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ENFANTS ET PARENTS. Henri-François REY. Les Pianos mécaniques

Publié le 11/08/2011

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Au milieu du carrousel des voitures, c'était l'heure où chacun sortait de son lit après la sieste et se baladait pour se montrer, pour se rencontrer. - Qu'est-ce qu'on fait? dit Daniel. Il avait toujours la bougeotte. - On va aller acheter des frites, dit Nadine. Tout le monde la suivit jusqu'au marchand de frites, au bout du pasco. C'était un rite, les frites. Tous les jours ils en ingurgitaient de grands sacs. Et le soir, à la maison personne n'avait faim. Ils fouillèrent leurs poches. Ils réussirent à grand-peine à réunir la somme nécessaire. Ils mangeaient leurs frites, l'air rêveur, dans l'odeur tenace de l'huile espagnole. - T'as un mouchoir? dit Nadine à Serge. Elle avait les doigts brillants d'huile. Il lui tendit son mouchoir, avec un tout petit sourire. Elle s'essuya les doigts et les lèvres. Daniel, maintenant, achetait des glaces. C'était sa principale nourriture. - Des frites et des glaces, dit Serge, en faisant la grimace. T'es pas dégoûté... Daniel sourit en léchant sa glace. - Papa dit que c'est bon pour la santé... Encore au moins deux heures à tuer avant le repas du soir. Le moment où ils s'ennuyaient. Ce qu'ils aimaient, c'était le grand soleil de trois heures, les expéditions sur les plages et dans les criques ou dans la montagne aux oliviers. Pas cette cohue et cette poussière. Il ne restait qu'une distraction : s'asseoir en rang d'oignons sur le trottoir qui faisait face à la Estrella 1 et regarder les grandes personnes. C'était un spectacle. Un vrai. Comme d'habitude, ils s'assirent sur le rebord du trottoir. Nadine auprès de Serge. La terrasse était déjà grouillante, toutes les tables prises et, entre les tables, des groupes qui stationnaient, des garçons et des filles qui déambulaient sans raison. Les guitaristes grattaient et, derrière, le pick-up arrivait par bouffées. - Y a déjà mon père, dit Daniel. Qui c'est qui est à côté de lui? Patrick regarda. - Je la connais pas, dit-il. - Chic, dit Daniel. Si c'est une nouvelle, je vais avoir un cadeau. Serge regarda à son tour. - Je la connais, moi. C'est l'Américaine qui boit de l'eau de Cologne. Ils tournèrent la tête vers lui. - Qu'est-ce que tu racontes? fit Patrick. - C'est vrai... C'est Puig qui m'a raconté ça. Elle a une bouteille dans son sac, de la bonne eau de Cologne. De temps en temps, elle s'en envoie un coup. - Elle doit sentir bon à l'intérieur, dit Daniel. - Quand est-ce qu'il travaille, ton père? - Ça le prend quelquefois, dit Daniel. En général, il me met en pension. - Voilà papa, dit Nadine. Une voiture américaine s'arrêta devant la Estrella. Un homme aux cheveux gris en descendit. Maigre, un peu voûté. - Il va retrouver sa souris. Nadine cherchait des yeux dans la foule. - Je la vois, elle est derrière, près du piano. Le père de Nadine entra à l'intérieur de la Estrella.

- Il leur faut des coins sombres, dit Nadine. - Qu'est-ce que ça peut faire? dit Serge. - Ça fait de la peine à maman. Serge détourna le visage. - Tu vois, moi, je sais pas très bien ce qui peut lui faire de la peine, à ma mère. - Et ton père? on le voit jamais? demanda" Patrick à Serge. - Il aime pas le bistrot. Il aime que la pêche et il attrape jamais rien. Des lumières s'allumèrent sur la terrasse. La fiesta commence. Henri-François REY. Les Pianos mécaniques. Robert Laffont, 1962.

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