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Han d'Islande --Oh!

Publié le 12/04/2014

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Han d'Islande --Oh! dit la jeune fille, sur laquelle ces paroles glacées tombaient comme un poids, ne croyez pas cela. Nous le reverrons. N'est-ce pas pour vous qu'il va affronter ce danger? --Je me suis comme vous, je l'avoue, laissé prendre d'abord à ses promesses. Mais non, il n'ira pas, et alors il ne reviendra pas vers nous. --Il ira, seigneur, il ira! Le ton dont la jeune fille prononça ces mots était presque celui de l'offense. Elle se sentait outragée dans son Ordener. Hélas! elle était trop sûre dans son âme de ce qu'elle affirmait! Le prisonnier reprit, sans paraître ému: --Eh bien! s'il va combattre ce brigand, s'il se dévoue à ce danger, il en sera de même; il ne reviendra pas. Pauvre Éthel!--combien une parole dite avec indifférence peut quelquefois froisser douloureusement la plaie secrète d'un coeur inquiet et déchiré! Elle baissa son visage pâle, pour dérober au regard froid de son père deux larmes qui s'échappaient malgré elle de ses paupières gonflées. --O mon père! murmura-t-elle, au moment où vous parlez ainsi, peut-être ce noble infortuné meurt-il pour vous! Le vieux ministre secoua la tête en signe de doute. --Je ne le crois pas plus que je ne le désire; et d'ailleurs, où serait mon crime? J'aurais été ingrat envers ce jeune homme, comme tant d'autres l'ont été envers moi. Un soupir profond fut la seule réponse d'Éthel; et Schumacker, se penchant vers son bureau, continua de déchirer d'un air distrait quelques feuillets des Vies des Hommes illustres de Plutarque, dont le volume, déjà lacéré en vingt endroits, et surchargé de notes, était devant lui. Un moment après, le bruit de la porte qui s'ouvrait se fit entendre, et Schumacker, sans se détourner, cria sa défense habituelle:--Qu'on n'entre pas! laissez-moi; je ne veux pas qu'on entre. --C'est son excellence le gouverneur, répondit la voix de l'huissier. En effet, un vieillard, revêtu d'un grand habit de général, portant à son cou les colliers de l'éléphant, de dannebrog et de la toison d'or, s'avança vers Schumacker, qui se leva à demi, en répétant entre ses dents: --Le gouverneur! le gouverneur!--Le général salua avec respect Éthel, qui, debout près de son père, le considérait d'un air inquiet et craintif. Peut-être, avant d'aller plus loin, n'est-il pas inutile de rappeler en quelques mots les motifs de cette visite du général Levin à Munckholm. Le lecteur n'a pas oublié les fâcheuses nouvelles qui tourmentaient le vieux gouverneur, au chapitre XX de cette véritable histoire. En les recevant, la nécessité d'interroger Schumacker s'était d'abord présentée à l'esprit du général; mais il n'avait pu s'y décider sans, une extrême répugnance. L'idée d'aller tourmenter un infortuné prisonnier, déjà livré à tant de tourments, et qu'il avait vu si puissant, de scruter sévèrement les secrets du malheur, même coupable, déplaisait à son âme bonne et généreuse. Cependant le service du roi l'exigeait; il ne devait pas quitter Drontheim sans emporter les nouvelles lueurs qui pouvaient jaillir de l'interrogatoire de l'auteur apparent de l'insurrection des mineurs. C'était donc le soir qui devait précéder son départ qu'après un entretien long et confidentiel avec la comtesse d'Ahlefeld, le XXIV 120 Han d'Islande gouverneur s'était résigné à voir le captif. En se rendant au château, l'idée des intérêts de l'état, du parti que ses nombreux ennemis personnels pourraient tirer de ce qu'on nommerait sa négligence, et peut-être aussi d'astucieuses paroles de la grande-chancelière, avaient fermenté dans sa tête et l'avaient ramené à la fermeté. Il était donc monté au donjon du Lion de Slesvig avec des projets de sévérité; il se promettait d'être avec le conspirateur Schumacker comme s'il n'avait jamais connu le chancelier Griffenfeld, de dépouiller tous ses souvenirs et jusqu'à son caractère, et de parler en juge inflexible à cet ancien confrère de faveur et de puissance. Cependant, à peine entré dans l'appartement de l'ex-chancelier, le visage, vénérable, quoique morose, du vieillard l'avait frappé; la figure douce, quoique fière, d'Éthel l'avait attendri; et le premier aspect des deux prisonniers avait déjà dissipé la moitié de sa sévérité. Il s'avança vers le ministre tombé, et lui tendit involontairement la main en disant, sans s'apercevoir que l'autre ne répondait pas à sa politesse: --Salut, comte de Griffenf...--C'était la surprise d'une vieille habitude. Il se reprit précipitamment: --Seigneur Schumacker!--Puis il s'arrêta, tout satisfait et tout épuisé d'un tel effort. Il se fit une pause. Le général cherchait dans sa tête quelles paroles assez sévères pourraient dignement répondre à la dureté de ce début. --Eh bien, dit enfin Schumacker, vous êtes le gouverneur du Drontheimhus? Le général, un peu surpris de se voir questionné par celui qu'il venait interroger, fit un signe affirmatif. --En ce cas, reprit le prisonnier, j'ai une plainte à vous faire. --Une plainte! laquelle? laquelle? et le visage du noble Levin prenait une expression d'intérêt. Schumacker continua d'un air d'humeur: --Un ordre du vice-roi prescrit qu'on me laisse libre et tranquille dans ce donjon. --Je connais cet ordre. --Seigneur gouverneur, on se permet pourtant de m'importuner et de pénétrer dans ma prison. --Qui donc? s'écria le général; nommez-moi celui qui ose... --Vous, seigneur gouverneur. Ces paroles, prononcées d'un ton hautain, blessèrent le général. Il répondit d'une voix presque irritée: --Vous oubliez que mon pouvoir, lorsqu'il s'agit de servir le roi, ne connaît point de limites. --Si ce n'est, dit Schumacker, celles du respect qu'on doit au malheur. Mais les hommes ne savent pas cela. L'ex-grand-chancelier parlait ainsi, comme s'il se fût parlé à lui-même. Il fut entendu du gouverneur. XXIV 121

