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Contes de la bécasse Comme on allait regagner Boulogne, un nouveau coup de vent se déchaîna ; et le petit bateau recommença sa course folle, bondissant et culbutant, secouant le triste blessé.

Publié le 11/04/2014

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Contes de la bécasse Comme on allait regagner Boulogne, un nouveau coup de vent se déchaîna ; et le petit bateau recommença sa course folle, bondissant et culbutant, secouant le triste blessé. La nuit vint. Le temps fut gros jusqu'à l'aurore. Au soleil levant on apercevait de nouveau l'Angleterre, mais, comme la mer était moins dure, on repartit pour la France en louvoyant. Vers le soir, Javel cadet appela ses camarades et leur montra des traces noires, toute une vilaine apparence de pourriture sur la partie du membre qui ne tenait plus à lui. Les matelots regardaient, disant leur avis. "Ça pourrait bien être le Noir", pensait l'un. "Faudrait de l'iau salée là-dessus", déclarait un autre. On apporta donc de l'eau salée et on en versa sur le mal. Le blessé devint livide, grinça des dents, se tordit un peu ; mais il ne cria pas. Puis, quand la brûlure se fut calmée : "Donne-moi ton couteau", dit-il à son frère. Le frère tendit son couteau. "Tiens-moi le bras en l'air, tout droit, tire dessus." On fit ce qu'il demandait. Alors il se mit à couper lui-même. Il coupait doucement, avec réflexion, tranchant les derniers tendons avec cette lame aiguë, comme un fil de rasoir ; et bientôt il n'eut plus qu'un moignon. Il poussa un profond soupir et déclara : "Fallait ça. J'étais foutu." Il semblait soulagé et respirait avec force. Il recommença à verser de l'eau sur le tronçon de membre qui lui restait. La nuit fut mauvaise encore et on ne put atterrir. Quand le jour parut, Javel cadet prit son bras détaché et l'examina longuement. La putréfaction se déclarait. Les camarades vinrent aussi l'examiner, et ils se le passaient, de main en main, le tâtaient, le retournaient, le flairaient. Son frère dit : "Faut jeter ça à la mer à c't' heure." Mais Javel cadet se fâcha : "Ah ! mais non, ah ! mais non. J'veux point. C'est à moi, pas vrai, pisque c'est mon bras." Il le reprit et le posa entre ses jambes. "Il va pas moins pourrir", dit l'aîné. Alors une idée vint au blessé. Pour conserver le poisson quand on tenait longtemps la mer, on l'empilait en des barils de sel. Il demanda : "J' pourrions t'y point l'mettre dans la saumure ? Ça, c'est vrai", déclarèrent les autres. Contes de la bécasse 37 Contes de la bécasse Alors on vida un des barils, plein déjà de la pêche des jours derniers ; et, tout au fond, on déposa le bras. On versa du sel dessus, puis on replaça, un à un, les poissons. Un des matelots fit cette plaisanterie : "Pourvu que je l'vendions point à la criée." Et tout le monde rit, hormis les deux Javel. Le vent soufflait toujours. On louvoya encore en vue de Boulogne jusqu'au lendemain dix heures. Le blessé continuait sans cesse à jeter de l'eau sur sa plaie. De temps en temps, il se levait et marchait d'un bout à l'autre du bateau. Son frère, qui tenait la barre, le suivait de l'oeil en hochant la tête. On finit par rentrer au port. Le médecin examina la blessure et la déclara en bonne voie. Il fit un pansement complet et ordonna le repos. Mais Javel ne voulut pas se coucher sans avoir repris son bras, et il retourna bien vite au port pour retrouver le baril qu'il avait marqué d'une croix. On le vida devant lui et il ressaisit son membre, bien conservé dans la saumure, ridé, rafraîchi. Il l'enveloppa dans une serviette emportée à cette intention, et rentra chez lui. Sa femme et ses enfants examinèrent longuement ce débris du père, tâtant les doigts, enlevant les brins de sel restés sous les ongles ; puis on fit venir le menuisier pour un petit cercueil. Le lendemain l'équipage complet du chalutier suivit l'enterrement du bras détaché. Les deux frères, côte à côte, conduisaient le deuil. Le sacristain de la paroisse tenait le cadavre sous son aisselle. Javel cadet cessa de naviguer. Il obtint un petit emploi dans le port, et, quand il parlait plus tard de son accident, il confiait tout bas à son auditeur : "Si le frère avait voulu couper le chalut, j'aurais encore mon bras, pour sûr. Mais il était regardant à son bien." ******************************** UN NORMAND A Paul Alexis. Nous venions de sortir de Rouen et nous suivions au grand trot la route de Jumièges. La légère voiture filait, traversant les prairies ; puis le cheval se mit au pas pour monter la côte de Canteleu. C'est là un des horizons les plus magnifiques qui soient au monde. Derrière nous Rouen, la ville aux églises, aux clochers gothiques, travaillés comme des bibelots d'ivoire ; en face, Saint-Sever, le faubourg aux manufactures, qui dresse ses mille cheminées fumantes sur le grand ciel vis-à-vis des mille clochetons sacrés de la vieille cité. Ici la flèche de la cathédrale, le plus haut sommet des monuments humains ; et là-bas, la "Pompe à feu" de la "Foudre", sa rivale presque aussi démesurée, et qui passe d'un mètre la plus géante des pyramides d'Égypte. Contes de la bécasse 38

