Du Côté de Chez Swann nous pourrions nous mettre à couvert.
Publié le 12/04/2014
                             
                        
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d'or effrangées de son soleil reparu.
Quelquefois le temps était tout à fait gâté, il fallait rentrer et  rester enfermé dans la maison.
                                                            
                                                                                
                                                                    Çà et là au loin
dans la campagne que  l'obscurité et l'humidité faisaient ressembler à la mer, des maisons  isolées, accrochées
au flanc d'une colline plongée dans la nuit et dans  l'eau, brillaient comme des petits bateaux qui ont replié
leurs voiles  et sont immobiles au large pour toute la nuit.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais qu'importait la  pluie, qu'importait l'orage!
L'été, le mauvais temps n'est qu'une  humeur passagère, superficielle, du beau temps sous-jacent et fixe,  bien
différent du beau temps instable et fluide de l'hiver et qui, au  contraire, installé sur la terre où il s'est solidifié
en denses  feuillages sur lesquels la pluie peut s'égoutter sans compromettre la  résistance de leur permanente
joie, a hissé pour toute la saison,  jusque dans les rues du village, aux murs des maisons et des jardins,  ses
pavillons de soie violette ou blanche.
                                                            
                                                                                
                                                                    Assis dans le petit salon,  où j'attendais l'heure du dîner en lisant,
j'entendais l'eau dégoutter  de nos marronniers, mais je savais que l'averse ne faisait que vernir  leurs feuilles et
qu'ils promettaient de demeurer là, comme des gages  de l'été, toute la nuit pluvieuse, à assurer la continuité
du beau  temps; qu'il avait beau pleuvoir, demain, au-dessus de la barrière  blanche de Tansonville,
onduleraient, aussi nombreuses, de petites  feuilles en forme de cur; et c'est sans tristesse que j'apercevais le
peuplier de la rue des Perchamps adresser à l'orage des supplications  et des salutations désespérées; c'est sans
tristesse que j'entendais au  fond du jardin les derniers roulements du tonnerre roucouler dans les  lilas.
Si le temps était mauvais dès le matin, mes parents renonçaient à la  promenade et je ne sortais pas.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais je
pris ensuite l'habitude  d'aller, ces jours-là, marcher seul du côté de Méséglise-la-Vineuse,  dans l'automne où
nous dûmes venir à Combray pour la succession de ma  tante Léonie, car elle était enfin morte, faisant
triompher à la fois  ceux qui prétendaient que son régime affaiblissant finirait par la  tuer, et non moins les
autres qui avaient toujours soutenu qu'elle  souffrait d'une maladie non pas imaginaire mais organique, à
l'évidence  de laquelle les sceptiques seraient bien obligés de se rendre quand  elle y aurait succombé; et ne
causant par sa mort de grande douleur  qu'à un seul être, mais à celui-là, sauvage.
                                                            
                                                                        
                                                                    Pendant les quinze jours
que dura la dernière maladie de ma tante, Françoise ne la quitta pas un  instant, ne se déshabilla pas, ne laissa
personne lui donner aucun  soin, et ne quitta son corps que quand il fut enterré.
                                                            
                                                                                
                                                                    Alors nous  comprîmes que
cette sorte de crainte où Françoise avait vécu des  mauvaises paroles, des soupçons, des colères de ma tante
avait  développé chez elle un sentiment que nous avions pris pour de la haine  et qui était de la vénération et de
l'amour.
                                                            
                                                                                
                                                                    Sa véritable maîtresse,  aux décisions impossibles à prévoir, aux ruses difficiles à déjouer, au  bon
cur facile à fléchir, sa souveraine, son mystérieux et  tout-puissant monarque n'était plus.
                                                            
                                                                                
                                                                    A côté d'elle nous
comptions pour  bien peu de chose.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il était loin le temps où quand nous avions commencé  à venir passer nos
vacances à Combray, nous possédions autant de  prestige que ma tante aux yeux de Françoise.
                                                            
                                                                                
                                                                    Cet
automne-là tout  occupés des formalités à remplir, des entretiens avec les notaires et  avec les fermiers, mes
parents n'ayant guère de loisir pour faire des  sorties que le temps d'ailleurs contrariait, prirent l'habitude de
me  laisser aller me promener sans eux du côté de Méséglise, enveloppé dans  un grand plaid qui me protégeait
contre la pluie et que je jetais  d'autant plus volontiers sur mes épaules que je sentais que ses rayures
écossaises scandalisaient Françoise, dans l'esprit de qui on n'aurait  pu faire entrer l'idée que la couleur des
vêtements n'a rien à faire  avec le deuil et à qui d'ailleurs le chagrin que nous avions de la mort  de ma tante
plaisait peu, parce que nous n'avions pas donné de grand  repas funèbre, que nous ne prenions pas un son de
voix spécial pour  parler d'elle, que même parfois je chantonnais.
                                                            
                                                                                
                                                                    Je suis sûr que dans un  livre \24 et en cela
j'étais bien moi-même comme Françoise \24 cette  conception du deuil d'après la Chanson de Roland et le
portail de  Saint-André-des-Champs m'eût été sympathique.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais dès que Françoise  était auprès de moi, un
démon me poussait à souhaiter qu'elle fût en  colère, je saisissais le moindre prétexte pour lui dire que je
regrettais ma tante parce que c'était une bonne femme, malgré ses  ridicules, mais nullement parce que c'était
ma tante, qu'elle eût pu  être ma tante et me sembler odieuse, et sa mort ne me faire aucune  peine, propos qui
m'eussent semblé ineptes dans un livre.
Si alors Françoise remplie comme un poète d'un flot de pensées  confuses sur le chagrin, sur les souvenirs de
famille, s'excusait de ne  pas savoir répondre à mes théories et disait: "Je ne sais pas  m'esprimer", je  Du Côté de Chez Swann
II.
                                                            
                                                                                
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