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Han d'Islande --Je crois que, lorsque nous aurons compté la quatrième année depuis son départ, nous serons aussi près de son retour qu'aujourd'hui.

Publié le 12/04/2014

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Han d'Islande --Je crois que, lorsque nous aurons compté la quatrième année depuis son départ, nous serons aussi près de son retour qu'aujourd'hui. Éthel pâlit. --Dieu! croyez-vous donc qu'il ne reviendra pas? Schumacker ne répondit point. La jeune fille répéta sa question avec un accent suppliant et inquiet. --N'a-t-il donc pas promis qu'il reviendrait? dit brusquement le prisonnier. --Oui, sans doute, seigneur! reprit Éthel empressée. --Eh bien! comment pouvez-vous compter sur son retour? n'est-ce pas un homme? Je crois que le vautour pourra retourner au cadavre, mais je ne crois pas au retour du printemps dans l'année qui décline. Éthel, voyant son père retomber dans ses mélancolies, se rassura; il y avait dans son coeur de vierge et d'enfant une voix qui démentait impérieusement la philosophie chagrine du vieillard. --Mon père, dit-elle avec fermeté, le seigneur Ordener reviendra; ce n'est pas un homme comme les autres hommes. --Qu'en savez-vous, jeune fille? --Ce que vous en savez vous-même, mon seigneur et père. --Je ne sais rien, dit le vieillard. J'ai entendu des paroles d'un homme qui annonçaient des actions d'un dieu. Puis il ajouta, avec un rire amer: --J'ai réfléchi sur cela, et j'ai vu que c'était trop beau pour y croire. --Et moi, seigneur, j'y ai cru, précisément parce que c'était beau. --Oh! jeune fille, si vous étiez ce que vous deviez être, comtesse de Tongsberg et princesse de Wollin, entourée, comme vous le seriez, d'une cour de beaux traîtres et d'adorateurs intéressés, cette crédulité serait d'un grand danger pour vous. --Mon père et seigneur, ce n'est pas crédulité, c'est confiance. --On s'aperçoit aisément, Éthel, qu'il y a du sang français dans vos veines. Cette idée ramena le vieillard, par une transition imperceptible, à des souvenirs, et il continua avec une sorte de complaisance: --Car ceux qui ont dégradé votre père plus qu'il n'avait été élevé, ne pourront empêcher que vous ne soyez fille de Charlotte, princesse de Tarente, et que l'une de vos aïeules ne soit Adèle ou Édèle, comtesse de Flandre, dont vous portez le nom. Éthel pensait à toute autre chose. --Mon père, vous jugez mal le noble Ordener. XXIV 118 Han d'Islande --Noble, ma fille! quel sens donnez-vous à ce mot? J'ai fait des nobles qui ont été bien vils. --Je ne veux point dire, seigneur, qu'il soit noble de la noblesse qui se donne. --Est-ce donc que vous savez qu'il descend d'un jarl ou d'un hersa? [Footnote: Les anciens seigneurs en Norvège, avant que Griffenfeld fondât une noblesse régulière, portaient les titres de hersa (baron), ou jarl (comte). C'est de ce dernier mot qu'est formé le mot anglais earl (comte).] --Je l'ignore comme vous, mon père. Il est peut-être, poursuivit-elle en baissant les yeux, le fils d'un serf ou d'un vassal. Hélas! on peint des couronnes et des lyres sur le velours d'un marchepied. Je veux dire seulement d'après vous, mon vénéré seigneur, qu'il est noble de coeur. De tous les hommes qu'elle avait vus, Ordener était celui qu'Éthel connaissait le plus et le moins tout ensemble. Il était apparu dans sa destinée, pour ainsi dire, comme ces anges qui visitaient les premiers hommes, en s'enveloppant à la fois de clartés et de mystères. Leur seule présence révélait leur nature, et l'on adorait. Ainsi Ordener avait laissé voir à Éthel ce que les hommes cachent le plus, son coeur; il avait gardé le silence sur ce dont ils se vantent assez volontiers, sa patrie et sa famille; son regard avait suffi à Éthel, et elle avait eu foi en ses paroles. Elle l'aimait, elle lui avait donné sa vie, elle n'ignorait rien de son âme, et ne savait pas son nom. --Noble de coeur! répéta le vieillard, noble de coeur! Cette noblesse est au-dessus de celle que donnent les rois; c'est Dieu qui la donne. Il la prodigue moins qu'eux. Ici le prisonnier leva les yeux vers ses armoiries brisées, en ajoutant: --Et il ne la reprend jamais. --Aussi, mon père, dit la jeune fille, celui qui garde l'une se console-t-il aisément d'avoir perdu l'autre. Cette parole fit tressaillir le père et lui rendit son courage. Il reprit d'une voix ferme: --Vous avez raison, jeune fille. Mais vous ne savez pas que la disgrâce jugée injuste par le monde est quelquefois justifiée par notre intime conscience. Telle est notre misérable nature; une fois malheureux, il s'élève en nous-mêmes, pour nous reprocher des fautes et des erreurs, une foule de voix qui dormaient dans la prospérité. --Ne parlez pas ainsi, mon illustre père, dit Éthel, profondément émue; car, à la voix altérée du vieillard, elle sentait qu'il avait laissé échapper le secret de l'une de ses douleurs. Elle leva ses yeux sur lui, et, baisant sa main froide et ridée, elle reprit doucement: --Vous jugez bien sévèrement deux hommes nobles, le seigneur Ordener et vous, mon vénéré père. --Vous décidez légèrement, Éthel. On dirait que vous ne savez pas que la vie est une chose grave. --Ai-je donc mal fait, seigneur, de rendre justice au généreux Ordener? Schumacker fronça le sourcil d'un air mécontent. --Je ne puis vous approuver, ma fille, d'attacher ainsi votre admiration à un inconnu, que vous ne reverrez jamais sans doute. XXIV 119

