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Comment on tue une civilisation

Publié le 06/12/2011

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Il y a des civilisations qu'on tue. Les exemples ne manquent pas. Un des plus célèbres est celui des Etrusques, qui nous est proche. Voilà une population italienne, qui avait sa langue, sa culture, sa religion, sa littérature et son art et qui, sous les coups des Romains, disparaît en moins de deux siècles. On parlait encore l'étrusque au temps d'Auguste. On ne possède plus aujourd'hui ni le moindre texte ni le moindre dictionnaire étrusques. La même remarque vaut ailleurs. Quand les Espagnols vont au Mexique, ils se montrent d'abord très ouverts à la civilisation indienne qui les étonne justement comme le ferait ·ta découverte d'une autre galaxie, et puis, presque gratuitement, le respect qu'ils manifestaient à l'égard d'un peuple inconnu se transforme en haine, et ils détruisent tout.

« naît une consistance ; il existait, ou il avait e:irisié.

L'histoire n'était pas seulement celle des classes dirigeantes qui pensaient, qui écrivaient, qui fai­ saient l'art, qui décidaient du goût.

On comprit qu'il y avait aussi un art, une pensée, un goût popu­ laires, 9.ui ne correspondaient pas à ceux des élites.

La societé centralisatrice, de Louis XIV à la Répu­ blique, n'avait eu en tête que de détruire une culture qui n'était pas la sienne, qu'elle ne saisissait pas et qu'elle refusait.

Il existe deux courants parallèles, le premier datant de traditions préhistoriques, l'autre étant marqué par l'intellectualisation des classes dominantes.

Il est coutumier de dire que la Renais­ sance est à l'origine de la mort de l'art populaire.

Ce n'est pas vrai, pour la raison que celui-ci a continué à vivre longtemps encore et parce que les artistes de la renaissance ont toujours utilisé des traditions qui venaient de loin et qui n'avaient rien à voir avec la culture grecque ou avec celle de Rome.

Un Rabelais ou un Ronsard, un Botticelli sont autant marqués par la culture populaire que par celle des élites.

Il y a dans Rabelais tout un vocabulaire qui vient directement de la langue gau­ loise, heureusement conservée par les paysans de la Touraine, ce qui nous vaut aujourd'hui de connaître encore un peu du parler de nos aïeux.

Il a fallu la seconde époque industrielle, qui est la nôtre, avec ses débordements, pour qu'on com­ mence à prendre conscience d'une façon de vivre, d'une autre pensée.

Ce qu'on appelle abusivement l'écologie, parce que le mot a eté détourné de son vrai sens pour des raisons politiques, est la plus évidente expression d'un refus culturel.

Ce refus est mal fondé, dérisoire et discutable, mais il traduit un malaise; il faut bien qu'on retrouve, dans les HLM et le pétrole, une autre conception de l'homme, une autre image de la vie, une autre solution aux pro­ blèmes de la vie quotidienne.

Le refus du présent, la crainte de l'avenir ne sont pas forcément des solu­ tions, mais cela explique, en tout cas, le retour aux sources du passé, à cette culture qui était faite pour les masses, qui les ·satisfaisait parce qu'elle était la leur.

Les techniques ont suscité un dérapage sou­ vent tragique.

Ce monde que nous avons perdu, un monde qui n'était pas heureux, comme on le sait par d'autres sources, avait au moins la satisfaction de se sentir en harmonie avec lui-même.

A côté des rites, des croyances, des besoins et des satisfactions de ceux qui faisaient la loi, il avait ses propres institutions.

C'était comme une sorte de fossile continuant à survivre dans une société qui vivait ailleurs, autre~ ment et le méconnaissait, un peu à la façon de ces Néandhertaliens qui, selon certains anthropolo­ gues, continueraient à vivre au milieu de nous, en hommes sauvages qui font peur aux populations du Tibet ou à celles du Caucase et de la Sibérie.

Le folklore est une culture fossile dont il faut bien admettre qu'elle nous appartient et qu'elle nous est présente depuis toujours.

Ces dernières années ont vu se multiplier les ouvrages consacrés à ce qu'il est convenu d'appeler les civilisations traditionnel­ les.

C'est un aspect de l'histoire humaine qu'on aurait tort de délaisser, d'autant que son approche nous fait découvrir une société dont on n'imagine absolument plus l'existence.

La culture populaire commence à être bien connue ; des études de plus en plus profondes lui sont consacrées.

La dernière en date, de Robert Muchembled, Culture populaire et culture des éli­ tes, aux éditions Flammarion, saisit le phénomène au moment de son apogée, c'est-à-dire au XVIe siè­ cle, pour le suivre, dans son développement et sa destruction au cours des époques suivantes, et même jusqu'à nous, puisqu'on peut noter dans la société contemporaine des retours inconscients à des modes de pensée ou à des croyances tradition~ nels.

Il s'agit de survie peut-être, ou de résurgence, mais cela est assez significatif de la force d'impré­ gnation d'une culture rejetée et qu'on pourrait croi­ re détruite à jamais.

L'intérêt de cette culture de masse, pour employer une expression qui ne lui est pas exactement appropriée, c'est qu'elle était par­ faitement en accord avec les masses, précisément, auxquelles elle s'adressait.

Elle apportait tout un savoir, dans tous les domaines, qui tout en s'oppo­ sant à celui des classes dirigeantes, orienté diffé­ remment, n'en était pas moins un vrai savoir, utili­ sable et nécessaire.

Il apportait un cadre dans lequel pouvait s'insérer une vie harmonieuse, bien réglée, menée dans la crainte de Dieu, dans l'atten­ te de la mort, au milieu d'une nature que l'homme avait tous les moyens de maîtriser, aussi bien par sa connaissance des dates favorables aux semailles ou par celle du temps qu'il allait faire, que par la magie.

La magie, la sorcellerie, c'est le domaine de Jeanne Favret-Saada qui est allée la regarder en liberté dans les campagnes de l'Ouest, là où elles survivent, paraît-il, en toute plénitude, dans une sorte de mystère et d'angoisse bien préservés par les populations qui n'ont accepté de répondre à l'enquëte de l'ethnologue que parce que celle-ci a sli y insérer précisément cet univers de mystère et d'angoisse.

L'ambiance de son livre, les Mots, la mort, les sorts, la sorcellerie dans le Bocage, chez Gallimard, vient de cette ambiguïté du regard.

On n'atteint pas le divin sans y croire, le diabolique non plus ; on n'en parle pas sans prendre aussi ses distances.

Jeanne Favret-Saada a eu le courage et la possibilité d'être à l'intérieur du champ nocturne où se jouait le destiil des paysans qu'elle intervie­ wait et d'échapper en même temps à leurs incanta­ tions aux odeurs de soufre.

On eil.

sort un peu désorienté ; on ne met pas en doute ce que raconte l'auteur qui aurait pu aussi bien porter son enquête sur d'autres régions -sur les hauts-plateaux de l'Ardèche, ear exemple, ou ailleurs -mais on se demande s'd ne faut pas réagir à cet envoûtement qu'elle fmit par imposer à son lecteur.. »

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