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Condorcet (1743-1794) Lettres d'un bourgeois de New Haven à un citoyen de Virginie

Publié le 26/04/2011

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N'est-ce pas en qualité d'êtres sensibles, capables de raison, ayant des idées morales, que les hommes ont des droits? Les femmes doivent donc avoir absolument les mêmes, et cependant jamais, dans aucune constitution appelée libre, les femmes n'ont exercé le droit de citoyens. Les faits ont prouvé que les hommes avaient, ou croyaient avoir, des intérêts fort différents de ceux des femmes, puisque partout ils ont fait contre elles des lois oppressives ou du moins établi entre les deux sexes une grande inégalité (...). Cette idée d'établir plus d'égalité entre les deux sexes n'est pas si nouvelle qu'on pourrait croire. L'empereur Julien avait accordé aux femmes le droit d'envoyer à leur mari le libelle de divorce; droit dont les maris seuls avaient joui pendant les premiers siècles de Home; et le moins galant, peut-être, des Césars a été le plus juste envers les femmes. Mais après avoir établi que la justice demanderait que l'on cessât d'exclure les femmes du droit de cité, il me reste à examiner la question de leur éligibilité pour les fonctions publiques. Toute exclusion de ce genre expose à deux injustices, l'une à l'égard des électeurs dont on restreint la liberté, l'autre à l'égard de ceux qui sont exclus et que l'on prive d'un avantage accordé aux autres. Il me paraît donc qu'on ne doit prononcer une exclusion par la loi, que dans le cas où la raison en prouve évidemment l'utilité; et si l'on choisit une bonne forme d'élection, ce cas doit se présenter très rarement. Je crois même qu'après l'exclusion légale des personnes condamnées par un jugement, comme coupables de certains crimes, et de celles qui sont dans l'état de domesticité (...), on devrait se borner à faire prononcer par la loi l'incompatibilité de certaines places (...). D'après ce principe, je croirais que la loi ne devrait exclure les femmes d'aucune place. Au reste il faut observer que ce changement proposé ici en suppose un premier dans les lois civiles, qui en produirait nécessairement un dans les mœurs, un autre non moins important dans l'éducation des femmes, en sorte que les objections qui paraîtraient plausibles aujourd'hui, auraient cessé de l'être avant que le nouvel ordre fût établi. La constitution des femmes les rend peu capables d'aller à la guerre, et pendant une partie de leur vie doit les écarter des places qui exigent un service journalier et un peu pénible. Mais je ne crois pas qu'on puisse assigner, à d'autres égards, entre elles et les hommes, aucune différence qui ne soit l'ouvrage de l'éducation. Quand même on admettrait que l'inégalité de force, soit de corps, soit d'esprit, serait la même qu'aujourd'hui, il en résulterait seulement que les femmes du premier ordre seraient égales aux hommes du second et supérieures à ceux du troisième, et ainsi de suite. On leur accorde tous les talents, hors celui d'inventer. C'est l'opinion de Voltaire, l'un des hommes qui ont été les plus justes envers elles et qui les ont le mieux connues. Mais d'abord, s'il ne fallait admettre aux places que les hommes capables d'inventer, il y en aurait beaucoup de vacantes, même dans les académies. Il existe un grand nombre de fonctions, dans lesquelles il n'est pas même à désirer pour le public qu'on sacrifie le temps d'un homme de génie (...). L'espèce de contrainte où les opinions relatives aux mœurs tiennent l'âme et l'esprit des femmes presque dès l'enfance, et surtout depuis le moment où le génie commence à se développer, doit nuire à ses progrès dans presque tous les genres (...). D'ailleurs, est-il bien sûr qu'aucune femme n'a montré du génie? Cette assertion est vraie jusqu'ici, à ce que je crois, quant aux sciences et à la philosophie; mais l'est-elle dans les autres genres? Pour ne parler que des Françaises, ne trouve-t-on pas le génie du style dans Ma«dame de Sévigné? Ne citerait-on pas dans les romans de Madame de La Fayette, et, dans quelques autres, plusieurs de ces traits de passion et de sensibilité que l'on appellerait des traits de génie dans un ouvrage dramatique? Peut-être trouverez-vous cette discussion bien longue, mais songez qu'il s'agit des droits de la moitié du genre humain, droits oubliés par tous les législateurs. Condorcet (1743-1794) Lettres d'un bourgeois de New Haven à un citoyen de Virginie. Vous résumerez d'abord le texte en en respectant le mouvement ou vous en ferez une analyse qui, distinguant et ordonnant les thèmes, s'attache à rendre compte de leurs rapports.

Puis, vous choisirez dans le texte un problème qui vous paraît important, vous en préciserez les données, et vous direz quelles réflexions il vous inspire.

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