Devoir de Philosophie

Eugenie Grandet Monsieur Grandet, l'un des negociants les plus estimes de Paris, s'est brule la cervelle hier apres avoir fait son apparition accoutumee a la Bourse.

Publié le 12/04/2014

Extrait du document

Eugenie Grandet Monsieur Grandet, l'un des negociants les plus estimes de Paris, s'est brule la cervelle hier apres avoir fait son apparition accoutumee a la Bourse. Il avait envoye au president de la Chambre des Deputes sa demission, et s'etait egalement demis de ses fonctions de juge au tribunal de commerce. La faillite de messieurs Roguin et Souchet, son agent de change et son notaire, l'ont ruine. La consideration dont jouissait monsieur Grandet et son credit etaient neanmoins tels qu'il eut sans doute trouve des secours sur la place de Paris. Il est a regretter que cet homme honorable ait cede a un premier moment de desespoir, etc. --Je le savais, dit le vieux vigneron au notaire. Ce mot glaca maitre Cruchot, qui, malgre son impassibilite de notaire, se sentit froid dans le dos en pensant que le Grandet de Paris avait peut-etre implore vainement les millions du Grandet de Saumur. --Et son fils, si joyeux hier ... --Il ne sait rien encore, repondit Grandet avec le meme calme. --Adieu, monsieur Grandet, dit Cruchot qui comprit tout et alla rassurer le president de Bonfons. En entrant, Grandet trouva le dejeuner pret. Madame Grandet, au cou de laquelle Eugenie sauta pour l'embrasser avec cette vive effusion de coeur que nous cause un chagrin secret, etait deja sur son siege a patins, et se tricotait des manches pour l'hiver. --Vous pouvez manger, dit Nanon qui descendit les escaliers quatre a quatre, l'enfant dort comme un cherubin. Qu'il est gentil les yeux fermes! Je suis entree, je l'ai appele. Ah bien oui! personne. --Laisse-le dormir, dit Grandet, il s'eveillera toujours assez tot aujourd'hui pour apprendre de mauvaises nouvelles. --Qu'y a-t-il donc? demanda Eugenie en mettant dans son cafe les deux petits morceaux de sucre pesant on ne sait combien de grammes que le bonhomme s'amusait a couper lui-meme a ses heures perdues. Madame Grandet, qui n'avait pas ose faire cette question, regarda son mari. --Son pere s'est brule la cervelle. --Mon oncle?... dit Eugenie. --Le pauvre jeune homme! s'ecria madame Grandet. --Oui, pauvre, reprit Grandet, il ne possede pas un sou. --He! ben, il dort comme s'il etait le roi de la terre, dit Nanon d'un accent doux. Eugenie cessa de manger. Son coeur se serra, comme il se serre quand, pour la premiere fois, la compassion, excitee par le malheur de celui qu'elle aime, s'epanche dans le corps entier d'une femme. La pauvre fille pleura. --Tu ne connaissais pas ton oncle, pourquoi pleures-tu? lui dit son pere en lui lancant un de ces regards de tigre affame qu'il jetait sans doute a ses tas d'or. --Mais, monsieur, dit la servante, qui ne se sentirait pas de pitie pour ce pauvre jeune homme qui dort comme un sabot sans savoir son sort? Eugenie Grandet 33 Eugenie Grandet --Je ne te parle pas, Nanon! tiens ta langue. Eugenie apprit en ce moment que la femme qui aime doit toujours dissimuler ses sentiments. Elle ne repondit pas. --Jusqu'a mon retour, vous ne lui parlerez de rien, j'espere, m'ame Grandet, dit le vieillard en continuant. Je suis oblige d'aller faire aligner le fosse de mes pres sur la route. Je serai revenu a midi pour le second dejeuner, et je causerai avec mon neveu de ses affaires. Quant a toi, mademoiselle Eugenie, si c'est pour ce mirliflor que tu pleures, assez comme cela, mon enfant. Il partira, d'arre d'arre, pour les grandes Indes. Tu ne le verras plus ... Le pere prit ses gants au bord de son chapeau, les mit avec son calme habituel, les assujettit en s'emmortaisant les doigts les uns dans les autres, et sortit. --Ah! maman, j'etouffe, s'ecria Eugenie quand elle fut seule avec sa mere. Je n'ai jamais souffert ainsi. Madame Grandet, voyant sa fille palir, ouvrit la croisee et lui fit respirer le grand air. --Je suis mieux, dit Eugenie apres un moment. Cette emotion nerveuse chez une nature jusqu'alors en apparence calme et froide reagit sur madame Grandet, qui regarda sa fille avec cette intuition sympathique dont sont douees les meres pour l'objet de leur tendresse, et devina tout. Mais, a la verite, la vie des celebres soeurs hongroises, attachees l'une a l'autre par une erreur de la nature, n'avait pas ete plus intime que ne l'etait celle d'Eugenie et de sa mere, toujours ensemble dans cette embrasure de croisee, ensemble a l'eglise, et dormant ensemble dans le meme air. --Ma pauvre enfant! dit madame Grandet en prenant la tete d'Eugenie pour l'appuyer contre son sein. A ces mots, la jeune fille releva la tete, interrogea sa mere par un regard, en scruta les secretes pensees, et lui dit: --Pourquoi l'envoyer aux Indes? S'il est malheureux, ne doit-il pas rester ici, n'est-il pas notre plus proche parent? --Oui, mon enfant, ce serait bien naturel; mais ton pere a ses raisons, nous devons les respecter. La mere et la fille s'assirent en silence, l'une sur sa chaise a patins, l'autre sur son petit fauteuil; et, toutes deux, elles reprirent leur ouvrage. Oppressee de reconnaissance pour l'admirable entente de coeur que lui avait temoignee sa mere, Eugenie lui baisa la main en disant: --Combien tu es bonne, ma chere maman! Ces paroles firent rayonner le vieux visage maternel, fletri par de longues douleurs. --Le trouves-tu bien? demanda Eugenie. Madame Grandet ne repondit que par un sourire; puis, apres un moment de silence, elle dit a voix basse: --L'aimerais-tu donc deja? ce serait mal. --Mal, reprit Eugenie, pourquoi? Il te plait, il plait a Nanon, pourquoi ne me plairait-il pas? Tiens, maman, mettons la table pour son dejeuner. Elle jeta son ouvrage, la mere en fit autant en lui disant: Eugenie Grandet 34

