaire passer auConseil pouruneboîte deconserve.

«Chacun sa guerre !» que jeme dis.

Dececôté-là, fautenconvenir, detemps entemps, elleavait l’airdeservir àquelque chosela guerre !J’en connaissais bienencore troisouquatre danslerégiment, desacrés ordures quej’aurais aidésbienvolontiers à trouver unobus comme Barousse. Voyage aubout delanuit Quant aucolonel, lui,jene luivoulais pasdemal.

Luipourtant aussiilétait mort.

Jene levis plus, toutd’abord.

C’estqu’il avait étédéporté surletalus, allongé surleflanc parl’explosion etprojeté jusquedanslesbras ducavalier à pied, lemessager, finiluiaussi.

Ilss’embrassaient touslesdeux pourlemoment etpour toujours.

Maislecavalier n’avait plus satête, rienqu’une ouverture au-dessusducou, avec dusang dedans quimijotait englouglous commedela confiture danslamarmite.

Lecolonel avaitsonventre ouvert, ilen faisait unesale grimace.

Çaavait dûluifaire dumal ce coup-là aumoment oùc’était arrivé.

Tantpispour lui!Sil était parti dèslespremières balles,çane luiserait pasarrivé. Toutes cesviandes saignaient énormément ensemble. Des obus éclataient encoreàla droite etàla gauche delascène. J’ai quitté ceslieux sansinsister, joliment heureux d’avoir unaussi beau prétexte pourfoutre lecamp.

J’enchantonnais mêmeunbrin, entitubant, commequandonafini une bonne partiedecanotage etqu’on ales jambes unpeu drôles.

«Un seul obus !C’est vitearrangé lesaffaires toutde même avecunseul obus »,que jeme disais.

«Ah ! dis donc !que jeme répétais toutletemps.

Ah!dis donc !...» Il n’y avait pluspersonne aubout delaroute.

Les Allemands étaientpartis.Cependant, j’avaisappristrèsvitececoup-là àne plus marcher désormais quedans leprofil des arbres.

J’avaishâted’arriver aucampement poursavoir s’ilyen avait d’autres aurégiment quiavaient ététués en reconnaissance.

Ildoit yavoir desbons trucs aussi, quejeme disais encore, poursefaire faireprisonnier !...Çàetlà des morceaux defumée âcres’accrochaient auxmottes.

«Ils sont peut-être tousmorts àl’heure actuelle ?» que jeme demandais.

Puisqu’ilsneveulent riencomprendre àrien, c’est çaqui serait avantageux etpratique qu’ilssoient toustués très vite...

Comme çaon enfinirait toutdesuite...

Onrentrerait chezsoi...

Onrepasserait peut-êtreplaceClichy en triomphe...

Unoudeux seulement quisurvivraient...

Dansmondésir...

Desgars gentils etbien balancés, derrièrele général, touslesautres seraient mortscomme lecolon...

Comme Barousse...

commeVanaille...

(uneautre vache)...

etc. On nous couvrirait dedécorations, defleurs, on. »

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