Devoir de Philosophie

Gide : Si le grain ne meurt

Publié le 03/03/2011

Extrait du document

gide

   Ce texte commence la deuxième partie de l'autobiographie de Gide. L'auteur aborde une partie de sa vie dont il redoute d'avoir du mal à parler. Ce passage est l'expression de ses incertitudes.    Les faits dont je dois à présent le récit, les mouvements de mon cœur et de ma pensée, je veux les présenter dans cette même lumière qui me les éclairait d'abord, et ne laisser point trop paraître le jugement que je portai sur eux par la suite.    5 D'autant que ce jugement a plus d'une fois varié et que je regarde ma vie tour à tour d'un œil indulgent ou sévère suivant qu'il fait plus ou moins clair au-dedans de moi. Enfin, s'il m'est récemment apparu qu'un acteur important, le Diable, avait bien pu prendre part au drame, je raconterai 10 néanmoins ce drame sans faire intervenir d'abord celui que je n'identifiai que longtemps plus tard. Par quels détours je fus mené, vers quel aveuglement de bonheur, c'est ce que je me propose de dire. En ce temps de ma vingtième année, je commençai de me persuader qu'il ne pouvait m'advenir rien 15 que d'heureux; je conservai jusqu'à ces derniers mois cette confiance, et je tiens pour un des plus importants de ma vie l'événement qui m'en fit douter brusquement. Encore après le doute me ressaisis-je — tant est exigeante ma joie; tant est forte en moi l'assurance que l'événement le plus malheureux 20 en première apparence reste celui qui, bien considéré, peut aussi le mieux nous instruire, qu'il y a quelque profit dans le pire, qu'à quelque chose malheur est bon, et que si nous ne reconnaissons pas plus souvent le bonheur, c'est qu'il vient à nous avec un visage autre que celui que nous attendions. 25 Mais assurément j'anticipe, et vais gâcher tout mon récit si je donne pour acquis déjà l'état de joie, qu'à peine j'imaginais possible, qu'à peine, surtout, j'osais imaginer permis. Lorsque ensuite je fus mieux instruit, certes tout cela m'a paru plus facile; j'ai pu sourire des immenses tourments que 30 de petites difficultés me causaient, appeler par leur nom des velléités indistinctes encore et qui m'épouvantaient parce que je n'en discernais point le contour. En ce temps il me fallait tout découvrir, inventer à la fois et le tourment et le remède, et je ne sais lequel des deux m'apparaissait le plus 35 monstrueux.    Si le grain ne meurt, IIe partie, Éd. Gallimard

Liens utiles