DE L'EXALTATION POÉTIQUE. Mme de Staël

Ce qui est vraiment divin dans le cœur de l'homme ne peut être défini: s'il y a des mots pour quelques traits, il n'y en a point pour exprimer l'ensemble, et surtout le mystère de la véritable beauté dans tous les genres. Il est difficile de dire ce qui n'est pas de la poésie; mais si l'on veut comprendre ce qu'elle est, il faut appeler à son secours les impressions qu'excitent une belle contrée, une musique harmonieuse, le regard d'un objet chéri, et par-dessus tout un sentiment religieux qui nous fait éprouver en nous-mêmes la présence de la Divinité. La poésie est le langage naturel à tous les cultes. La Bible est pleine de poésie; Homère est plein de religion. Ce n'est pas qu'il y ait des fictions dans la Bible, ni des dogmes dans Homère; mais l'enthousiasme rassemble dans un même foyer des sentiments divers ; l'enthousiasme est l'encens de la terre vers le ciel; il les réunit l'un à l'autre.

L'ensemble. — On voit que Mme de Staël appelle « poésie « tout ce qui est sentiment, émotion, enthousiasme. C'est même, à ses yeux, une des formes du sentiment religieux. Par son origine protestante, Mme de Staël comprend la religion de façon tout à fait subjective; ce n'est plus, en somme, qu'un aspect du lyrisme. Si le dogme précis ne s'accommode pas de cette assimilation, la poésie y gagne évidemment en ampleur, en intensité, et Mme de Staël a fait beaucoup pour donner au lyrisme romantique son caractère général d'émotion, d'enthousiasme appliqué à n'importe quel objet.

Les mots :

* objet : personne aimée. Bible : le livre par excellence; ensemble des ouvrages qui composent l'Ancien Testament. * encens : résine aromatique qu'on fait brûler devant les autels; au figuré : louange, adoration, culte, hommage.