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EXPRESSION ARTISTIQUE ET ÉVOLUTION SOCIALE

Publié le 06/04/2011

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Dans ce texte de Marx, on saisira à la fois la méthode inspirant une remarquable analyse, mais aussi les défaillances (exposées par l'auteur lui-même) de toute systématisation hâtive de cette méthode (les conditions économiques expliquant seules et directement les formes esthétiques). Dans l'art, on sait que des périodes de floraison déterminées ne sont aucunement en rapport avec le développement général de la société, ni par conséquent avec la base matérielle, l'ossature, pour ainsi dire, de l'organisation sociale. Par exemple, les Grecs comparés avec les modernes ou Shakespeare. En ce qui concerne certaines formes d'art, par exemple l'épopée, on admet qu'elles ne peuvent être produites sous leur forme classique, faisant époque dans le monde, dès que la production artistique comme telle apparaît; donc que dans le domaine de l'art lui-même, certaines manifestations importantes ne sont possibles qu'à un degré inférieur du développement de l'art. Si cela est vrai du rapport des différentes formes d'art dans le domaine de l'art lui-même, il est moins étonnant qu'il en soit de même du rapport du domaine total de l'art avec le développement général de la Société. La difficulté consiste seulement à exprimer en général ces contradictions. Dès qu'elles sont spécifiées, elles s'expliquent. Prenons par exemple le rapport de l'art grec... avec le présent. On sait que la mythologie grecque n'était pas seulement l'arsenal de l'art grec, mais aussi son terrain. La conception de la nature et des liens sociaux, qui est au fond de l'imagination grecque et par suite de d'art) grec, est-elle possible avec les machines automatiques, les chemins de fer, les locomotives et le télégraphe électrique?... Toute mythologie dompte, domine et façonne les forces de la nature dans l'imagination et par l'imagination, elle disparaît donc quand ces forces sont réellement dominées... Achille est-il possible avec la poudre et le plomb? Ou, en général, l'Iliade est-elle possible avec la presse et la machine à imprimer?... Mais la difficulté ne consiste pas à comprendre que l'art grec et l'épopée soient liés à certaines formes du développement social. La difficulté consiste (à comprendre) qu'ils puissent encore nous fournir des satisfactions esthétiques, et soient considérés à certains égards comme norme et comme modèle inaccessible.

Pourquoi l'enfance sociale de l'humanité, à son plus beau développement, n'exercerait-elle pas un attrait éternel, comme une phase qui ne reviendra jamais ? « (Marx, Introduction à une critique de l'économie politique, publiée par Kautsky) On doit toutefois signaler que les arts qui sont nés dans les conditions de la technique et de l'économie modernes impliquent collaboration et dépendance à l'égard du système représenté par l'état social. Ainsi, par exemple, du cinéma : Un film ne sort pas « tout armé « du cerveau d'un individu; aucun film n'a été jusqu'à présent l'œuvre d'un seul créateur... Il est le résultat d'un ensemble de techniques juxtaposées. Dans un film, l'animateur est parfois l'écrivain, souvent le metteur en scène; toutefois, le photographe a voix au chapitre, ainsi que l'ingénieur du son et quantité d'autres spécialistes. D'où la difficulté pour un individu seul d'échafauder une conception d'ensemble. (André Boll, Le cinéma et son histoire, Ed. Séquana) Ajoutons encore que le film dépend aussi du producteur et par lui de ses commanditaires. On peut, enfin, considérant les rapports existant entre le beau et les conditions de la vie en groupe citer ce texte de Diogène Laërce : Platon déjà, selon lui (comme il l'avait fait dans le domaine de la morale), ne manque pas d'accorder aux circonstance? leur part dans la détermination de la valeur. Aussi Diogène Laërce peut-il prêter à Platon l'opinion suivante : Il y a trois sortes de beauté : celle qu'on loue (ex. : la beauté du visage); une autre est la beauté pratique (ex. : celle d'un instrument, d'une maison, etc., toutes choses belles en raison de l'usage); enfin ce qui est conforme aux lois, aux mœurs, forme un genre de beauté utile. Ainsi donc il y a trois sortes de beauté : esthétique, pratique, utile. (Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres) Sans doute cette distinction n'est-elle pas sans intérêt pour éclairer la position du problème esthétique par les philosophes qui ont lié la question à des considérations d'ordre social ou technique.

1. Il est amusant de souligner que Marx semble amorcer, avant la lettre, une explication psychanalytique de l'art : la nostalgie d'une enfance.

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