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Faire sa part à la solitude?

Publié le 20/06/2012

Extrait du document

 

La Nausée parait en 1938; ce premier roman de J.-P. Sartre

répond à un dessein qui restera celui de l'auteur dans ses romans

ultérieurs : « exprimer sous une forme littéraire des vérités et des

sentiments métaphysiques

Cette forme est, dans La Nausée,

celle du journal d'Antoine Roquentin, « un garçon sans importance

collective, tout juste un individu «, selon la formule de Céline placée

en exergue. Individu bien singulier en tant que personnage romanesque,

Roquentin se vide peu à peu de ce qui, traditionnellement,

caractérise le moi des journaux intimes. Bien qu'il ait peur de la

solitude, il n'en souffre pas à proprement parler; bien qu'il se

sente souvent exclu, il n'est pas seul parce qu'une femme, des amis,

ou Dieu l'ont abandonné, mais parce que la solitude est une dimension

de l'existence. Le moi de Roquentin ne se révèle qu'à travers

des expériences réflexives de la vacuité : « Tout ce qui reste de

rèel en moi, c'est de l'existence qui se sent exister. Et soudain

le Je pâlit, pâlit, et c' en est fait, il s'éteint.

« FAIRE SA PART À LA SOLITUDE? RI Maintenant, il y a partout des choses comme ce verre de bière, là, sur la table.

Quand je le vois, j'ai envie de dire: pouce, je ne joue plus.

Je comprends très bien que je suis allé trop loin.

Je suppose qu'on ne peut pas «faire sa part» à la solitude.

Cela ne veut pas dire que je regarde sous mon lit avant de me coucher, ni que j'appréhende de voir la porte de ma chambre s'ouvrir brusquement au milieu de la nuit.

Seulement, tout de mème, je suis inquiet : voilà une demi­ heure que j'évite de regarder ce verre de bière.

Je regarde au-dessus, au-dessous, à droite, à gauche : mais lui je ne veux pas le voir.

Et je sais très bien que tous les célibataires qui m'entourent ne peuvent m'être d'aucun secours: il est trop tard, je ne peux plus me réfugier parmi eux.

Ils viendraient me tapo­ ter l'épaule, ils me diraient : «Eh bien, qu'est-ce qu'il a, ce verre de bîère? Il est comme les autres.

Il est biseauté, avec une anse, il porte un petit écusson avec une pelle et sur l'écus­ son on a écrit « Spatenbrau ».

» Je sais tout cela, mais je sais qu'il y a autre chose.

Presque rien.

Mais je ne peux plus expli­ quer ce que je vois.

A personne.

Voilà :je glisse tout doucement au fond de l'eau, vers la peur.

Je suis seul au milieu de ces voix joyeuses et raisonnables.

Tous ces types passent leur temps à s'expliquer, à reconnaître avec bonheur qu'ils sont du même avis.

Quelle importance ils attachent, mon Dieu, à penser tous ensemble les mêmes choses.

Il suffit de voir la tête qu'ils font quand passe au milieu d'eux un de ces hommes aux yeux de poisson, qui ont l'air de regarder en dedans et avec lesquels on ne peut plus du tout tomber d'accord.

Quand j'avais huit ans et que je jouais au Luxembourg, il y en avait un qui venait s'asseoir dans une guérite, contre la grille qui longe la rue Auguste-Comte.

Il ne parlait pas, mais, de temps à autre, il étendait la jambe et regardait son pied d'un air effrayé.

Ce pied portait une bottine, mais l'autre pied était dans une pantoufle.

Le gardien a dit à mon oncle que c'était un ancien censeur.

On J'avait mis à la retraite parce qu'il était venu lire les notes trimestrielles dans les classes en habit d'académicien.

Nous en avions une peur horrible parce que nous sentions qu'il était seul.

Un jour il a souri à Robert, en lui tendant les bras de loin : Robert a failli s'évanouir.

Ce n'est pas l'air misérable de ce type qui nous faisait peur, ni la tumeur qu'il avait au cou et qui frottait contre. »

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