« Alors on vida un des barils, plein déjà de la pêche des jours derniers ; et, tout au fond, on déposa le bras.

On versa du sel dessus, puis on replaça, un à un, les poissons.

Un des matelots fit cette plaisanterie : "Pourvu que je l'vendions point à la criée." Et tout le monde rit, hormis les deux Javel.

Le vent soufflait toujours.

On louvoya encore en vue de Boulogne jusqu'au lendemain dix heures.

Le blessé continuait sans cesse à jeter de l'eau sur sa plaie.

De temps en temps, il se levait et marchait d'un bout à l'autre du bateau.

Son frère, qui tenait la barre, le suivait de l'oeil en hochant la tête.

On finit par rentrer au port.

Le médecin examina la blessure et la déclara en bonne voie.

Il fit un pansement complet et ordonna le repos. Mais Javel ne voulut pas se coucher sans avoir repris son bras, et il retourna bien vite au port pour retrouver le baril qu'il avait marqué d'une croix.

On le vida devant lui et il ressaisit son membre, bien conservé dans la saumure, ridé, rafraîchi.

Il l'enveloppa dans une serviette emportée à cette intention, et rentra chez lui.

Sa femme et ses enfants examinèrent longuement ce débris du père, tâtant les doigts, enlevant les brins de sel restés sous les ongles ; puis on fit venir le menuisier pour un petit cercueil.

Le lendemain l'équipage complet du chalutier suivit l'enterrement du bras détaché.

Les deux frères, côte à côte, conduisaient le deuil.

Le sacristain de la paroisse tenait le cadavre sous son aisselle.

Javel cadet cessa de naviguer.

Il obtint un petit emploi dans le port, et, quand il parlait plus tard de son accident, il confiait tout bas à son auditeur : "Si le frère avait voulu couper le chalut, j'aurais encore mon bras, pour sûr.

Mais il était regardant à son bien." ******************************** UN NORMAND A Paul Alexis.

Nous venions de sortir de Rouen et nous suivions au grand trot la route de Jumièges.

La légère voiture filait, traversant les prairies ; puis le cheval se mit au pas pour monter la côte de Canteleu.

C'est là un des horizons les plus magnifiques qui soient au monde.

Derrière nous Rouen, la ville aux églises, aux clochers gothiques, travaillés comme des bibelots d'ivoire ; en face, Saint-Sever, le faubourg aux manufactures, qui dresse ses mille cheminées fumantes sur le grand ciel vis-à-vis des mille clochetons sacrés de la vieille cité.

Ici la flèche de la cathédrale, le plus haut sommet des monuments humains ; et là-bas, la "Pompe à feu" de la "Foudre", sa rivale presque aussi démesurée, et qui passe d'un mètre la plus géante des pyramides d'Égypte.

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