« —Noble, ma fille! quel sens donnez-vous à ce mot? J'ai fait des nobles qui ont été bien vils. —Je ne veux point dire, seigneur, qu'il soit noble de la noblesse qui se donne. —Est-ce donc que vous savez qu'il descend d'un jarl ou d'un hersa? [Footnote: Les anciens seigneurs en Norvège, avant que Griffenfeld fondât une noblesse régulière, portaient les titres de hersa (baron), ou jarl (comte).

C'est de ce dernier mot qu'est formé le mot anglais earl (comte).] —Je l'ignore comme vous, mon père.

Il est peut-être, poursuivit-elle en baissant les yeux, le fils d'un serf ou d'un vassal.

Hélas! on peint des couronnes et des lyres sur le velours d'un marchepied.

Je veux dire seulement d'après vous, mon vénéré seigneur, qu'il est noble de coeur. De tous les hommes qu'elle avait vus, Ordener était celui qu'Éthel connaissait le plus et le moins tout ensemble.

Il était apparu dans sa destinée, pour ainsi dire, comme ces anges qui visitaient les premiers hommes, en s'enveloppant à la fois de clartés et de mystères.

Leur seule présence révélait leur nature, et l'on adorait.

Ainsi Ordener avait laissé voir à Éthel ce que les hommes cachent le plus, son coeur; il avait gardé le silence sur ce dont ils se vantent assez volontiers, sa patrie et sa famille; son regard avait suffi à Éthel, et elle avait eu foi en ses paroles.

Elle l'aimait, elle lui avait donné sa vie, elle n'ignorait rien de son âme, et ne savait pas son nom. —Noble de coeur! répéta le vieillard, noble de coeur! Cette noblesse est au-dessus de celle que donnent les rois; c'est Dieu qui la donne.

Il la prodigue moins qu'eux. Ici le prisonnier leva les yeux vers ses armoiries brisées, en ajoutant: —Et il ne la reprend jamais. —Aussi, mon père, dit la jeune fille, celui qui garde l'une se console-t-il aisément d'avoir perdu l'autre. Cette parole fit tressaillir le père et lui rendit son courage.

Il reprit d'une voix ferme: —Vous avez raison, jeune fille.

Mais vous ne savez pas que la disgrâce jugée injuste par le monde est quelquefois justifiée par notre intime conscience.

Telle est notre misérable nature; une fois malheureux, il s'élève en nous-mêmes, pour nous reprocher des fautes et des erreurs, une foule de voix qui dormaient dans la prospérité. —Ne parlez pas ainsi, mon illustre père, dit Éthel, profondément émue; car, à la voix altérée du vieillard, elle sentait qu'il avait laissé échapper le secret de l'une de ses douleurs.

Elle leva ses yeux sur lui, et, baisant sa main froide et ridée, elle reprit doucement: —Vous jugez bien sévèrement deux hommes nobles, le seigneur Ordener et vous, mon vénéré père. —Vous décidez légèrement, Éthel.

On dirait que vous ne savez pas que la vie est une chose grave. —Ai-je donc mal fait, seigneur, de rendre justice au généreux Ordener? Schumacker fronça le sourcil d'un air mécontent. —Je ne puis vous approuver, ma fille, d'attacher ainsi votre admiration à un inconnu, que vous ne reverrez jamais sans doute.

Han d'Islande XXIV 119. »

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