« gouverneur s'était résigné à voir le captif.

En se rendant au château, l'idée des intérêts de l'état, du parti que ses nombreux ennemis personnels pourraient tirer de ce qu'on nommerait sa négligence, et peut-être aussi d'astucieuses paroles de la grande-chancelière, avaient fermenté dans sa tête et l'avaient ramené à la fermeté. Il était donc monté au donjon du Lion de Slesvig avec des projets de sévérité; il se promettait d'être avec le conspirateur Schumacker comme s'il n'avait jamais connu le chancelier Griffenfeld, de dépouiller tous ses souvenirs et jusqu'à son caractère, et de parler en juge inflexible à cet ancien confrère de faveur et de puissance. Cependant, à peine entré dans l'appartement de l'ex-chancelier, le visage, vénérable, quoique morose, du vieillard l'avait frappé; la figure douce, quoique fière, d'Éthel l'avait attendri; et le premier aspect des deux prisonniers avait déjà dissipé la moitié de sa sévérité. Il s'avança vers le ministre tombé, et lui tendit involontairement la main en disant, sans s'apercevoir que l'autre ne répondait pas à sa politesse: —Salut, comte de Griffenf...—C'était la surprise d'une vieille habitude.

Il se reprit précipitamment: —Seigneur Schumacker!—Puis il s'arrêta, tout satisfait et tout épuisé d'un tel effort. Il se fit une pause.

Le général cherchait dans sa tête quelles paroles assez sévères pourraient dignement répondre à la dureté de ce début. —Eh bien, dit enfin Schumacker, vous êtes le gouverneur du Drontheimhus? Le général, un peu surpris de se voir questionné par celui qu'il venait interroger, fit un signe affirmatif. —En ce cas, reprit le prisonnier, j'ai une plainte à vous faire. —Une plainte! laquelle? laquelle? et le visage du noble Levin prenait une expression d'intérêt. Schumacker continua d'un air d'humeur: —Un ordre du vice-roi prescrit qu'on me laisse libre et tranquille dans ce donjon. —Je connais cet ordre. —Seigneur gouverneur, on se permet pourtant de m'importuner et de pénétrer dans ma prison. —Qui donc? s'écria le général; nommez-moi celui qui ose... —Vous, seigneur gouverneur. Ces paroles, prononcées d'un ton hautain, blessèrent le général.

Il répondit d'une voix presque irritée: —Vous oubliez que mon pouvoir, lorsqu'il s'agit de servir le roi, ne connaît point de limites. —Si ce n'est, dit Schumacker, celles du respect qu'on doit au malheur.

Mais les hommes ne savent pas cela. L'ex-grand-chancelier parlait ainsi, comme s'il se fût parlé à lui-même.

Il fut entendu du gouverneur.

Han d'Islande XXIV 121. »

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