« —Je ne te parle pas, Nanon! tiens ta langue. Eugenie apprit en ce moment que la femme qui aime doit toujours dissimuler ses sentiments.

Elle ne repondit pas. —Jusqu'a mon retour, vous ne lui parlerez de rien, j'espere, m'ame Grandet, dit le vieillard en continuant.

Je suis oblige d'aller faire aligner le fosse de mes pres sur la route.

Je serai revenu a midi pour le second dejeuner, et je causerai avec mon neveu de ses affaires.

Quant a toi, mademoiselle Eugenie, si c'est pour ce mirliflor que tu pleures, assez comme cela, mon enfant.

Il partira, d'arre d'arre, pour les grandes Indes.

Tu ne le verras plus ... Le pere prit ses gants au bord de son chapeau, les mit avec son calme habituel, les assujettit en s'emmortaisant les doigts les uns dans les autres, et sortit. —Ah! maman, j'etouffe, s'ecria Eugenie quand elle fut seule avec sa mere.

Je n'ai jamais souffert ainsi. Madame Grandet, voyant sa fille palir, ouvrit la croisee et lui fit respirer le grand air. —Je suis mieux, dit Eugenie apres un moment. Cette emotion nerveuse chez une nature jusqu'alors en apparence calme et froide reagit sur madame Grandet, qui regarda sa fille avec cette intuition sympathique dont sont douees les meres pour l'objet de leur tendresse, et devina tout.

Mais, a la verite, la vie des celebres soeurs hongroises, attachees l'une a l'autre par une erreur de la nature, n'avait pas ete plus intime que ne l'etait celle d'Eugenie et de sa mere, toujours ensemble dans cette embrasure de croisee, ensemble a l'eglise, et dormant ensemble dans le meme air. —Ma pauvre enfant! dit madame Grandet en prenant la tete d'Eugenie pour l'appuyer contre son sein. A ces mots, la jeune fille releva la tete, interrogea sa mere par un regard, en scruta les secretes pensees, et lui dit: —Pourquoi l'envoyer aux Indes? S'il est malheureux, ne doit-il pas rester ici, n'est-il pas notre plus proche parent? —Oui, mon enfant, ce serait bien naturel; mais ton pere a ses raisons, nous devons les respecter. La mere et la fille s'assirent en silence, l'une sur sa chaise a patins, l'autre sur son petit fauteuil; et, toutes deux, elles reprirent leur ouvrage.

Oppressee de reconnaissance pour l'admirable entente de coeur que lui avait temoignee sa mere, Eugenie lui baisa la main en disant: —Combien tu es bonne, ma chere maman! Ces paroles firent rayonner le vieux visage maternel, fletri par de longues douleurs. —Le trouves-tu bien? demanda Eugenie. Madame Grandet ne repondit que par un sourire; puis, apres un moment de silence, elle dit a voix basse: —L'aimerais-tu donc deja? ce serait mal. —Mal, reprit Eugenie, pourquoi? Il te plait, il plait a Nanon, pourquoi ne me plairait-il pas? Tiens, maman, mettons la table pour son dejeuner.

Elle jeta son ouvrage, la mere en fit autant en lui disant: Eugenie Grandet Eugenie Grandet 34. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles