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HERNANI DE VICTOR HUGO (TEXTE)

Publié le 16/06/2012

Extrait du document

hugo

HERNANI.

 

ACTE PREMIER - LE ROI.

 

SARAGOSSE.

 

_Une chambre a coucher. La nuit. Une lampe sur la table_.

 

SCENE PREMIERE.

 

DONA JOSEFA DUARTE (_vieille, en noir, avec le corps de sa jupe cousu

de jais, a la mode d'Isabelle la Catholique_[1]); DON CARLOS.

 

DONA JOSEFA (_seule_). _Elle ferme les rideaux cramoisis de la fenetre

et met en ordre quelques fauteuils. On frappe a une petite porte

derobee a droite. Elle ecoute. On frappe un second coup_.

    Serait-ce deja lui?

 

_Un nouveau coup_.

    C'est bien a l'escalier

    Derobe.

 

_Un quatrieme coup_.

    Vite, ouvrons.

 

_Elle ouvre la petite porte masquee. Entre don Carlos, le manteau sur

le nez et le chapeau sur les yeux_.

    Bonjour, beau cavalier.

 

_Elle l'introduit. Il ecarte son manteau et laisse voir un riche

costume de velours et de soie, a la mode castillane de 1519. Elle le

regarde sous le nez[2] et recule etonnee_.

    Quoi, seigneur Hernani, ce n'est pas vous!--Main-forte[3]! Au feu!

 

DON CARLOS (_lui saisissant le bras_).

    Deux mots de plus, duegne, vous etes morte!

 

_Il la regarde fixement. Elle se tait, effrayee_.

    Suis-je chez dona Sol? fiancee au vieux duc[4]

    De Pastrana, son oncle, un bon seigneur, caduc,

    Venerable et jaloux? dites? La belle adore

    Un cavalier sans barbe et sans moustache encore,

    Et recoit tous les soirs, malgre les envieux,

    Le jeune amant sans barbe a la barbe du vieux.

    Suis-je bien informe?

 

_Elle se tait. Il la secoue par le bras_.

    Vous repondrez peut-etre?

 

DONA JOSEFA.

    Vous m'avez defendu de dire deux mots, maitre.

 

DON CARLOS.

    Aussi n'en veux-je qu'un.--Oui,--non.--Ta dame est bien

    Dona Sol de Silva? parle.

 

DONA JOSEFA.

    Oui.--Pourquoi?

 

DON CARLOS.

    Pour rien. Le duc, son vieux futur[5], est absent a cette heure?

 

DONA JOSEFA.

    Oui.

 

DON CARLOS.

    Sans doute elle attend son jeune?

 

DONA JOSEFA.

    Oui.

 

DON CARLOS.

    Que je meure!

 

DONA JOSEFA.

    Oui.

 

DON CARLOS.

    Duegne, c'est ici qu'aura lieu l'entretien?

 

DONA JOSEFA.

    Oui.

 

DON CARLOS.

    Cache-moi ceans.

 

DONA JOSEFA.

    Vous!

 

DON CARLOS.

    Moi.

 

DONA JOSEFA.

    Pourquoi?

 

DON CARLOS.

    Pour rien.

 

DONA JOSEFA.

    Moi! vous cacher!

 

DON CARLOS.

    Ici.

 

DONA JOSEFA.

    Jamais!

 

DON CARLOS (_tirant de sa ceinture un poignard et une bourse_).

    Daignez, madame,

    Choisir de cette bourse ou bien de cette lame.

 

DONA JOSEFA (_prenant la bourse_).

    Vous etes donc le diable?

 

DON CARLOS.

    Oui, duegne.

 

DONA JOSEFA (_ouvrant une armoire etroite dans le mur_).

    Entrez ici.

 

DON CARLOS (_examinant l'armoire_).

    Cette boite?

 

DONA JOSEFA (_la refermant_).

    Va-t'en, si tu n'en veux pas.

 

DON CARLOS (_rouvrant l'armoire_).

    Si![6]

 

_L'examinant encore_.

    Serait-ce l'ecurie ou tu mets d'aventure

    Le manche du balai[7] qui te sert de monture?

 

_Il s'y blottit avec peine_.

    Ouf!

 

DONA JOSEFA (_joignant les mains et scandalisee_).

    Un homme ici!

 

DON CARLOS (_dans l'armoire restee ouverte_).

    C'est une femme, est-ce pas[8],

    Qu'attendait ta maitresse?

 

DONA JOSEFA.

    O ciel! j'entends le pas

    De dona Sol.--Seigneur, fermez vite la porte.

 

_Elle pousse la porte de l'armoire, qui se referme_.

 

DON CARLOS (_de l'interieure de l'armoire_).

    Si vous dites un mot, duegne, vous etes morte.

 

DONA JOSEFA (_seule_).

    Qu'est cet homme? Jesus mon Dieu! Si j'appelais?

    Qui? Hors madame et moi, tout dort dans le palais.

    Bah! l'autre va venir. La chose le regarde.

    Il a sa bonne epee, et que le ciel nous garde

    De l'enfer!

 

_Pesant la bourse_.

    Apres tout, ce n'est pas un voleur[9].

 

_Entre dona Sol, en blanc. Dona Josefa cache la bourse_.

 

SCENE II.

 

DONA JOSEFA, DON CARLOS (_cache_); DONA SOL. _Puis_ HERNANI.

 

DONA SOL.

    Josefa!

 

DONA JOSEFA.

    Madame?

 

DONA SOL.

    Ah! je crains quelque malheur.

    Hernani devrait etre ici.

 

_Bruit de pas a la petite porte_.

    Voici qu'il monte.

    Ouvre avant qu'il ne frappe, et fais vite, et sois prompte.

 

_Josefa ouvre la petite porte. Entre Hernani. Grand manteau, grand

chapeau. Dessous, un costume de montagnard d'Aragon, gris, avec une

cuirasse de cuir, une epee, un poignard, et un cor a la ceinture_.

 

DONA SOL (_courant a lui_).

    Hernani!

 

HERNANI.

    Dona Sol! Ah! c'est vous que je vois

    Enfin! et cette voix qui parle est votre voix!

    Pourquoi le sort mit-il mes jours si loin des votres?

    J'ai tant besoin de vous pour oublier les autres!

 

DONA SOL (_touchant ses vetements_).

    Jesus! votre manteau ruisselle! il pleut donc bien?

 

HERNANI.

    Je ne sais.

 

DONA SOL.

    Vous devez avoir froid!

 

HERNANI.

    Ce n'est rien.

 

DONA SOL.

    Otez donc ce manteau.

 

HERNANI.

    Dona Sol, mon amie,

    Dites-moi, quand la nuit vous etes endormie,

    Calme, innocente et pure, et qu'un sommeil joyeux

    Entr'ouvre votre bouche et du doigt clot vos yeux,

    Un ange vous dit-il combien vous etes douce

    Au malheureux que tout abandonne et repousse?

 

DONA SOL.

    Vous avez bien tarde, seigneur! Mais dites-moi

    Si vous avez froid.

 

HERNANI.

    Moi! je brule pres de toi!

    Ah! quand l'amour jaloux bouillonne dans nos tetes,

    Quand notre coeur se gonfle et s'emplit de tempetes,

    Qu'importe ce que peut un nuage des airs

    Nous jeter en passant de tempete et d'eclairs[10]!

 

DONA SOL (_lui defaisant son manteau_).

    Allons! donnez la cape,--et l'epee avec elle.

 

HERNANI (_la main sur son epee_).

    Non. C'est mon autre amie, innocente et fidele.

    --Dona Sol, le vieux duc, votre futur epoux,

    Votre oncle, est donc absent?

 

DONA SOL.

    Oui, cette heure est a nous.

 

HERNANI.

    Cette heure! Et voila tout. Pour nous, plus rien qu'une heure!

    Apres, qu'importe? il faut qu'on oublie ou qu'on meure.

    Ange! une heure avec vous! une heure, en verite,

    A qui voudrait la vie, et puis l'eternite!

 

DONA SOL.

    Hernani!

 

HERNANI (_amerement_).

    Que je suis heureux que le duc sorte!

    Comme un larron qui tremble et qui force une porte;

    Vite, j'entre, et vous vois, et derobe au vieillard

    Une heure de vos chants et de votre regard;

    Et je suis bien heureux, et sans doute on m'envie

    De lui voler une heure, et lui me prend ma vie!

 

DONA SOL.

    Calmez-vous.

 

_Remettant le manteau a la duegne_.

    Josefa, fais secher le manteau.

 

_Josefa sort. Elle s'assied et fait signe a Hernani de venir pres

d'elle_.

    Venez la.

 

HERNANI (_sans l'entendre_).

    Donc le duc est absent du chateau?

 

DONA SOL (_souriant_).

    Comme vous etes grand!

 

HERNANI.

    Il est absent.

 

DONA SOL.

    Chere ame,

    Ne pensons plus au duc.

 

HERNANI.

    Ah! pensons-y, madame!

    Ce vieillard! il vous aime, il va vous epouser!

    Quoi donc! vous prit-il pas l'autre jour un baiser?

    N'y plus penser!

 

DONA SOL (_riant_).

    C'est la ce qui vous desespere!

    Un baiser d'oncle! au front! presque un baiser de pere!

 

HERNANI.

    Non. Un baiser d'amant, de mari, de jaloux.

    Ah! vous serez a lui, madame! Y pensez-vous?

    O l'insense vieillard, qui, la tete inclinee,

    Pour achever sa route et finir sa journee,

    A besoin d'une femme, et va, spectre glace,

    Prendre une jeune fille! o vieillard insense!

    Pendant que d'une main il s'attache a la votre,

    Ne voit-il pas la mort qui l'epouse de l'autre?

    Il vient dans nos amours se jeter sans frayeur!

    Vieillard, va-t'en donner mesure au fossoyeur!

    --Qui fait ce mariage? On vous force, j'espere!

 

DONA SOL.

    Le roi, dit-on, le veut.

 

HERNANI.

    Le roi! le roi! Mon pere

    Est mort sur l'echafaud[11], condamne par le sien.

    Or, quoiqu'on ait vieilli depuis ce fait ancien,

    Pour l'ombre du feu roi, pour son fils, pour sa veuve,

    Pour tous les siens, ma haine est encor toute neuve!

    Lui, mort, ne compte plus. Et, tout enfant, je fis

    Le serment de venger mon pere sur son fils.

    Je te cherchais partout, Carlos, roi des Castilles!

    Car la haine est vivace entre nos deux familles.

    Les peres ont lutte sans pitie, sans remords,

    Trente ans! Or, c'est en vain que les peres sont morts.

    Leur haine vit. Pour eux la paix n'est point venue,

    Car les fils sont debout, et le duel continue.

    Ah! c'est donc toi qui veux cet execrable hymen!

    Tant mieux. Je te cherchais, tu viens dans mon chemin!

 

DONA SOL.

    Vous m'effrayez.

 

HERNANI.

    Charge d'un mandat d'anatheme,

    Il faut que j'en arrive a m'effrayer moi-meme[12]!

    Ecoutez. L'homme auquel, jeune, on vous destina,

    Ruy de Silva, votre oncle, est duc de Pastrafia,

    Riche-homme[13] d'Aragon, comte et grand de Castille[14].

    A defaut de jeunesse, il peut, o jeune fille,

    Vous apporter tant d'or, de bijoux, de joyaux,

    Que votre front reluise entre des fronts royaux,

    Et pour le rang, l'orgueil, la gloire et la richesse,

    Mainte reine peut-etre envira[15] sa duchesse.

    Voila donc ce qu'il est. Moi, je suis pauvre, et n'eus

    Tout enfant, que les bois ou je fuyais pieds nus.

    Peut-etre aurais-je aussi[16] quelque blason illustre

    Qu'une rouille de sang a cette heure delustre;

    Peut-etre ai-je des droits, dans l'ombre ensevelis,

    Qu'un drap d'echafaud noir cache encor sous ses plis,

    Et qui, si mon attente un jour n'est pas trompee,

    Pourront de ce fourreau sortir avec l'epee.

    En attendant, je n'ai recu du ciel jaloux

    Que l'air, le jour et l'eau, la dot qu'il donne a tous.

    Or du duc ou de moi souffrez qu'on vous delivre.

    Il faut choisir des deux, l'epouser, ou me suivre.

 

DONA SOL.

    Je vous suivrai.

 

HERNANI.

    Parmi mes rudes compagnons?

    Proscrits dont le bourreau sait d'avance les noms.

    Gens dont jamais le fer ni le coeur ne s'emousse,

    Ayant tous quelque sang a venger qui les pousse?

    Vous viendrez commander ma bande, comme on dit[17]?

    Car, vous ne savez pas, moi, je suis un bandit!

    Quand tout me poursuivait dans toutes les Espagnes[18],

    Seule, dans ses forets, dans ses hautes montagnes,

    Dans ses rocs ou l'on n'est que de l'aigle apercu,

    La vieille Catalogne[19] en mere m'a recu.

    Parmi ses montagnards, libres, pauvres, et graves,

    Je grandis, et demain trois mille de ses braves,

    Si ma voix dans leurs monts fait resonner ce cor,

    Viendront... Vous frissonnez. Reflechissez encor.

    Me suivre dans les bois, dans les monts, sur les greves,

    Chez des hommes pareils aux demons de vos reves,

    Soupconner tout, les yeux, les voix, les pas, le bruit,

    Dormir sur l'herbe, boire au torrent, et la nuit

    Entendre, en allaitant quelque enfant qui s'eveille,

    Les balles des mousquets siffler a votre oreille.

    Etre errante avec moi, proscrite, et, s'il le faut,

    Me suivre ou je suivrai mon pere,--a l'echafaud.

 

DONA SOL.

    Je vous suivrai.

 

HERNANI.

    Le duc est riche, grand, prospere.

    Le duc n'a pas de tache au vieux nom de son pere.

    Le duc peut tout. Le duc vous offre avec sa main

    Tresors, titres, bonheur...

 

DONA SOL.

    Nous partirons demain.

    Hernani, n'allez pas sur mon audace etrange

    Me blamer. Etes-vous mon demon ou mon ange?

    Je ne sais, mais je suis votre esclave. Ecoutez.

    Allez ou vous voudrez, j'irai. Restez, partez,

    Je suis a vous. Pourquoi fais-je ainsi? je l'ignore.

    J'ai besoin de vous voir et de vous voir encore

    Et de vous voir toujours. Quand le bruit de vos pas

    S'efface, alors je crois que mon coeur ne bat pas,

    Vous me manquez, je suis absente de moi-meme;

    Mais des qu'enfin ce pas que j'attends et que j'aime

    Vient frapper mon oreille, alors il me souvient[20]

    Que je vis, et je sens mon ame qui revient!

 

HERNANI (_la serrant dans ses bras_).

    Ange!

 

DONA SOL.

    A minuit. Demain. Amenez votre escorte,

    Sous ma fenetre. Allez, je serai brave et forte.

    Vous frapperez trois coups.

 

HERNANI.

    Savez-vous qui je suis,

    Maintenant?

 

DONA SOL.

    Monseigneur, qu'importe! Je vous suis.

 

HERNANI.

    Non, puisque vous voulez me suivre, faible femme,

    Il faut que vous sachiez quel nom, quel rang, quelle ame

    Quel destin est cache dans le patre Hernani.

    Vous vouliez d'un brigand, voulez-vous d'un banni?

 

DON CARLOS (_ouvrant avec fracas la porte de l'armoire_).

    Quand aurez-vous fini de conter votre histoire?

    Croyez-vous donc qu'on soit a l'aise en cette armoire?

 

_Hernani recule etonne. Dona Sol pousse un cri et se refugie dans

ses bras, en fixant sur don Carlos des yeux effares_.

 

HERNANI (_la main sur la garde de son epee_).

    Quel est cet homme?

 

DONA SOL.

    O ciel! Au secours!

 

HERNANI.

    Taisez-vous,

    Dona Sol! vous donnez l'eveil aux yeux jaloux.

    Quand je suis pres de vous, veuillez, quoi qu'il advienne[21],

    Ne reclamer jamais d'autre aide que la mienne.

 

_A don Carlos_.

    Que faisiez-vous la?

 

DON CARLOS.

    Moi? mais, a ce qu'il parait[22],

    je ne chevauchais pas a travers la foret.

 

HERNANI.

    Qui raille apres l'affront s'expose a faire rire

    Aussi son heritier.

 

DON CARLOS.

    Chacun son tour!--Messire,

    Parlons franc. Vous aimez madame et ses yeux noirs,

    Vous y venez mirer les votres tous les soirs,

    C'est fort bien. J'aime aussi madame, et veux connaitre[23]

    Qui j'ai vu tant de fois entrer par la fenetre,

    Tandis que je restais a la porte.

 

HERNANI.

    En honneur,

    Je vous ferai sortir par ou j'entre, seigneur.

 

DON CARLOS.

    Nous verrons. J'offre donc mon amour a madame[24].

    Partageons. Voulez-vous? J'ai vu dans sa belle ame

    Tant d'amour, de bonte, de tendres sentiments,

    Que madame a coup sur en a pour deux amants.

    Or, ce soir, voulant mettre a fin mon entreprise,

    Pris, je pense, pour vous, j'entre ici par surprise,

    Je me cache, j'ecoute, a ne vous celer rien;

    Mais j'entendais tres mal et j'etouffais tres bien.

    Et puis, je chiffonnais ma veste a la francaise[25].

    Ma foi, je sors!

 

HERNANI.

    Ma dague aussi n'est pas a l'aise

    Et veut sortir.

 

DON CARLOS (_le saluant_).

    Monsieur, c'est comme il vous plaira.

 

HERNANI (_tirant son epee_).

    En garde!

 

_Don Carlos tire son epee_.

 

DONA SOL (_se jetant entre eux_).

    Hernani! ciel!

 

DON CARLOS.

    Calmez-vous, senora.

 

HERNANI (_a don Carlos_).

    Dites-moi votre nom.

 

DON CARLOS.

    He! dites-moi le votre!

 

HERNANI.

    Je le garde, secret et fatal, pour un autre

    Qui doit un jour sentir, sous mon genou vainqueur,

    Mon nom a son oreille, et ma dague a son coeur!

 

DON CARLOS.

    Alors, quel est le nom de l'autre?

 

HERNANI.

    Que t'importe?

    En garde! defends-toi!

 

_Ils croisent leurs epees. Dona Sol tombe tremblante sur un fauteuil.

On entend des coups a la porte_.

 

DONA SOL (_se levant avec effroi_).

    Ciel! on frappe a la porte!

 

_Les champions s'arretent. Entre Josefa par la petite porte et tout

effaree_.

 

HERNANI (_a Josefa_).

    Qui frappe ainsi?

 

DONA JOSEFA (a dona Sol).

    Madame! un coup inattendu!

    C'est le duc qui revient!

 

DONA SOL (_joignant les mains_).

    Le duc! tout est perdu!

    Malheureuse!

 

DONA JOSEFA (_jetant les yeux autour d'elle_).

    Jesus! l'inconnu! des epees!

    On se battait! Voila de belles equipees[26]!

 

_Les deux combattants remettent leurs epees dans le fourreau. Don

Carlos s'enveloppe dans son manteau et rabat son chapeau sur ses

yeux. On frappe_.

 

HERNANI.

    Que faire?

 

_On frappe_.

 

UNE VOIX (_au dehors_).

    Dona Sol, ouvrez-moi!

 

_Dona Josefa fait un pas vers la porte. Hernani l'arrete_.

 

HERNANI.

    N'ouvrez-pas!

 

DONA JOSEFA (_tirant son chapelet_).

    Saint Jacques monseigneur[27]! tirez-nous de ce pas!

 

_On frappe de nouveau_.

 

HERNANI (_montrant l'armoire a Don Carlos_).

    Cachons-nous.

 

DON CARLOS.

    Dans l'armoire?

 

HERNANI (_montrant la porte_).

    Entrez-y. Je m'en charge.

    Nous y tiendrons tous deux.

 

DON CARLOS.

    Grand merci, c'est trop large!

 

HERNANI (_montrant la petite porte_).

    Fuyons par la.

 

DON CARLOS.

    Bonsoir. Pour moi, je reste ici.

 

HERNANI.

    Ah! tete et sang[28]! monsieur, vous me pairez ceci!

 

_A dona Sol_.

    Si je barricadais l'entree?

 

DON CARLOS (_a Josefa_).

    Ouvrez la porte.

 

HERNANI.

    Que dit-il?

 

DON CARLOS (_a Josefa interdite_).

    Ouvrez donc, vous dis-je!

 

_On frappe toujours. Dona Josefa va ouvrir en tremblant_.

 

DONA SOL.

    Je suis morte!

 

SCENE III.

 

LES MEMES. DON RUY GOMEZ DE SILVA, _barbe et cheveux blancs; en noir._

VALETS _avec des flambeaux_.

 

DON RUY GOMEZ.

    Des hommes chez ma niece a cette heure de nuit!

    Venez tous! cela vaut la lumiere et le bruit.

 

_A dona Sol_.

    Par saint Jean d'Avila, je crois que, sur mon ame,

    Nous sommes trois chez vous! C'est trop de deux[29], madame.

 

_Aux deux jeunes gens_.

    Mes jeunes cavaliers, que faites-vous ceans?

    Quand nous avions le Cid[30] et Bernard[31], ces geants

    De l'Espagne et du monde allaient par les Castilles

    Honorant les vieillards et protegeant les filles.

    C'etaient des hommes forts et qui trouvaient moins lourds

    Leur fer et leur acier que vous votre velours.

    Ces hommes-la portaient respect aux barbes grises,

    Faisaient agenouiller leur amour aux eglises[32],

    Ne trahissaient personne, et donnaient pour raison

    Qu'ils avaient a garder l'honneur de leur maison.

    S'ils voulaient une femme, ils la prenaient sans tache,

    En plein jour, devant tous, et l'epee, ou la hache,

    Ou la lance a la main.--Et quant a ces felons

    Qui, le soir, et les yeux tournes vers leurs talons,

    Ne fiant qu'a la nuit leurs manoeuvres infames,

    Par derriere aux maris volent l'honneur des femmes,

    J'affirme que le Cid, cet aieul de nous tous,

    Les eut tenus pour vils et fait mettre a genoux,

    Et qu'il eut, degradant leur noblesse usurpee,

    Soufflete leur blason du plat de son epee!

    Voila ce que feraient, j'y songe avec ennui,

    Les hommes d'autrefois aux hommes d'aujourd'hui.

    --Qu'etes-vous venus faire ici? C'est donc a dire

    Que je ne suis qu'un vieux dont les jeunes vont rire?

    On va rire de moi, soldat de Zamora[33]?

    Et quand je passerai, tete blanche, on rira?

    Ce n'est pas vous, du moins, qui rirez!

 

HERNANI.

    Duc...

 

DON RUY GOMEZ.

    Silence!

    Quoi! vous avez l'epee, et la dague, et la lance,

    La chasse, les festins, les meutes, les faucons,

    Les chansons a chanter le soir sous les balcons,

    Les plumes au chapeau, les casaques de soie,

    Les bals, les carrousels[34], la jeunesse, la joie,

    Enfants, l'ennui vous gagne! A toux prix, au hasard,

    Il vous faut un hochet. Vous prenez un vieillard.

    Ah! vous l'avez brise, le hochet! mais Dieu fasse

    Qu'il vous puisse en eclats rejaillir a la face!

    Suivez-moi!

 

HERNANI.

    Seigneur duc...

 

DON RUY GOMEZ.

    Suivez-moi! suivez-moi!

    Messieurs, avons-nous fait cela pour rire? Quoi!

    Un tresor est chez moi. C'est l'honneur d'une fille,

    D'une femme, l'honneur de toute une famille,

    Cette fille, je l'aime, elle est ma niece, et doit

    Bientot changer sa bague a l'anneau de mon doigt,

    Je la crois chaste et pure et sacree a tout homme,

    Or il faut que[35] je sorte une heure, et moi qu'on nomme

    Ruy Gomez de Silva, je ne puis l'essayer

    Sans qu'un larron d'honneur se glisse a mon foyer!

    Arriere! lavez donc vos mains, hommes sans ames,

    Car, rien qu'en y touchant, vous nous tachez nos femmes,

    Non. C'est bien. Poursuivez. Ai-je autre chose encor?

 

_Il arrache son collier_.

    Tenez, foulez aux pieds, foulez ma toison d'or[36]!

 

_Il jette son chapeau_.

    Arrachez mes cheveux, faites-en chose vile!

    Et vous pourrez demain vous vanter par la ville

    Que jamais debauches, dans leurs jeux insolents,

    N'ont sur plus noble front souille cheveux plus blancs.

 

DONA SOL.

    Monseigneur...

 

DON RUY GOMEZ (_a ses valets_).

    Ecuyers! ecuyers! a mon aide!

    Ma hache, mon poignard, ma dague de Tolede!

 

_Aux deux jeunes gens_.

    Et suivez-moi tous deux!

 

DON CARLOS (_faisant un pas_).

    Duc, ce n'est pas d'abord

    De cela qu'il s'agit. Il s'agit de la mort

    De Maximilien, empereur d'Allemagne.

 

_Il jette son manteau, et decouvre son visage cache par son chapeau_.

 

DON RUY GOMEZ.

    Raillez-vous?...--Dieu! le roi!

 

DONA SOL.

    Le roi!

 

HERNANI (_dont les yeux s'allument_).

    Le roi d'Espagne!

 

DON CARLOS (_gravement_).

    Oui, Carlos.--Seigneur duc, es-tu donc insense?

    Mon aieul l'empereur est mort. Je ne le sai

    Que de ce soir. Je viens, tout en hate, et moi-meme,

    Dire la chose, a toi, feal[37] sujet que j'aime,

    Te demander conseil, incognito, la nuit,

    Et l'affaire est bien simple, et voila bien du bruit!

 

_Don Ruy Gomez renvoie ses gens d'un signe. Il s'approche de don

Carlos que dona Sol examine avec crainte et surprise, et sur lequel

Hernani demeure dans un coin fixe des yeux etincelants_.

 

DON RUY GOMEZ.

    Mais pourquoi tarder tant a m'ouvrir cette porte?

 

DON CARLOS.

    Belle raison! tu viens avec toute une escorte!

    Quand un secret d'Etat m'amene en ton palais[38],

    Duc, est-ce pour l'aller dire[39] a tous tes valets!

 

DON RUY GOMEZ.

    Altesse, pardonnez! l'apparence...

 

DON CARLOS.

    Bon pere,

    Je t'ai fait gouverneur du chateau de Figuere[40],

    Mais qui dois-je a present faire ton gouverneur?

 

DON RUY GOMEZ.

    Pardonnez...

 

DON CARLOS.

    Il suffit. N'en parlons plus, seigneur.

    Donc l'empereur est mort[41].

 

DON RUY GOMEZ.

    L'aieul de votre altesse

    Est mort?

 

DON CARLOS.

    Duc, tu m'en vois penetre de tristesse.

 

DON RUY GOMEZ.

    Qui lui succede?

 

DON CARLOS.

    Un duc de Saxe est sur les rangs.

    Francois premier, de France, est un des concurrents.

 

DON RUY GOMEZ.

    Ou vont se rassembler les electeurs d'empire?

 

DON CARLOS.

    Ils ont choisi, je crois, Aix-la-Chapelle[42], ou Spire[43],

    Ou Francfort[44].

 

DON RUY GOMEZ.

    Notre roi, dont Dieu garde les jours,

    N'a-t-il pense jamais a l'empire?

 

DON CARLOS.

    Toujours.

 

DON RUY GOMEZ.

    C'est a vous qu'il revient.

 

DON CARLOS.

    Je le sais.

 

DON RUY GOMEZ.

    Votre pere

    Fut archiduc d'Autriche, et l'empire, j'espere,

    Aura ceci present[45], que c'etait votre aieul,

    Celui qui vient de choir de la pourpre au linceul.

 

DON CARLOS.

    Et puis, on est bourgeois de Gand[46].

 

DON RUY GOMEZ.

    Dans mon jeune age

    Je le vis, votre aieul. Helas! seul je surnage

    D'un siecle tout entier. Tout est mort a present.

    C'etait un empereur magnifique et puissant.

 

DON CARLOS.

    Rome est pour moi[47].

 

DON RUY GOMEZ.

    Vaillant, ferme, point tyrannique,

    Cette tete allait bien au vieux corps germanique[48]!

 

_Il s'incline sur les mains du roi et les baise_.

    Que je vous plains! Si jeune, en un tel deuil plonge!

 

DON CARLOS.

    Le pape veut ravoir la Sicile[49], que j'ai,

    Un empereur ne peut posseder la Sicile,

    Il me fait empereur, alors, en fils docile,

    Je lui rends Naple. Ayons l'aigle[50], et puis nous verrons

    Si je lui laisserai rogner les ailerons!

 

DON RUY GOMEZ.

    Qu'avec joie il verrait[51], ce veteran du trone,

    Votre front deja large aller a sa couronne!

    Ah! seigneur, avec vous nous le pleurerons bien,

    Cet empereur tres grand, tres bon et tres chretien!

 

DON CARLOS.

    Le saint-pere est adroit.--Qu'est-ce que la Sicile?

    C'est une ile qui pend a mon royaume, une ile,

    Une piece, un haillon, qui, tout dechiquete,

    Tient a peine a l'Espagne et qui traine a cote.

    --Que ferez-vous, mon fils[52], de cette ile bossue

    Au monde imperial au bout d'un fil cousue?

    Votre empire est mal fait; vite, venez ici,

    Des ciseaux! et coupons!--Tres saint-pere, merci!

    Car de ces pieces-la, si j'ai bonne fortune,

    Je compte au saint-empire en recoudre plus d'une,

    Et, si quelques lambeaux m'en etaient arraches,

    Rapiecer mes etats d'iles et de duches!

 

DON RUY GOMEZ.

    Consolez-vous[53]! il est un empire des justes

    Ou l'on revoit les morts plus saints et plus augustes!

 

DON CARLOS.

    Ce roi Francois premier, c'est un ambitieux!

    Le vieil empereur mort, vite il fait les doux yeux

    A l'empire! A-t-il pas sa France tres chretienne[54]?

    Ah! la part est pourtant belle, et vaut qu'on s'y tienne[55]!

    L'empereur mon aieul disait au roi Louis[56]:

    --Si j'etais Dieu le Pere, et si j'avais deux fils,

    Je ferais l'aine Dieu, le second roi de France.

 

_Au duc_.

    Crois-tu que Francois puisse avoir quelque esperance?

 

DON RUY GOMEZ.

    C'est un victorieux[57].

 

DON CARLOS.

    Il faudrait tout changer[58].

    La bulle d'or[59] defend d'elire un etranger.

 

DON RUY GOMEZ.

    A ce compte, seigneur, vous etes roi d'Espagne[60]!

 

DON CARLOS.

    Je suis bourgeois de Gand[61].

 

DON RUY GOMEZ.

    La derniere campagne

    A fait monter bien haut le roi Francois premier.

 

DON CARLOS.

    L'aigle qui va peut-etre eclore a mon cimier

    Peut aussi deployer ses ailes.

 

DON RUY GOMEZ.

    Votre altesse

    Sait-elle le latin?

 

DON CARLOS.

    Mal.

 

DON RUY GOMEZ.

    Tant pis. La noblesse

    D'Allemagne aime fort qu'on lui parle latin.

 

DON CARLOS.

    Ils se contenteront d'un espagnol hautain;

    Car il importe peu, croyez-en le roi Charle,

    Quand la voix parle haut, quelle langue elle parle.

    --Je vais en Flandre. Il faut que ton roi, cher Silva,

    Te revienne empereur. Le roi de France va

    Tout remuer. Je veux le gagner de vitesse.

    Je partirai sous peu.

 

DON RUY GOMEZ.

    Vous nous quittez, altesse,

    Sans purger l'Aragon de ces nouveaux bandits

    Qui partout dans nos monts levent leurs fronts hardis?

 

DON CARLOS.

    J'ordonne au duc d'Arcos d'exterminer la bande.

 

DON RUY GOMEZ.

    Donnez-vous aussi l'ordre au chef qui la commande

    De se laisser faire?

 

DON CARLOS.

    Eh! quel est ce chef? son nom?

 

DON RUY GOMEZ.

    Je l'ignore. On le dit un rude compagnon[62].

 

DON CARLOS.

    Bah! je sais que pour l'heure il se cache en Galice[63],

    Et j'en aurai raison[64] avec quelque milice.

 

DON RUY GOMEZ.

    De faux avis alors le disaient pres d'ici.

 

DON CARLOS.

    Faux avis!--Cette nuit, tu me loges.

 

DON RUY GOMEZ (_s'inclinant jusqu'a terre_).

    Merci, Altesse!

 

_Il appelle ses valets_.

    Faites tous honneur au roi mon hote.

 

_Les valets rentrent avec des flambeaux. Le duc les range sur deux

haies jusqu'a la porte du fond. Cependant dona Sol s'approche

lentement d'Hernani. Le roi les epie tous deux_.

 

DONA SOL (_bas a Hernani_).

    Demain, sous ma fenetre, a minuit, et sans faute.

    Vous frapperez des mains trois fois.

 

HERNANI (_bas_).

    Demain.

 

DON CARLOS (_a part_).

    Demain!

 

_Haut a dona Sol vers laquelle il fait un pas avec galanterie_.

    Souffrez que pour rentrer je vous offre la main.

 

_Il la reconduit a la porte. Elle sort_.

 

HERNANI (_la main dans sa poitrine sur la poignee de sa dague_).

    Mon bon poignard!

 

DON CARLOS (_revenant, a part_).

    Notre homme a la mine attrapee.

 

_Il prend a part Hernani_.

    Je vous ai fait l'honneur de toucher votre epee,

    Monsieur. Vous me seriez suspect pour cent raisons.

    Mais le roi don Carlos repugne aux trahisons.

    Allez. Je daigne encore proteger votre fuite.

 

DON RUY GOMEZ (_revenant et montrant Hernani_).

    Qu'est ce seigneur?

 

DON CARLOS.

    Il part. C'est quelqu'un de ma suite.

 

_Ils sortent avec les valets et les flambeaux, le duc precedant le

roi, une cire a la main_.

 

SCENE IV.

 

HERNANI (_seul_).

    Oui, de ta suite, o roi[65]! de ta suite!--J'en suis!

    Nuit et jour, en effet, pas a pas, je te suis.

    Un poignard a la main, l'oeil fixe sur ta trace,

    Je vais. Ma race en moi poursuit en toi ta race.

    Et puis, te voila donc mon rival! Un instant

    Entre aimer et hair je suis reste flottant,

    Mon coeur pour elle et toi n'etait point assez large,

    J'oubliais en l'aimant ta haine qui me charge[66]:

    Mais puisque tu le veux, puisque c'est toi qui viens

    Me faire souvenir, c'est bon, je me souviens!

    Mon amour fait pencher la balance incertaine

    Et tombe tout entier du cote de ma haine.

    Oui, je suis de ta suite, et c'est toi qui l'as dit!

    Va, jamais courtisan de ton lever maudit,

    jamais seigneur baisant ton ombre, ou majordome

    Ayant a te servir abjure son coeur d'homme,

    jamais chiens de palais dresses a suivre un roi

    Ne seront sur tes pas plus assidus que moi!

    Ce qu'ils veulent de toi, tous ces grands de Castille,

    C'est quelque titre creux, quelque hochet qui brille,

    C'est quelque mouton d'or[67] qu'on se va pendre au cou;

    Moi, pour vouloir si peu je ne suis pas si fou!

    Ce que je veux de toi, ce n'est point faveurs vaines,

    C'est l'ame de ton corps, c'est le sang de tes veines,

    C'est tout ce qu'un poignard, furieux et vainqueur,

    En y fouillant longtemps peut prendre[68] au fond d'un coeur.

    Va devant! je te suis. Ma vengeance qui veille

    Avec moi toujours marche et me parle a l'oreille.

    Va! je suis la, j'epie et j'ecoute, et sans bruit

    Mon pas cherche ton pas et le presse et le suit.

    Le jour tu ne pourras, o roi, tourner la tete

    Sans me voir immobile et sombre dans ta fete;

    La nuit tu ne pourras tourner les yeux, o roi,

    Sans voir mes yeux ardents luire derriere toi!

 

_Il sort par la petite porte_.

 

ACTE DEUXIEME - LE BANDIT.

 

SARAGOSSE.

 

_Un patio[1] du palais de Silva. A gauche, les grands murs du palais,

avec une fenetre a balcon. Au-dessous de la fenetre, une petite porte.

A droite et au fond, des maisons et des rues. Il est nuit. On voit

briller ca et la, aux facades des edifices, quelques fenetres encore

eclairees.

 

SCENE PREMIERE.

 

DON CARLOS, DON SANCHO SANCHEZ DE ZUNIGA, COMTE DE MONTEREY, DON

MATIAS CENTURION, MARQUIS D'ALMUNAN, DON RICARDO DE ROXAS, SEIGNEUR DE

CASAPALMA.

 

_Ils arrivent tous quatre, don Carlos en tete, chapeaux rabattus[2],

enveloppes de longs manteaux dont leurs epees soulevent le bord

inferieur_.

 

DON CARLOS (_examinant le balcon_).

    Voila bien le balcon, la porte... Mon sang bout.

 

_Montrant la fenetre qui n'est pas eclairee_.

    Pas de lumiere encor!

 

_Il promene ses yeux sur les autres croisees eclairees_.

    Des lumieres partout

    Ou je n'en voudrais pas, hors a cette fenetre

    Ou j'en voudrais!

 

DON SANCHO.

    Seigneur, reparlons de ce traitre.

    Et vous l'avez laisse partir!

 

DON CARLOS.

    Comme tu dis.

 

DON MATIAS.

    Et peut-etre c'etait le major des bandits!

 

DON CARLOS.

    Qu'il en soit le major ou bien le capitaine,

    Jamais roi couronne n'eut mine plus hautaine.

 

DON SANCHO.

    Son nom, seigneur?

 

DON CARLOS (_les yeux fixes sur la fenetre_).

    Mufioz... Fernan...

 

_Avec le geste d'un homme qui se rappelle tout a coup_.

    Un nom en i.

 

DON SANCHO.

    Hernani, peut-etre?

 

DON CARLOS.

    Oui.

 

DON SANCHO.

    C'est lui!

 

DON MATIAS.

    C'est Hernani?

    Le chef!

 

DON SANCHO (_au roi_).

    De ses propos vous reste-t-il memoire?

 

DON CARLOS (_qui ne quitte pas la fenetre des yeux_).

    He! je n'entendais rien dans leur maudite armoire!

 

DON SANCHO.

    Mais pourquoi le lacher lorsque vous le tenez?

 

_Don Carlos se tourne gravement et le regarde en face_.

 

DON CARLOS.

    Comte de Monterey, vous me questionnez.

 

_Les deux seigneurs reculent et se taisent_.

    Et d'ailleurs ce n'est point le souci qui m'arrete.

    J'en veux a sa maitresse[3] et non point a sa tete.

    J'en suis amoureux fou! Les yeux noirs les plus beaux,

    Mes amis! deux miroirs! deux rayons! deux flambeaux!

    Je n'ai rien entendu de toute leur histoire

    Que ces trois mots: Demain, venez a la nuit noire!

    Mais c'est l'essentiel. Est-ce pas excellent?

    Pendant que ce bandit, a mine de galant,

    S'attarde a quelque meurtre, a creuser quelque tombe,

    Je viens tout doucement denicher sa colombe.

 

DON RICARDO.

    Altesse, il eut fallu, pour completer le tour,

    Denicher la colombe en tuant le vautour.

 

DON CARLOS (_a don Ricardo_).

    Comte! un digne conseil! vous avez la main prompte!

 

DON RICARDO (_s'inclinant profondement_).

    Sous quel titre plait-il au roi que je sois comte?

 

DON SANCHO (_vivement_).

    C'est meprise!

 

DON RICARDO (_a don Sancho_).

    Le roi m'a nomme comte.

 

DON CARLOS.

    Assez!

    Bien.

 

_A Ricardo_.

    J'ai laisse tomber ce titre. Ramassez.

 

DON RIARCDO (_s'inclinant de nouveau_).

    Merci, seigneur!

 

DON SANCHO (_a don Matias_).

    Beau comte! un comte de surprise.

 

_Le roi se promene au fond, examinant avec impatience les fenetres

eclairees. Les deux seigneurs causent sur le devant_.

 

DON MATIAS (_a don Sancho_).

    Mais que fera le roi, la belle une fois prise?

 

DON SANCHO (_regardant Ricardo de travers_).

    Il la fera comtesse, et puis dame d'honneur.

    Puis, qu'il en ait un fils[4], il sera roi.

 

DON MATIAS.

    Seigneur,

    Allons donc! un batard! Comte, fut-on altesse[5],

    On ne saurait tirer un roi d'une comtesse!

 

DON SANCHO.

    Il la fera marquise, alors, mon cher marquis.

 

DON MATIAS.

    On garde les batards pour les pays conquis.

    On les fait vice-rois. C'est a cela qu'ils servent.

 

_Don Carlos revient_.

 

DON CARLOS (_regardant avec colere toutes les fenetres eclairees_).

    Dirait-on pas des yeux jaloux qui nous observent?

    Enfin! en voila deux qui s'eteignent! allons!

    Messieurs, que les instants de l'attente sont longs!

    Qui fera marcher l'heure avec plus de vitesse?

 

DON SANCHO.

    C'est ce que nous disons[6] souvent chez votre altesse.

 

DON CARLOS.

    Cependant que[7] chez vous mon peuple[8] le redit.

 

_La derniere fenetre eclairee s'eteint_.

    --La derniere est eteinte!

 

_Tourne vers le balcon de dona Sol toujours noir_.

    O vitrage maudit!

    Quand t'eclaireras-tu?--Cette nuit est bien sombre.

    Dona Sol, viens briller comme un astre dans l'ombre!

 

_A don Ricardo_.

    Est-il minuit?

 

DON RICARDO.

    Minuit bientot.

 

DON CARLOS.

    Il faut finir

    Pourtant! A tout moment l'autre peut survenir.

 

_La fenetre de dona Sol s'eclaire. On voit son ombre se dessiner sur

les vitraux lumineux_.

    Mes amis! un flambeau! son ombre a la fenetre!

    Jamais jour ne me fut plus charmant a voir naitre.

    Hatons-nous! faisons-lui le signal qu'elle attend.

    Il faut frapper des mains trois fois. Dans un instant,

    Mes amis, vous allez la voir!--Mais notre nombre

    Va l'effrayer peut-etre... Allez tous trois dans l'ombre

    La-bas, epier l'autre. Amis, partageons-nous

    Les deux amants. Tenez, a moi la dame, a vous

    Le brigand.

 

DON RICARDO.

    Grand merci!

 

DON CARLOS.

    S'il vient, de l'embuscade

    Sortez vite, et poussez au drole une estocade[9].

    Pendant qu'il reprendra ses esprits sur le gres[10],

    J'emporterai la belle, et nous rirons apres,

    N'allez pas cependant le tuer! c'est un brave

    Apres tout, et la mort d'un homme est chose grave.

 

_Les deux seigneurs s'inclinent et sortent. Don Carlos les laisse

 s'eloigner, puis frappe des mains a deux reprises. A la deuxieme fois

la fenetre s'ouvre, et dama Sol parait sur le balcon_.

 

SCENE II.

 

DON CARLOS, DONA SOL.

 

DONA SOL (_au balcon_).

    Est-ce vous, Hernani?

 

DON CARLOS (_a part_).

    Diable! Ne parlons pas!

 

_Il frappe de nouveau des mains_.

 

DONA SOL.

    Je descends.

 

_Elle referme la fenetre, dont la lumiere disparait. Un moment apres,

la petite porte s'ouvre, et dona Sol en sort, une lampe a la main, sa

mante sur les epaules_.

 

DONA SOL.

    Hernani!

 

_Don Carlos rabat son chapeau sur son visage, et s'avance

precipitamment vers elle_.

 

DONA SOL (_laissant tomber sa lampe_).

    Dieu! ce n'est point son pas!

 

_Elle veut rentrer. Don Carlos court a elle et la retient par le bras_.

 

DON CARLOS.

    Dona Sol!

 

DONA SOL.

    Ce n'est point sa voix! Ah! malheureuse!

 

DON CARLOS.

    Eh! quelle voix veux-tu qui soit plus amoureuse?

    C'est toujours un amant, et c'est un amant roi!

 

DONA SOL.

    Le roi!

 

DON CARLOS.

    Souhaite, ordonne, un royaume est a toi!

    Car celui dont tu veux briser la douce entrave,

    C'est le roi ton seigneur, c'est Carlos ton esclave!

 

DONA SOL (_cherchant a se degager de ses bras_).

    Au secours, Hernani!

 

DON CARLOS.

    Le juste et digne effroi!

    Ce n'est pas ton bandit qui te tient, c'est le roi.

 

DONA SOL.

    Non. Le bandit, c'est vous! N'avez-vous pas de honte?

    Ah! pour vous a la face une rougeur me monte.

    Sont-ce la les exploits dont le roi fera bruit[11]?

    Venir ravir de force une femme la nuit!

    Que mon bandit vaut mieux cent fois! Roi, je proclame

    Que, si l'homme naissait ou le place son ame,

    Si Dieu faisait le rang a la hauteur du coeur,

    Certe, il serait le roi, prince, et vous le voleur!

 

DON CARLOS (_essayant de l'attirer_).

    Madame...

 

DONA SOL.

    Oubliez-vous que mon pere etait comte?

 

DON CARLOS.

    Je vous ferai duchesse.

 

DONA SOL (_le repoussant_).

    Allez! c'est une honte!

 

_Elle recule de quelques pas_.

    Il ne peut etre rien entre nous, don Carlos.

    Mon vieux pere a pour vous verse son sang a flots.

    Moi je suis fille noble, et de ce sang jalouse.

    Trop pour la concubine, et trop peu pour l'epouse!

 

DON CARLOS.

    Princesse?

 

DONA SOL.

    Roi Carlos, a des filles de rien

    Portez votre amourette, ou je pourrais fort bien,

    Si vous m'osez traiter d'une facon infame,

    Vous montrer que je suis dame, et que je suis femme.

 

DON CARLOS.

    Eh bien, partagez donc et mon trone et mon nom.

    Venez. Vous serez reine, imperatrice!...

 

DONA SOL.

    Non.

    C'est un leurre. Et d'ailleurs, altesse, avec franchise,

    S'agit-il pas de vous, s'il faut que je le dise,

    J'aime mieux avec lui, mon Hernani, mon roi,

    Vivre errante, en dehors du monde et de la loi,

    Ayant faim, avant soif, fuyant toute l'annee,

    Partageant jour a jour sa pauvre destinee,

    Abandon, guerre, exil, deuil, misere et terreur,

    Que d'etre imperatrice avec un empereur!

 

DON CARLOS.

    Que cet homme est heureux!

 

DONA SOL.

    Quoi! pauvre, proscrit meme!

 

DON CARLOS.

    Qu'il fait bien d'etre pauvre et proscrit, puis qu'on l'aime!

    Moi, je suis seul! Un ange accompagne ses pas!

    --Donc vous me haissez?

 

DONA SOL.

    Je ne vous aime pas.

 

DON CARLOS (_la saisissant avec violence_).

    Eh bien, que vous m'aimiez ou non, cela n'importe!

    Vous viendrez, et ma main plus que la votre est forte.

    Vous viendrez! je vous veux! Pardieu, nous verrons bien

    Si je suis roi d'Espagne et des Indes pour rien!

 

DONA SOL (_se debattant_).

    Seigneur! oh! par pitie!--Quoi! vous etes altesse,

    Vous etes roi. Duchesse, ou marquise, ou comtesse,

    Vous n'avez qu'a choisir. Les femmes de la cour

    Ont toujours un amour tout pret pour votre amour.

    Mais mon proscrit, qu'a-t-il recu du ciel avare?

    Ah! vous avez Castille, Aragon et Navarre[12],

    Et Murcie[13], et Leon, dix royaumes encor,

    Et les Flamands[14], et l'Inde[15] avec les mines d'or!

    Vous avez un empire auquel nul roi ne touche,

    Si vaste que jamais le soleil ne s'y couche!

    Et, quand vous avez tout, voudrez-vous, vous le roi,

    Me prendre, pauvre fille, a lui qui n'a que moi?

 

_Elle se jette a ses genoux. Il cherche a l'entrainer_.

 

DON CARLOS.

    Viens! Je n'ecoute rien. Viens! Si tu m'accompagnes,

    Je te donne, choisis, quatre de mes Espagnes.

    Dis, lesquelles veux-tu? Choisis!

 

_Elle se debat dans ses bras_.

 

DONA SOL.

    Pour mon honneur,

    Je ne veux rien de vous que ce poignard, seigneur!

 

_Elle lui arrache le poignard de sa ceinture. Il la lache et recule_.

    Avancez maintenant! faites un pas!

 

DON CARLOS.

    La belle!

    Je ne m'etonne plus si l'on aime un rebelle!

 

_Il veut faire un pas. Elle leve le poignard_.

 

DONA SOL.

    Pour un pas, je vous tue, et me tue.

 

_Il recule encore. Elle se detourne et crie avec force_

    Hernani! Hernani!

 

DON CARLOS.

    Taisez-vous!

 

DONA SOL (_le poignard leve_).

    Un pas! tout est fini.

 

DON CARLOS.

    Madame! a cet exces ma douceur est reduite.

    J'ai la pour vous forcer trois hommes de ma suite...

 

HERNANI (_surgissant tout a coup derriere lui_).

    Vous en oubliez un[16]!

 

_Le roi se retourne, et voit Hernani immobile derriere lui dans

l'ombre, les bras croises sous le long manteau qui l'enveloppe, et

le large bord de son chapeau releve. Dona Sol pousse un cri, court

a Hernani et l'entoure de ses bras_.

 

SCENE III.

 

DON CARLOS, DONA SOL, HERNANI.

 

HERNANI (_immobile, les bras toujours croises, et ses yeux etincelants

fixes sur le roi_).

    Ah! le ciel m'est temoin

    Que volontiers je l'eusse ete chercher plus loin!

 

DONA SOL.

    Hernani, sauvez-moi de lui!

 

HERNANI.

    Soyez tranquille,

    Mon amour!

 

DON CARLOS.

    Que font donc mes amis par la ville?

    Avoir laisse passer ce chef de bohemiens!

 

_Appelant_.

    Monterey!

 

HERNANI.

    Vos amis sont au pouvoir des miens.

    Et ne reclamez pas leur epee impuissante,

    Pour trois qui vous viendraient, il m'en viendrait soixante.

    Soixante dont un seul vous vaut tous quatre. Ainsi

    Vidons entre nous deux notre querelle ici.

    Quoi! vous portiez la main sur cette jeune fille!

    C'etait d'un imprudent, seigneur roi de Castille,

    Et d'un lache!

 

DON CARLOS (_souriant avec dedain_).

    Seigneur bandit, de vous a moi

    Pas de reproche!

 

HERNANI.

    Il raille! Oh! je ne suis pas roi;

    Mais quand un roi m'insulte et pour surcroit me raille;

    Ma colere va haut et me monte a sa taille[17],

    Et, prenez garde, on craint, quand on me fait affront,

    Plus qu'un cimier de roi la rougeur de mon front!

    Vous etes insense si quelque espoir vous leurre.

 

_Il lui saisit le bras_.

    Savez-vous quelle main vous etreint a cette heure?

    Ecoutez. Votre pere a fait mourir le mien,

    Je vous hais. Vous avez pris mon titre et mon bien,

    Je vous hais. Nous aimons tous deux la meme femme,

    Je vous hais, je vous hais,--oui, je te hais dans l'ame![18]

 

DON CARLOS.

    C'est bien.

 

HERNANI.

    Ce soir pourtant ma haine etait bien loin.

    Je n'avais qu'un desir, qu'une ardeur, qu'un besoin,

    Dona Sol!--Plein d'amour, j'accourais... Sur mon ame!

    Je vous trouve essayant contre elle un rapt infame!

    Quoi! vous que j'oubliais, sur ma route place!

    Seigneur, je vous le dis, vous etes insense!

    Don Carlos, te voila pris dans ton propre piege.

    Ni fuite, ni secours! je te tiens et t'assiege!

    Seul, entoure partout d'ennemis acharnes,

    Que vas-tu faire?

 

DON CARLOS (_fierement_).

    Allons! vous me questionnez!

 

HERNANI.

    Va, va, je ne veux pas qu'un bras obscur te frappe.

    Il ne sied pas qu'ainsi ma vengeance m'echappe.

    Tu ne seras touche par un autre que moi.

    Defends-toi donc.

 

_Il tire son epee_.

 

DON CARLOS.

    Je suis votre seigneur le roi.

    Frappez. Mais pas de duel.

 

HERNANI.

    Seigneur, qu'il te souvienne

    Qu'hier encor ta dague a rencontre la mienne.

 

DON CARLOS.

    Je le pouvais hier. J'ignorais votre nom,

    Vous ignoriez mon titre. Aujourd'hui, compagnon[19],

    Vous savez qui je suis et je sais qui vous etes.

 

HERNANI.

    Peut-etre.

 

DON CARLOS.

    Pas de duel. Assassinez-moi. Faites.

 

HERNANI.

    Crois-tu donc que les rois a moi[20] me sont sacres?

    Ca[21], te defendras-tu?

 

DON CARLOS.

    Vous m'assassinerez!

 

_Hernani recule. Don Carlos fixe des yeux d'aigle sur lui_.

    Ah! vous croyez, bandits, que vos brigades viles

    Pourront impunement s'epandre dans les villes?

    Que teints de sang, charges de meurtres, malheureux!

    Vous pourrez apres tout faire les genereux,

    Et que nous daignerons, nous, victimes trompees,

    Ennoblir vos poignards du choc de nos epees?

    Non, le crime vous tient. Partout vous le trainez.

    Nous, des duels avec vous! arriere! assassinez.

 

_Hernani, sombre et pensif, tourmente quelques instants de la main la

poignee de son epee, puis se retourne brusquement vers le roi, et

brise la lame sur le pave_.

 

HERNANI.

    Va-t'en donc!

 

_Le roi se tourne a demi vers lui et le regarde avec hauteur_.

    Nous aurons des rencontres meilleures.

    Va-t'en.

 

DON CARLOS.

    C'est bien, monsieur. Je vais dans quelques heures

    Rentrer, moi votre roi, dans le palais ducal.

    Mon premier soin sera de mander le fiscal[22].

    A-t-on fait mettre a prix votre tete?

 

HERNANI.

    Oui.

 

DON CARLOS.

    Mon maitre,

    Je vous tiens de ce jour sujet rebelle et traitre.

    Je vous en avertis, partout je vous poursuis.

    Je vous fais mettre au ban du royaume[23].

 

HERNANI.

    J'y suis

    Deja.

 

DON CARLOS.

    Bien.

 

HERNANI.

    Mais la France est aupres de l'Espagne.

    C'est un port[24].

 

DON CARLOS.

    Je vais etre empereur d'Allemagne.

    Je vous fais mettre au ban de l'empire.

 

HERNANI.

    A ton gre.

    J'ai le reste du monde ou je te braverai.

    Il est plus d'un asile ou ta puissance tombe[25].

 

DON CARLOS.

    Et quand j'aurai le monde?

 

HERNANI.

    Alors j'aurai la tombe.

 

DON CARLOS.

    Je saurai dejouer vos complots insolents.

 

HERNANI.

    La vengeance est boiteuse, elle vient a pas lents,

    Mais elle vient.

 

DON CARLOS (_riant a demi, avec dedain_).

    Toucher a la dame qu'adore

    Ce bandit!

 

HERNANI (_dont les yeux se rallument_).

    Songes-tu que je te tiens encore?

    Ne me rappelle pas, futur cesar romain,

    Que je t'ai la, chetif et petit dans ma main,

    Et que si je serrais cette main trop loyale

    J'ecraserais dans l'oeuf ton aigle imperiale!

 

DON CARLOS.

    Faites.

 

HERNANI.

    Va-t'en! va-t'en!

 

_Il ote son manteau et le jette sur les epaules du roi_.

    Fuis, et prends ce manteau.

    Car dans nos rangs pour toi je crains quelque couteau.

 

_Le roi s'enveloppe du manteau_.

    Pars tranquille a present. Ma vengeance alteree[26]

    Pour tout autre que moi fait ta tete sacree.

 

DON CARLOS.

    Monsieur, vous qui venez de me parler ainsi,

    Ne demandez un jour ni grace ni merci!

 

_Il sort_.

 

SCENE IV.

 

HERNANI, DONA SOL.

 

DONA SOL (_saisissant la main d'Hernani_).

    Maintenant, fuyons vite.

 

HERNANI (_la repoussant avec une douceur grave_).

    Il vous sied, mon amie,

    D'etre dans mon malheur toujours plus raffermie,

    De n'y point renoncer, et de vouloir toujours

    Jusqu'au fond, jusqu'au bout, accompagner mes jours.

    C'est un noble dessein, digne d'un coeur fidele!

    Mais, tu le vois, mon Dieu, pour tant accepter d'elle,

    Pour emporter joyeux dans mon antre avec moi

    Ce tresor de beaute qui rend jaloux un roi,

    Pour que ma dona Sol me suive et m'appartienne,

    Pour lui prendre sa vie et la joindre a la mienne,

    Pour l'entrainer sans honte encore et sans regrets,

    Il n'est plus temps; je vois l'echafaud de trop pres.

 

DONA SOL.

    Que dites-vous?

 

HERNANI.

    Ce roi que je bravais en face

    Va me punir d'avoir ose lui faire grace.

    Il fuit; deja peut-etre il est dans son palais.

    Il appelle ses gens, ses gardes, ses valets,

    Ses seigneurs, ses bourreaux...

 

DONA SOL.

    Hernani! Dieu! je tremble.

    Eh bien! hatons-nous donc alors! fuyons ensemble!

 

HERNANI.

    Ensemble! non, non. L'heure en est passee. Helas!

    Dona Sol, a mes yeux quand tu te revelas

    Bonne, et daignant m'aimer d'un amour secourable,

    J'ai bien pu vous offrir, moi, pauvre miserable,

    Ma montagne, mon bois, mon torrent,--ta pitie

    M'enhardissait,--mon pain de proscrit, la moitie

    Du lit vert et touffu que la foret me donne;

    Mais t'offrir la moitie de l'echafaud! pardonne,

    Dona Sol! l'echafaud, c'est a moi seul!

 

DONA SOL.

    Pourtant

    Vous me l'aviez promis!

 

HERNANI (_tombant a ses genoux_).

    Ange! ah! dans cet instant

    Ou la mort vient peut-etre, ou s'approche dans l'ombre

    Un sombre denoument pour un destin bien sombre,

    Je le declare[27] ici, proscrit, trainant au flanc[28]

    Un souci profond, ne dans un berceau sanglant,

    Si noir que soit le deuil qui s'epand sur ma vie,

    Je suis un homme heureux et je veux qu'on m'envie[29];

    Car vous m'avez aime! car vous me l'avez dit!

    Car vous avez tout bas beni mon front maudit!

 

DONA SOL (_penchee sur sa tete_).

    Hernani!

 

HERNANI.

    Loue soit le sort doux et propice

    Qui me mit cette fleur au bord du precipice!

 

_Il se releve_.

    Et ce n'est pas pour vous que je parle en ce lieu,

    Je parle pour le ciel qui m'ecoute, et pour Dieu.

 

DONA SOL.

    Souffre que je te suive.

 

HERNANI.

    Ah! ce serait un crime

    Que d'arracher la fleur en tombant dans l'abime.

    Va, j'en ai respire le parfum, c'est assez!

    Renoue a d'autres jours[30] tes jours par moi froisses.

    Epouse ce vieillard. C'est moi qui te delie.

    Je rentre dans ma nuit. Toi, soit heureuse, oublie!

 

DONA SOL.

    Non, je te suis! je veux ma part de ton linceul!

    Je m'attache a tes pas.

 

HERNANI (_la serrant dans ses bras_).

    Oh! laisse-moi fuir seul.

 

_Il la quitte avec un mouvement convulsif_.

 

DONA SOL (_douloureusement et joignant les mains_).

    Hernani! tu me fuis! Ainsi donc, insensee,

    Avoir donne sa vie, et se voir repoussee,

    Et n'avoir, apres tant d'amour et tant d'ennui[31],

    Pas meme le bonheur de mourir pres de lui!

 

HERNANI.

    Je suis banni! je suis proscrit! je suis funeste!

 

DONA SOL.

    Ah! vous etes ingrat!

 

HERNANI (_revenant sur ses pas_).

    Eh bien, non! non, je reste,

    Tu le veux, me voici. Viens, oh! viens dans mes bras!

    Je reste, et resterai tant que tu le voudras.

    Oublions-les! restons.

 

_Il s'assied sur un banc_.

    Sieds-toi sur cette pierre.

 

_Il se place a ses pieds_.

    Des flammes de tes yeux inonde ma paupiere,

    Chante-moi quelque chant comme parfois le soir

    Tu m'en chantais, avec des pleurs dans ton oeil noir.

    Soyons heureux! buvons, car la coupe est remplie,

    Car cette heure est a nous, et le reste est folie.

    Parle-moi, ravis-moi. N'est-ce pas qu'il est doux

    D'aimer et de savoir qu'on vous aime a genoux?

    D'etre deux? d'etre seuls? et que c'est douce chose

    De se parler d'amour la nuit quand tout repose?

    Oh! laisse-moi dormir et rever sur ton sein,

    Dona Sol! mon amour! ma beaute!

 

_Bruit de cloches au loin_.

 

DONA SOL (_se levant effaree_).

    Le tocsin!

    Entends-tu? le tocsin!

 

HERNANI (_toujours a genoux_).

    Eh non! c'est notre noce

    Qu'on sonne.

 

_Le bruit de cloches augmente. Cris confus, flambeaux et lumieres a

toutes les fenetres, sur tous les toits, dans toutes les rues_.

 

DONA SOL.

    Leve-toi! fuis! Grand Dieu! Saragosse

    S'allume!

 

HERNANI (_se soulevant a demi_).

    Nous aurons une noce aux flambeaux.

 

DONA SOL.

    C'est la noce des morts! la noce des tombeaux!

 

_Bruit d'epees. Cris_.

 

HERNANI (_se recouchant sur le banc de pierre_).

    Rendormons-nous!

 

UN MONTAGNARD (_L'epee a la main, accourant_).

    Seigneur, les sbires[32], les alcades[33],

    Debouchent dans la place en longues cavalcades!

    Alerte[34], monseigneur!

 

_Hernani se leve_.

 

DONA SOL (_pale_).

    Ah! tu l'avais bien dit!

 

LE MONTAGNARD.

    Au secours!

 

HERNANI (_au montagnard_).

    Me voici. C'est bien.

 

CRIS CONFUS (_au dehors_).

    Mort au bandit!

 

HERNANI (_au montagnard_).

    Ton epee.

 

_A dona Sol_.

    Adieu donc!

 

DONA SOL.

    C'est moi qui fais ta perte!

    Ou vas-tu?

 

_Lui montrant la petite porte_.

    Viens! Fuyons par cette porte ouverte.

 

HERNANI.

    Dieu! laisser mes amis! que dis-tu?

 

_Tumulte et cris_.

 

DONA SOL.

    Ces clameurs

    Me brisent.

 

_Retenant Hernani_.

    Souviens-toi que si tu meurs, je meurs!

 

HERNANI (_la tenant embrassee_).

    Un baiser!

 

DONA SOL.

    Mon epoux! mon Hernani! mon maitre!

 

HERNANI (_la baisant au front_).

    Helas! c'est le premier.

 

DONA SOL.

    C'est le dernier peut-etre.

 

_Il part. Elle tombe sur le banc_.

 

ACTE TROISIEME - LE VIEILLARD.

 

LE CHATEAU DE SILVA DANS LES MONTAGNES D'ARAGON.

 

_La galerie des portraits de la famille de Silva; grande salle, dont

ces portraits, entoures de riches bordures, et surmontes de couronnes

ducales et d'ecussons dores, font la decoration. Au fond une haute

porte gothique. Entre chaque portrait une panoplie complete; toutes

ces armures des siecles differents_.

 

SCENE PREMIERE.

 

DONA SOL, _blanche, et debout pres d'une table;_ DON RUY GOMEZ DE

SILVA, _assis dans son grand fauteuil ducal en bois de chene_.

 

DON RUY GOMEZ.

    Enfin! c'est aujourd'hui! dans une heure on sera

    Ma duchesse! plus d'oncle[1]! et l'on m'embrassera!

    Mais m'as-tu pardonne? J'avais tort, je l'avoue.

    J'ai fait rougir ton front, j'ai fait palir ta joue.

    J'ai soupconne trop vite, et je n'aurais point du

    Te condamner ainsi sans avoir entendu.

    Que l'apparence a tort! Injustes que nous sommes!

    Certe[2], ils etaient bien la, les deux beaux jeunes hommes.

    C'est egal. Je devais n'en pas croire mes yeux.

    Mais que veux-tu, ma pauvre enfant? quand on est vieux!

 

DONA SOL (_immobile et grave_).

    Vous reparlez toujours de cela. Qui vous blame?

 

DON RUY GOMEZ.

    Moi! J'eus tort. Je devais savoir qu'avec ton ame

    On n'a point de galants lorsqu'on est dona Sol,

    Et qu'on a dans le coeur de bon sang espagnol.

 

DONA SOL.

    Certe, il est bon et pur, monseigneur, et peut-etre

    On le verra bientot[3].

 

DON RUY GOMEZ (_se levant et allant a elle_).

    Ecoute, on n'est pas maitre

    De soi-meme, amoureux comme je suis de toi,

    Et vieux. On est jaloux, on est mechant, pourquoi?

    Parce que l'on est vieux. Parce que beaute, grace,

    Jeunesse, dans autrui, tout fait peur, tout menace.

    Parce qu'on est jaloux des autres, et honteux

    De soi. Derision! que cet amour boiteux,

    Qui nous remet au coeur tant d'ivresse et de flamme,

    Ait oublie[4] le corps en rajeunissant l'ame!

    --Quand passe un jeune patre--oui, c'en est la[5]!--souvent,

    Tandis que nous allons, lui chantant, moi revant,

    Lui dans son pre vert, moi dans mes noires allees,

    Souvent je dis tout bas:--O mes tours crenelees,

    Mon vieux donjon ducal, que je vous donnerais,

    Oh! que je donnerais mes bles et mes forets,

    Et les vastes troupeaux qui tondent mes collines,

    Mon vieux nom, mon vieux titre, et toutes mes ruines,

    Et tous mes vieux aieux qui bientot m'attendront,

    Pour sa chaumiere neuve et pour son jeune front!

    Car ses cheveux sont noirs, car son oeil reluit comme

    Le tien[6], tu peux le voir, et dire: Ce jeune homme!

    Et puis penser a moi qui suis vieux. Je le sais!

    Pourtant j'ai nom Silva[7], mais ce n'est plus assez!

    Oui, je me dis cela. Vois a quel point je t'aime!

    Le tout, pour etre[8] jeune et beau comme toi-meme!

    Mais a quoi vais-je ici rever? Moi, jeune et beau!

    Qui te dois de si loin devancer au tombeau!

 

DONA SOL.

    Qui sait?

 

DON RUY GOMEZ.

    Mais va, crois-moi, ces cavaliers frivoles

    N'ont pas d'amour si grand qu'il ne s'use en paroles[9].

    Qu'une fille aime et croie un de ces jouvenceaux,

    Elle en meurt, il en rit. Tous ces jeunes oiseaux,

    A l'aile vive et peinte[10], au langoureux ramage,

    Ont un amour qui mue ainsi que leur plumage.

    Les vieux, dont l'age eteint la voix et les couleurs,

    Ont l'aile plus fidele, et, moins beaux, sont meilleurs.

    Nous aimons bien. Nos pas sont lourds? nos yeux arides?

    Nos fronts rides? Au coeur on n'a jamais de rides[11].

    Helas! quand un vieillard aime, il faut l'epargner.

    Le coeur est toujours jeune et peut toujours saigner.

    Oh! mon amour n'est point comme un jouet de verre

    Qui brille et tremble; oh! non, c'est un amour severe,

    Profond, solide, sur, paternel, amical,

    De bois de chene, ainsi que mon fauteuil ducal!

    Voila comme je t'aime, et puis je t'aime encore

    De cent autres facons, comme on aime l'aurore,

    Comme on aime les fleurs, comme on aime les cieux!

    De te voir tous les jours, toi, ton pas gracieux,

    Ton front pur, le beau feu de ta fiere prunelle[12],

    je ris, et j'ai dans l'ame une fete eternelle!

 

DONA SOL.

    Helas!

 

DON RUY GOMEZ.

    Et puis, vois-tu, le monde trouve beau,

    Lorsqu'un homme s'eteint, et lambeau par lambeau

    S'en va, lorsqu'il trebuche au marbre de la tombe,

    Qu'une femme, ange pur, innocente colombe,

    Veille sur lui, l'abrite, et daigne encor[13] souffrir

    L'inutile vieillard qui n'est bon qu'a mourir.

    C'est une oeuvre sacree et qu'a bon droit on loue

    Que[14] ce supreme effort d'un coeur qui se devoue,

    Qui console un mourant jusqu'a la fin du jour,

    Et, sans aimer peut-etre, a des semblants d'amour!

    Ah! tu seras pour moi cet ange au coeur de femme

    Qui du pauvre vieillard rejouit encor[15] l'ame,

    Et de ses derniers ans[16] lui porte la moitie,

    Fille par le respect et soeur par la pitie.

 

DONA SOL.

    Loin de me preceder, vous pourrez bien me suivre,

    Monseigneur. Ce n'est pas une raison pour vivre

    Que[17] d'etre jeune. Helas! je vous le dis, souvent

    Les vieillards sont tardifs, les jeunes vont devant,

    Et leurs yeux brusquement referment leur paupiere,

    Comme un sepulcre ouvert dont retombe la pierre.

 

DON RUY GOMEZ.

    Oh! les sombres discours! Mais je vous gronderai,

    Enfant! un pareil jour est joyeux et sacre.

    Comment, a ce propos[18], quand l'heure nous appelle,

    N'etes-vous pas encor prete pour la chapelle?

    Mais, vite! habillez-vous. Je compte les instants.

    La parure de noce!

 

DONA SOL.

    Il sera toujours temps.

 

DON RUY GOMEZ.

    Non pas.

 

_Entre un page_.

    Que veut Iaquez!

 

LE PAGE.

    Monseigneur, a la porte

    Un homme, un pelerin, un mendiant, n'importe,

    Est la qui vous demande asile.

 

DON RUY GOMEZ.

    Quel qu'il soit,

    Le bonheur entre avec l'etranger qu'on recoit.

    Qu'il vienne.--Du dehors a-t-on quelques nouvelles?

    Que dit-on de ce chef de bandits infideles

    Qui remplit nos forets de sa rebellion?

 

LE PAGE.

    C'en est fait d'Hernani[19], c'en est fait du lion

    De la montagne.

 

DONA SOL (_a part_).

    Dieu!

 

DON RUY GOMEZ.

    Quoi!

 

LE PAGE.

    La bande est detruite.

    Le roi, dit-on, s'est mis lui-meme a leur poursuite.

    La tete d'Hernani vaut mille ecus du roi[20]

    Pour l'instant[21]; mais on dit qu'il est mort.

 

DONA SOL (_a part_).

    Quoi! sans moi,

    Hernani!

 

DON RUY GOMEZ.

    Grace au ciel! il est mort, le rebelle!

    On peut se rejouir maintenant, chere belle.

    Allez donc vous parer, mon amour, mon orgueil!

    Aujourd'hui, double fete!

 

DONA SOL (_a part_).

    Oh! des habits de deuil!

 

_Elle sort_.

 

DON RUY GOMEZ (_au page_).

    Fais-lui vite porter l'ecrin que je lui donne.

 

_Il se rassied dans son fauteuil_.

    Je veux la voir paree ainsi qu'une madone,

    Et, grace a ses doux yeux, et grace a mon ecrin,

    Belle a faire a genoux tomber un pelerin.

    A propos, et celui qui nous demande un gite?

    Dis-lui d'entrer, fais-lui nos excuses, cours vite.

 

_Le page salue et sort_.

    Laisser son hote attendre! ah! c'est mal!

 

_La porte du fond s'ouvre. Parait Hernani deguise en pelerin. Le duc

se leve et va a sa rencontre_.

 

SCENE II.

 

DON RUY GOMEZ, HERNANI.

 

_Hernani s'arrete sur le seuil de la porte_.

 

HERNANI.

    Monseigneur,

    Paix et bonheur a vous[22]!

 

DON RUY GOMEZ (_le saluant de la main_).

    A toi paix et bonheur,

    Mon hote!

 

_Hernani entre. Le duc se rassied_.

    N'es-tu pas pelerin?

 

HERNANI (_s'inclinant_).

    Oui.

 

DON RUY GOMEZ.

    Sans doute

    Tu viens d'Armillas[23]?

 

HERNANI.

    Non. J'ai pris une autre route;

    On se battait par la.

 

DON RUY GOMEZ.

    La troupe du banni,

    N'est-ce pas?

 

HERNANI.

    Je ne sais.

 

DON RUY GOMEZ.

    Le chef, le Hernani,

    Que devient-il? sais-tu?

 

HERNANI.

    Seigneur, quel est cet homme?

 

DON RUY GOMEZ.

    Tu ne le connais pas? tant pis! la grosse somme

    Ne sera point pour toi. Vois-tu, ce Hernani.

    C'est un rebelle au roi, trop longtemps impuni.

    Si tu vas a Madrid, tu le pourras voir pendre[24].

 

HERNANI.

    je n'y vais pas.

 

DON RUY GOMEZ.

    Sa tete est a qui veut la prendre.

 

HERNANI (_a part_).

    Qu'on y vienne!

 

DON RUY GOMEZ.

    Ou vas-tu, bon pelerin?

 

HERNANI.

    Seigneur,

    Je vais a Saragosse.

 

DON RUY GOMEZ.

    Un voeu fait en l'honneur

    D'un saint? de Notre-Dame?

 

HERNANI.

    Oui, duc, de Notre-Dame.

 

DON RUY GOMEZ.

    Del Pilar?

 

HERNANI.

    Del Pilar[25].

 

DON RUY GOMEZ.

    Il faut n'avoir point d'ame

    Pour ne point acquitter les voeux qu'on fait aux saints.

    Mais, le tien accompli, n'as-tu d'autres desseins?

    Voir le Pilier, c'est la tout ce que tu desires?

 

HERNANI.

    Oui, je veux voir bruler les flambeaux et les cires,

    Voir Notre-Dame, au fond du sombre corridor[26],

    Luire en sa chasse ardente[27] avec sa chape[28] d'or,

    Et puis m'en retourner.

 

DON RUY GOMEZ.

    Fort bien.--Ton nom, mon frere?

    Je suis Ruy de Silva.

 

HERNANI (_hesitant_).

    Mon nom?...

 

DON RUY GOMEZ.

    Tu peux le taire

    Si tu veux. Nul n'a droit de le savoir ici.

    Viens-tu pas demander asile?

 

HERNANI.

    Oui, duc.

 

DON RUY GOMEZ.

    Merci!

    Sois le bienvenu. Reste, ami, ne te fais faute

    De rien[29]. Quant a ton nom, tu te nommes mon hote.

    Qui que tu sois, c'est bien! et, sans etre inquiet,

    J'accueillerais Satan, si Dieu me l'envoyait.

 

_La porte du fond s'ouvre a deux battants. Entre dona Sol, en parure

de mariee. Derriere elle, pages, valets, et deux femmes portant sur un

coussin de velours un coffret d'argent cisele, qu'elles vont deposer

sur une table, et qui renferme un riche ecrin, couronne de duchesse,

bracelets, colliers, perles et brillants pele-mele.--Hernani, haletant

et effare, considere dona Sol avec des yeux ardents, sans ecouter le

duc_.

 

SCENE III.

 

LES MEMES, DONA SOL, PAGES, VALETS, FEMMES.

 

DON RUY GOMEZ (_continuant_).

    Voici ma Notre-Dame a moi. L'avoir priee

    Te portera bonheur[30].

 

_Il va presenter la main a dona Sol, toujours pale et grave_.

    Ma belle mariee,

    Venez.--Quoi! pas d'anneau! pas de couronne encor!

 

HERNANI (_d'une voix tonnante_).

    Qui veut gagner ici mille carolus d'or[31]?

 

_Tous se retournent etonnes. Il dechire sa robe de pelerin, la foule

aux pieds, et en sort dans son costume de montagnard_.

    Je suis Hernani.

 

DONA SOL (_a part, avec joie_).

    Ciel! vivant!

 

HERNANI (_aux valets_).

    Je suis cet homme

    Qu'on cherche.

 

_Au duc_.

    Vous vouliez savoir si je me nomme

    Perez ou Diego[32]?--Non, je me nomme Hernani.

    C'est un bien plus beau nom, c'est un nom de banni,

    C'est un nom de proscrit! Vous voyez cette tete?

    Elle vaut assez d'or pour payer votre fete.

 

_Aux valets_.

    Je vous la donne a tous. Vous serez bien payes!

    Prenez! liez mes mains, liez mes pieds, liez!

    Mais non, c'est inutile, une chaine me lie

    Que je ne romprai point?

 

DONA SOL (_a part_).

    Malheureuse!

 

DON RUY GOMEZ.

    Folie!

    Ca, mon hote est un fou!

 

HERNANI.

    Votre hote est un bandit.

 

DONA SOL.

    Oh! ne l'ecoutez pas.

 

HERNANI.

    J'ai dit ce que j'ai dit.

 

DON RUY GOMEZ.

    Mille carolus d'or! monsieur, la somme est forte,

    Et je ne suis pas sur de tous mes gens.

 

HERNANI.

    Qu'importe!

    Tant mieux si dans le nombre il s'en trouve un qui veut.

 

_Aux valets_.

    Livrez-moi! vendez-moi!

 

DON RUY GOMEZ (_s'efforcant de le faire taire_).

    Taisez-vous donc! on peut

    Vous prendre au mot.

 

HERNANI.

    Amis, l'occasion est belle!

    Je vous dis que je suis le proscrit, le rebelle,

    Hernani!

 

DON RUY GOMEZ.

    Taisez-vous!

 

HERNANI.

    Hernani!

 

DONA SOL (_d'une voix eteinte, a son oreille_).

    Ho! tais-toi!

 

HERNANI (_se detournant a demi vers dona Sol_).

    On se marie ici! Je veux en etre, moi!

    Mon epousee aussi m'attend.

 

_Au duc_.

    Elle est moins belle

    Que la votre, seigneur, mais n'est pas moins fidele.

    C'est la mort!

 

_Aux valets_.

    Nul de vous ne fait un pas encor?

 

DONA SOL (_bas_).

    Par pitie!

 

HERNANI (_aux valets_).

    Hernani! mille carolus d'or!

 

DON RUY GOMEZ.

    C'est le demon!

 

HERNANI (_a un jeune valet_).

    Viens, toi; tu gagneras la somme.

    Riche alors, de valet tu redeviendras homme.

 

_Aux valets gui restent immobiles_.

    Vous aussi, vous tremblez! Ai-je assez de malheur!

 

DON RUY GOMEZ.

    Frere, a toucher ta tete, ils risqueraient la leur.

    Fusses-tu Hernani, fusses-tu cent fois pire,

    Pour ta vie au lieu d'or offrit-on un empire,

    Mon hote, je te dois proteger en ce lieu,

    Meme contre le roi, car je te tiens de Dieu.

    S'il tombe un seul cheveu de ton front, que je meure!

 

_A dona Sol_.

    Ma niece, vous serez ma femme dans une heure;

    Rentrez chez vous. Je vais faire armer le chateau[33],

    J'en vais fermer la porte.

 

_Il sort. Les valets le suivent_.

 

HERNANI (_regardant avec desespoir sa ceinture degarnie et desarmee_).

    Oh! pas meme un couteau!

 

_Dona Sol, apres que le duc a disparu, fait quelques pas comme pour

suivre ses femmes, puis s'arrete, et, des qu'elles sont sorties,

revient vers Hernani avec anxiete_.

 

SCENE IV.

 

HERNANI, DONA SOL.

 

_Hernani considere avec un regard froid et comme inattentif l'ecrin

nuptial place sur la table; puis il hoche la tete, et ses yeux

s'allument_.

 

HERNANI.

    Je vous fais compliment! Plus que je ne puis dire

    La parure me charme et m'enchante, et j'admire!

 

_Il s'approche de l'ecrin_.

    La bague est de bon gout,--la couronne me plait,

    Le collier est d'un beau travail,--le bracelet

    Est rare,--mais cent fois, cent fois moins[34] que la femme

    Qui sous un front si pur cache ce coeur infame!

 

_Examinant de nouveau le coffret_.

    Et qu'avez-vous donne pour tout cela?--Fort bien!

    Un peu de votre amour? mais, vraiment, c'est pour rien!

    Grand Dieu! trahir ainsi! n'avoir pas honte, et vivre!

 

_Examinant l'ecrin_.

    Mais peut-etre apres tout c'est perle fausse et cuivre

    Au lieu d'or, verre et plomb, diamants deloyaux,

    Faux saphirs, faux bijoux, faux brillants, faux joyaux!

    Ah! s'il en est ainsi, comme cette parure,

    Ton coeur est faux, duchesse, et tu n'es que dorure!

 

_Il revient au coffret_.

    --Mais non, non. Tout est vrai, tout est bon, tout est beau!

    Il n'oserait tromper, lui qui touche au tombeau.

    Rien n'y manque.

 

_Il prend l'une apres l'autre toutes les pieces de l'ecrin_.

    Colliers, brillants, pendants d'oreille

    Couronne de duchesse, anneau d'or...--A merveille!

    Grand merci de l'amour sur, fidele et profond[35]!

    Le precieux ecrin!

 

DONA SOL (_Elle va au coffret, y fouille, et en tire un poignard_).

    Vous n'allez pas au fond!

    --C'est le poignard qu'avec l'aide de ma patronne[36]

    Je pris au roi Carlos, lorsqu'il m'offrit un trone,

    Et que je refusai, pour vous qui m'outragez[37]!

 

HERNANI (_tombant a ses pieds_).

    Oh! laisse qu'a genoux dans tes yeux affliges

    J'efface tous ces pleurs amers et pleins de charmes,

    Et tu prendras apres tout mon sang pour tes larmes!

 

DONA SOL (_attendrie_).

    Hernani! je vous aime et vous pardonne, et n'ai

    Que de l'amour pour vous.

 

HERNANI.

    Elle m'a pardonne,

    Et m'aime! Qui pourra faire aussi que moi-meme,

    Apres ce que j'ai dit, je me pardonne et m'aime?

    Oh! je voudrais savoir, ange au ciel reserve,

    Ou vous avez marche, pour baiser le pave!

 

DONA SOL.

    Ami!

 

HERNANI.

    Non, je dois t'etre odieux! Mais, ecoute,

    Dis-moi: Je t'aime! Helas! rassure un coeur qui doute,

    Dis-le-moi! car souvent avec ce peu de mots

    La bouche d'une femme a gueri bien des maux.

 

DONA SOL (_absorbee et sans l'entendre_).

    Croire que mon amour[38] eut si peu de memoire!

    Que jamais ils pourraient, tous ces hommes sans gloire

    Jusqu'a d'autres amours, plus nobles a leur gre,

    Rapetisser un coeur ou son nom est entre!

 

HERNANI.

    Helas! j'ai blaspheme! Si j'etais a ta place,

    Dona Sol, j'en aurais assez, je serais lasse

    De ce fou furieux, de ce sombre insense[39]

    Qui ne sait caresser qu'apres qu'il a blesse,

    Je lui dirais: Va-t'en!--Repousse-moi! repousse!

    Et je te benirai, car tu fus bonne et douce,

    Car tu m'as supporte trop longtemps, car je suis

    Mauvais, je noircirais tes jours avec mes nuits,

    Car c'en est trop enfin, ton ame est belle et haute

    Et pure, et si je suis mechant, est-ce ta faute?

    Epouse le vieux duc! il est bon, noble, il a

    Par sa mere Olmedo[40], par son pere Alcala[41].

    Encore un coup[42], sois riche avec lui, sois heureuse!

    Moi, sais-tu ce que peut cette main genereuse

    T'offrir de magnifique? une dot de douleurs.

    Tu pourras y choisir ou du sang ou des pleurs.

    L'exil, les fers, la mort, l'effroi qui m'environne,

    C'est la ton collier d'or, c'est ta belle couronne,

    Et jamais a l'epouse un epoux plein d'orgueil

    N'offrit plus riche ecrin de misere et de deuil.

    Epouse le vieillard, te dis-je; il te merite!

    Eh! qui jamais croira que ma tete proscrite

    Aille avec ton front pur? qui, nous voyant tous deux,

    Toi calme et belle, moi violent, hasardeux,

    Toi paisible et croissant comme une fleur a l'ombre,

    Moi heurte dans l'orage a des ecueils sans nombre,

    Qui dira que nos sorts suivent la meme loi?

    Non. Dieu qui fait tout bien ne te fit pas pour moi.

    Je n'ai nul droit d'en haut sur toi, je me resigne.

    J'ai ton coeur, c'est un vol! je le rends au plus digne.

    Jamais a nos amours le ciel n'a consenti.

    Si j'ai dit que c'etait ton destin, j'ai menti.

    D'ailleurs, vengeance, amour, adieu! mon jour s'acheve.

    Je m'en vais, inutile, avec mon double reve,

    Honteux de n'avoir pu ni punir ni charmer,

    Qu'on m'ait fait pour hair[43], moi qui n'ai su qu'aimer!

    Pardonne-moi! fuis-moi! ce sont mes deux prieres;

    Ne les rejette pas, car ce sont les dernieres.

    Tu vis et je suis mort. Je ne vois pas pourquoi

    Tu te ferais murer dans ma tombe avec moi.

 

DONA SOL.

    Ingrat!

 

HERNANI.

    Monts d'Aragon! Galice! Estramadoure[44]!

    --Oh! je porte malheur a tout ce qui m'entoure!

    J'ai pris vos meilleurs fils, pour mes droits sans remords

    Je les ai fait combattre, et voila qu'ils sont morts!

    C'etaient les plus vaillants de la vaillante Espagne.

    Ils sont morts! ils sont tous tombes dans la montagne,

    Tous sur le dos couches, en braves, devant Dieu,

    Et, si leurs yeux s'ouvraient, ils verraient le ciel bleu!

    Voila ce que je fais de tout ce qui m'epouse!

    Est-ce une destinee a te rendre jalouse?

    Dona Sol, prends le duc, prends l'enfer, prends le roi!

    C'est bien. Tout ce qui n'est pas moi vaut mieux que moi!

    Je n'ai plus un ami qui de moi se souvienne,

    Tout me quitte, il est temps qu'a la fin ton tour vienne,

    Car je dois etre seul. Fuis ma contagion.

    Ne te fais pas d'aimer une religion[45]!

    Ah! par pitie pour toi, fuis!--Tu me crois peut-etre

    Un homme comme sont tous les autres, un etre

    Intelligent, qui court droit au but qu'il reva.

    Detrompe-toi. Je suis une force qui va!

    Agent aveugle et sourd de mysteres funebres!

    Une ame de malheur faite avec des tenebres!

    Ou vais-je? Je ne sais. Mais je me sens pousse

    D'un souffle impetueux, d'un destin insense.

    Je descends, je descends, et jamais ne m'arrete.

    Si parfois, haletant, j'ose tourner la tete,

    Une voix me dit: Marche! et l'abime est profond,

    Et de flamme ou de sang je le vois rouge au fond!

    Cependant, a l'entour de ma course farouche,

    Tout se brise, tout meurt. Malheur a qui me touche!

    Oh! fuis! detourne-toi de mon chemin fatal,

    Helas! sans le vouloir, je te ferais du mal!

 

DONA SOL.

    Grand Dieu!

 

HERNANI.

    C'est un demon redoutable, te dis-je,

    Que le mien[46]. Mon bonheur, voila le seul prodige

    Qui lui soit impossible. Et toi, c'est le bonheur!

    Tu n'es donc pas pour moi, cherche un autre seigneur!

    Va, si jamais le ciel a mon sort qu'il renie

    Souriait... n'y crois pas! ce serait ironie!

    Epouse le duc!

 

DONA SOL.

    Donc, ce n'etait pas assez!

    Vous aviez dechire mon coeur, vous le brisez!

    Ah! vous ne m'aimez plus!

 

HERNANI.

    Oh! mon coeur et mon ame,

    C'est toi, l'ardent foyer d'ou me vient toute flamme,

    C'est toi! Ne m'en veux pas de fuir[47], etre adore!

 

DONA SOL.

    Je ne vous en veux pas. Seulement j'en mourrai.

 

HERNANI.

    Mourir! pour qui? pour moi? Se peut-il que tu meures

    Pour si peu?

 

DONA SOL (_laissant eclater ses larmes_).

    Voila tout.

 

_Elle tombe sur un fauteuil_.

 

HERNANI (_s'asseyant pres d'elle_).

    Oh! tu pleures! tu pleures!

    Et c'est encor ma faute! et qui me punira?

    Car tu pardonneras encor! Qui te dira

    Ce que je souffre au moins, lorsqu'une larme noie

    La flamme de tes yeux dont l'eclair est ma joie!

    Oh! mes amis sont morts[48]! Oh! je suis insense!

    Pardonne. Je voudrais aimer, je ne le sai.

    Helas! j'aime pourtant d'une amour[49] bien profonde!

    --Ne pleure pas! mourons plutot!--Que n'ai-je un monde?

    Je te le donnerais! Je suis bien malheureux!

 

DONA SOL (_se jetant a son cou_).

    Vous etes mon lion superbe et genereux!

    Je vous aime.

 

HERNANI.

    Oh! l'amour serait un bien supreme

    Si l'on pouvait mourir de trop aimer!

 

DONA SOL.

    Je t'aime!

    Monseigneur! je vous aime et je suis toute a vous.

 

HERNANI (_laissant tomber sa tete sur son epaule_).

    Oh! qu'un coup de poignard de toi me serait doux!

 

DONA SOL (_suppliante_).

    Ah! ne craignez vous pas que Dieu ne vous punisse

    De parler de la sorte?

 

HERNANI (_toujours appuye sur son sein_).

    Eh bien! qu'il nous unisse!

    Tu le veux. Qu'il en soit ainsi[50]!--J'ai resiste.

 

_Tous deux, dans les bras l'un de l'autre, se regardent avec extase,

sans voir, sans entendre, et comme absorbes dans leur regard. Entre

don Ruy Gomez par la porte du fond. Il regarde et s'arrete comme

petrifie sur le seuil_.

 

SCENE V.

 

HERNANI, DONA SOL, DON RUY GOMEZ.

 

DON RUY GOMEZ (_immobile et croisant les bras sur le seuil de la

porte_).

    Voila donc le paiment de l'hospitalite!

 

DONA SOL.

    Dieu! le duc!

 

_Tous deux se retournent comme reveilles en sursaut_.

 

DON RUY GOMEZ (toujours immobile).

    C'est donc la mon salaire, mon hote?

    --Bon seigneur, va-t'en voir si ta muraille est haute,

    Si la porte est bien close et l'archer dans sa tour,

    De ton chateau pour nous fais et refais le tour,

    Cherche en ton arsenal une armure a ta taille,

    Ressaye a soixante ans ton harnois[51] de bataille!

    Voici la loyaute dont nous pairons ta foi!

    Tu fais cela pour nous, et nous ceci pour toi!

    Saints du ciel! j'ai vecu plus de soixante annees,

    J'ai vu bien des bandits aux ames effrenees,

    J'ai souvent, en tirant ma dague du fourreau,

    Fait lever sur mes pas des gibiers de bourreau[52],

    J'ai vu des assassins, des monnayeurs, des traitres,

    De faux valets a table empoisonnant leur maitres,

    J'en ai vu qui mouraient sans croix et sans pater[53],

    J'ai vu Sforce[54], j'ai vu Borgia[55], je vois Luther[56],

    Mais je n'ai jamais vu perversite si haute

    Qui n'eut craint le tonnerre en trahissant son hote!

    Ce n'est pas de mon temps. Si noire trahison

    Petrifie un vieillard au seuil de sa maison,

    Et fait que le vieux maitre, en attendant qu'il tombe,

    A l'air d'une statue a mettre sur sa tombe.

    Maures et Castillans! quel est cet homme-ci?

 

_Il leve les yeux et les promene sur les portraits qui entourent la

salle_.

    O vous, tous les Silva qui m'ecoutez ici,

    Pardon si devant vous, pardon si ma colere

    Dit l'hospitalite mauvaise conseillere!

 

HERNANI (_se levant_).

    Duc...

 

DON RUY GOMEZ.

    Tais-toi!

 

_Il fait lentement trois pas dans la salle et promene de

nouveau ses regards sur les portraits des Silva_.

    Morts sacres! aieux! hommes de fer!

    Qui voyez ce qui vient du ciel et de l'enfer,

    Dites-moi, messeigneurs, dites, quel est cet homme?

    Ce n'est pas Hernani, c'est Judas qu'on le nomme!

    Oh! tachez de parler pour me dire son nom!

 

_Croisant les bras_.

    Avez-vous de vos jours vu rien de pareil? Non!

 

HERNANI.

    Seigneur duc...

 

DON RUY GOMEZ (_toujours aux portraits_).

    Voyez-vous, il veut parler, l'infame!

    Mais, mieux encor que moi, vous lisez dans son ame.

    Oh! ne l'ecoutez pas! C'est un fourbe! Il prevoit

    Que mon bras va sans doute ensanglanter mon toit,

    Que peut-etre mon coeur couve dans ses tempetes

    Quelque vengeance, soeur du festin des sept tetes[57],

    Il vous dira qu'il est proscrit, il vous dira

    Qu'on va dire Silva comme l'on dit Lara,

    Et puis qu'il est mon hote, et puis qu'il est votre hote...

    Mes aieux, mes seigneurs, voyez, est-ce ma faute?

    Jugez entre nous deux!

 

HERNANI.

    Ruy Gomez de Silva,

    Si jamais vers le ciel noble front s'eleva,

    Si jamais coeur fut grand, si jamais ame haute,

    C'est la votre, seigneur! c'est la tienne, o mon hote!

    Moi qui te parle ici, je suis coupable, et n'ai

    Rien a dire, sinon que je suis bien damne.

    Oui, j'ai voulu te prendre et t'enlever ta femme,

    Oui, j'ai voulu souiller ton lit, oui, c'est infame!

    J'ai du sang. Tu feras tres bien de le verser,

    D'essuyer ton epee et de n'y plus penser!

 

DONA SOL.

   Seigneur, ce n'est pas lui! Ne frappez que moi-meme!

 

HERNANI.

    Taisez-vous, dona Sol. Car cette heure est supreme.

    Cette heure m'appartient. Je n'ai plus qu'elle. Ainsi

    Laissez-moi m'expliquer avec le duc ici.

    Duc, crois aux derniers mots de ma bouche; j'en jure[58],

    Je suis coupable, mais sois tranquille,--elle est pure!

    C'est la tout. Moi coupable, elle pure; ta foi

    Pour elle, un coup d'epee ou de poignard pour moi.

    Voila.--Puis fais jeter le cadavre a la porte

    Et laver le plancher, si tu veux, il n'importe!

 

DONA SOL.

    Ah! moi seule ai tout fait. Car je l'aime.

 

_Don Ruy se detourne a ce mot en tressaillant, et fixe sur dona Sol

un regard terrible. Elle se jette a ses genoux_.

    Oui, pardon!

    Je l'aime, monseigneur!

 

DON RUY GOMEZ.

    Vous l'aimez!

 

_A Hernani_.

    Tremble donc!

 

_Bruit de trompettes au dehors.--Entre le page. Au page_

    Qu'est ce bruit?

 

LE PAGE.

    C'est le roi, monseigneur, en personne,

    Avec un gros d'archers et son heraut qui sonne.

 

DONA SOL.

    Dieu! le roi! Dernier coup!

 

LE PAGE (_au duc_).

    Il demande pourquoi

    La porte est close, et veut qu'on ouvre.

 

DON RUY GOMEZ.

    Ouvrez au roi.

 

_Le page s'incline et sort_.

 

DONA SOL.

    Il est perdu!

 

_Don Ruy Gomez va a l'un des tableaux, qui est son propre portrait et

le dernier a gauche; il presse un ressort, le portrait s'ouvre comme

une porte, et laisse voir une cachette pratiquee dans le mur. Il se

tourne vers Hernani_.

 

DON RUY GOMEZ.

    Monsieur, venez ici.

 

HERNANI.

    Ma tete

    Est a toi. Livre-la, seigneur. Je la tiens prete.

    Je suis ton prisonnier.

 

_Il entre dans la cachette. Don Ruy presse de nouveau le ressort,

tout se referme, et le portrait revient a sa place_.

 

DONA SOL (_au duc_).

    Seigneur, pitie pour lui!

 

LE PAGE (_entrant_).

    Son altesse le roi.

 

_Dona Sol baisse precipitamment son voile. La porte s'ouvre a deux

battants. Entre don Carlos en habit de guerre, suivi d'une foule de

gentilshommes egalement armes, de pertuisaniers, d'arquebusiers,

d'arbaletriers_.

 

SCENE VI.

 

DON RUY GOMEZ; DONA SOL (_voilee_); DON CARLOS; SUITE.

 

_Don Carlos s'avance a pas lents, la main gauche sur le pommeau de son

epee, la droite dans sa poitrine, et fixe sur le vieux duc un oeil

de defiance et de colere. Le duc va au devant du roi et le salue

profondement.--Silence.--Attente et terreur alentour. Enfin, le roi,

arrive en face du duc, leve brusquement la tete_.

 

DON CARLOS.

    D'ou vient donc aujourd'hui,

    Mon cousin, que ta porte est si bien verrouillee?

    Par les saints! je croyais ta dague plus rouillee!

    Et je ne savais pas qu'elle eut hate a ce point,

    Quand nous te venons voir, de reluire a ton poing[59]!

 

_Don Ruy Gomez veut parler, le roi poursuit avec un geste imperieux_.

    C'est s'y prendre un peu tard[60] pour faire le jeune homme!

    Avons-nous des turbans? serait-ce qu'on me nomme

    Boabdil[61] ou Mahom[62], et non Carlos, repond!

    Pour nous baisser la herse et nous lever le pont?

 

DON RUY GOMEZ (_s'inclinant_).

    Seigneur...

 

DON CARLOS (_a ses gentilshommes_).

    Prenez les clefs! saissisez-vous des portes!

 

_Deux officiers sortent. Plusieurs autres rangent les soldats en

triple haie dans la salle, du roi a la grande porte. Don Carlos se

retourne vers le duc_.

    Ah! vous reveillez donc les rebellions mortes?

    Pardieu! si vous prenez de ces airs avec moi.

    Messieurs les ducs, le roi prendra des airs de roi

    Et j'irai par les monts, de mes mains aguerries,

    Dans leurs nids creneles tuer les seigneuries!

 

DON RUY GOMEZ (_se redressant_).

    Altesse, les Silva sont loyaux...

 

DON CARLOS (l'interrompant).

    Sans detours

    Reponds, duc, ou je fais raser tes onze tours!

    De l'incendie eteint il reste une etincelle,

    Des bandits morts il reste un chef.--Qui le recele?

    C'est toi! Ce Hernani, rebelle empoisonneur,

    Ici, dans ton chateau, tu le caches!

 

DON RUY GOMEZ.

    Seigneur,

    C'est vrai.

 

DON CARLOS.

    Fort bien. Je veux sa tete,--ou bien la tienne,

    Entends-tu, mon cousin?

 

DON RUY GOMEZ (_s'inclinant_).

    Mais qu'a cela ne tienne[63]!

    Vous serez satisfait.

 

_Dona Sol cache sa tete dans ses mains et tombe sur le fauteuil_.

 

DON CARLOS (_radouci_).

    Ah! tu t'amendes.--Va

    Chercher mon prisonnier.

 

_Le duc croise les bras, baisse la tete et reste quelques moments

reveur. Le roi et dona Sol l'observent en silence et agites

d'emotions contraires. Enfin le duc releve son front, va au roi, lui

prend la main, et le mene a pas lents devant le plus ancien des

portraits, celui qui commence la galerie a droite_.

 

DON RUY GOMEZ (_montrant au roi le vieux portrait_).

    Celui-ci, des Silva

    C'est l'aine, c'est l'aieul, l'ancetre, le grand homme!

    Don Silvius[64], qui fut trois fois consul de Rome.

 

_Passant au portrait suivant_.

    Voici don Galceran de Silva, l'autre Cid!

    On lui garde a Toro[65], pres de Valladolid[66],

    Une chasse doree ou brulent mille cierges.

    Il affranchit Leon du tribut des cent vierges[67].

 

_Passant a un autre_.

    --Don Blas,--qui, de lui-meme et dans sa bonne foi,

    S'exila pour avoir mal conseille le roi.

 

_A un autre_.

    --Christoval.--Au combat d'Escalona, don Sanche,

    Le roi, fuyait a pied, et sur sa plume blanche

    Tous les coups s'acharnaient; il cria: Christoval!

    Christoval prit la plume et donna son cheval.

 

_A un autre_.

    --Don Jorge, qui paya la rancon de Ramire[68],

    Roi d'Aragon.

 

DON CARLOS (_croisant les bras et le regardant de la tete aux pieds_).

    Pardieu! don Ruy, je vous admire!

    Continuez!

 

DON RUY GOMEZ (_passant a un autre_).

    Voici Ruy Gomez de Silva,

    Grand-maitre de Saint-Jacque et de Calatrava[69].

    Son armure geante irait mal a nos tailles.

    Il prit trois cents drapeaux, gagna trente batailles,

    Conquit au roi Motril[70], Antequera[71], Suez[72],

    Nijar[73], et mourut pauvre.--Altesse, saluez.

 

_Il s'incline, se decouvre, et passe a un autre. Le roi l'ecoute

avec une impatience et une colere toujours croissantes_.

    Pres de lui, Gil son fils, cher aux ames loyales.

    Sa main pour un serment valait les mains royales.

 

_A un autre_.

    --Don Gaspard, de Mendoce et de Silva l'honneur!

    Toute noble maison tient a Silva[74], seigneur.

    Sandoval tour a tour nous craint ou nous epouse,

    Manrique nous envie et Lara nous jalouse.

    Alencastre[75] nous hait. Nous touchons a la fois

    Du pied a tous les ducs, du front a tous les rois!

 

DON CARLOS.

    Vous raillez-vous?

 

DON RUY GOMEZ (_allant a d'autres portraits_).

    Voila don Vasquez, dit le Sage,

    Don Jayme, dit le Fort. Un jour, sur son passage,

    Il arreta Zamet[76] et cent maures tout seul.

    --J'en passe, et des meilleurs.

 

_Sur un geste de colere du roi, il passe un grand nombre de tableaux,

et vient tout de suite aux trois derniers portraits a gauche du

spectateur_.

    Voici mon noble aieul.

    Il vecut soixante ans, gardant la foi juree,

    Meme aux juifs.

 

_A l'avant-dernier_.

    Ce vieillard, cette tete sacree,

    C'est mon pere. Il fut grand, quoi qu'il vint le dernier.

    Les maures de Grenade avaient fait prisonnier

    Le comte Alvar Giron, son ami. Mais mon pere

    Prit pour l'aller chercher six cents hommes de guerre;

    Il fit tailler en pierre un comte Alvar Giron

    Qu'a sa suite il traina, jurant par son patron

    De ne point reculer que le comte de pierre

    Ne tournat front lui-meme et n'allat en arriere.

    Il combattit, puis vint au comte, et le sauva.

 

DON CARLOS

    Mon prisonnier!

 

DON RUY GOMEZ.

    C'etait un Gomez de Silva.

    Voila donc ce qu'on dit quand dans cette demeure

    On voit tous ces heros...

 

DON CARLOS.

    Mon prisonnier sur l'heure!

 

DON RUY GOMEZ (_Il s'incline profondement devant le roi, lui prend la

main et le mene devant le dernier portrait, celui qui sert de porte a

la cachette ou il a fait entrer Hernani. Dona Sol le suit des yeux

avec anxiete.--Attente et silence dans l'assistance_.

    Ce portrait, c'est le mien.--Roi don Carlos, merci!

    Car vous voulez qu'on dise en le voyant ici:

    "Ce dernier, digne fils d'une race si haute,

    Fut un traitre, et vendit la tete de son hote!"

 

_Joie de dora Sol. Mouvement de stupeur dans les assistants. Le roi,

deconcerte, s'eloigne avec colere. Puis reste quelques instants

silencieux, les levres tremblantes et l'oeil enflamme_.

 

DON CARLOS.

    Duc, ton chateau me gene et je le mettrai bas!

 

DON RUY GOMEZ.

    Car vous me la pairiez[77], altesse, n'est-ce pas?

 

DON CARLOS.

    Duc, j'en ferai raser les tours pour tant d'audace,

    Et je ferai semer du chanvre sur la place.

 

DON RUY GOMEZ.

    Mieux voir croitre du chanvre ou ma tour s'eleva

    Qu'une tache ronger le vieux nom de Silva.

 

_Aux portraits_.

   N'est-il pas vrai, vous tous?

 

DON CARLOS.

    Duc, cette tete est notre[78],

    Et tu m'avais promis...

 

DON RUY GOMEZ.

    J'ai promis l'une ou l'autre,

 

_Aux portraits_.

    N'est-il pas vrai, vous tous?

 

_Montrant sa tete_.

    Je donne celle-ci.

 

_Au roi_.

    Prenez-la.

 

DON CARLOS.

    Duc, fort bien. Mais j'y perds, grand merci[79]!

    La tete qu'il me faut est jeune, il faut que morte

    On la prenne aux cheveux. La tienne? que m'importe!

    Le bourreau la prendrait par les cheveux en vain.

    Tu n'en as pas assez pour lui remplir la main!

 

DON RUY GOMEZ.

    Altesse, pas d'affront! ma tete encore est belle,

    Et vaut bien, que je crois, la tete d'un rebelle.

    La tete d'un Silva, vous etes degoute!

 

DON CARLOS.

    Livre-nous Hernani!

 

DON Ruy GOMEZ.

    Seigneur, en verite,

    J'ai dit.

 

DON CARLOS (_a sa suite_).

    Fouillez partout! et qu'il ne soit point d'aile,

    De cave ni de tour...

 

DON RUY GOMEZ.

    Mon donjon est fidele

    Comme moi. Seul il sait le secret avec moi.

    Nous le garderons bien tous deux.

 

DON CARLOS.

    Je suis le roi!

 

DON RUY GOMEZ.

    Hors que de mon chateau demoli pierre a pierre

    On ne fasse ma tombe, on n'aura rien.

 

DON CARLOS.

    Priere,

    Menace, tout est vain!--Livre-moi le bandit,

    Duc! ou tete et chateau, j'abattrai tout.

 

DON RUY GOMEZ.

    J'ai dit.

 

DON CARLOS.

    Eh bien donc! au lieu d'une alors j'aurai deux tetes.

 

_Au duc d'Alcala_[80].

    Jorge, arretez le duc.

 

DONA SOL (_arrachant son voile et se jetant entre le roi, le duc, et

les gardes_).

    Roi don Carlos, vous etes

    Un mauvais roi!

 

DON CARLOS.

    Grand Dieu! Que vois-je? dona Sol!

 

DONA SOL.

    Altesse, tu n'as pas le coeur d'un Espagnol!

 

DON CARLOS (_trouble_).

    Madame, pour le roi vous etes bien severe.

 

_Il s'approche de dona Sol. Bas_.

    C'est vous qui m'avez mis au coeur cette colere.

    Un homme devient ange ou monstre en vous touchant.

    Ah! quand on est hai, que vite[81] on est mechant!

    Si vous aviez voulu, peut-etre, o jeune fille,

    J'etais grand, j'eusse ete le lion de Castille!

    Vous m'en faites le tigre avec votre courroux.

    Le voila qui rugit, madame, taisez-vous!

 

_Dona Sol lui jette un regard. Il s'incline_.

    Pourtant, j'obeirai.

 

_Se tournant vers le duc_.

    Mon cousin, je t'estime.

    Ton scrupule apres tout peut sembler legitime.

    Sois fidele a ton hote, infidele a ton roi,

    C'est bien, je te fais grace et suis meilleur que toi.

    --J'emmene seulement ta niece comme otage.

 

DON RUY GOMEZ.

    Seulement!

 

DONA SOL (_interdite_).

    Moi, seigneur!

 

DON CARLOS.

    Oui, vous.

 

DON RUY GOMEZ.

    Pas davantage!

    O la grande clemence! o genereux vainqueur,

    Qui menage la tete et torture le coeur!

    Belle grace!

 

DON CARLOS.

    Choisis. Dona Sol ou le traitre.

    Il me faut l'un des deux.

 

DON RUY GOMEZ.

    Ah! vous etes le maitre!

 

_Don Carlos s'approche de dona Sol pour l'emmener. Elle se

refugie vers don Ruy Gomez_.

 

DONA SOL.

    Sauvez-moi, monseigneur!

 

_Elle s'arrete.--A part_.

    Malheureuse, il le faut!

    La tete de mon oncle ou l'autre!... Moi plutot!

 

_Au roi_.

    Je vous suis.

 

DON CARLOS (_a part_).

    Par les saints! l'idee est triomphante!

    Il faudra bien enfin s'adoucir, mon infante[82]!

 

_Dona Sol va d'un pas grave et assure au coffret qui renferme l'ecrin,

l'ouvre et y prend le poignard, qu'elle cache dans son sein. Don

Carlos vient a elle et lui presente la main_.

 

DON CARLOS (_a dona Sol_).

    Qu'emportez-vous la?

 

DONA SOL.

    Rien.

 

DON CARLOS.

    Un joyau precieux?

 

DONA SOL.

    Oui.

 

DON CARLOS (_souriant_).

    Voyons.

 

DONA SOL.

    Vous verrez.

 

_Elle lui donne la main et se dispose a le suivre. Don Ruy Gomez, qui

est reste immobile et profondement absorbe dans sa pensee, se

retourne et fait quelques pas en criant_.

 

DON RUY GOMEZ.

    Dona Sol! terre et cieux!

    Dona Sol!--Puisque l'homme ici n'a point d'entrailles,

    A mon aide! croulez, armures et murailles!

 

_Il court au roi_.

    Laisse-moi mon enfant! je n'ai qu'elle, o mon roi!

 

DON CARLOS (lachant la main de dona Sol).

    Alors, mon prisonnier!

 

_Le duc baisse la tete et semble en proie a une horrible hesitation;

puis il se releve, et regarde les portraits en joignant les mains

vers eux_.

 

DON RUY GOMEZ.

    Ayez pitie de moi,

    Vous tous!

 

_Il fait un pas vers la cachette; dona Sol le suit des yeux avec

anxiete. Il se retourne vers les portraits_.

    Oh! voilez-vous! votre regard m'arrete.

 

_Il s'avance en chancelant jusqu'a son portrait, puis se retourne

encore vers le roi_.

    Tu le veux?

 

DON CARLOS.

    Oui.

 

_Le duc leve en tremblant la main vers le ressort_.

 

DONA SOL.

    Dieu!

 

DON RUY GOMEZ.

    Non!

 

_Il se jette aux genoux du roi_.

    Par pitie, prends ma tete!

 

DON CARLOS.

    Ta niece!

 

DON RUY GOMEZ (_se relevant_).

    Prends-la donc! et laisse-moi l'honneur!

 

DON CARLOS (_saisissant la main de dona Sol tremblante_).

    Adieu, duc.

 

DON RUY GOMEZ.

    Au revoir!

 

_Il suit de l'oeil le roi, qui se retire lentement avec dona Sol; puis

il met la main sur son poignard_.

    Dieu vous garde, seigneur!

 

_Il revient sur le devant, haletant, immobile, sans plus rien voir

ni entendre, l'oeil fixe, les bras croises sur sa poitrine, qui les

souleve comme par des mouvements convulsifs. Cependant le roi sort

avec dona Sol, et toute la suite des seigneurs sort apres lui, deux

a deux, gravement et chacun a son rang. Ils se parlent a voix basse

entre eux_.

 

DON RUY GOMEZ (a part).

    Roi, pendant que tu sors joyeux de ma demeure,

    Ma vieille loyaute sort de mon coeur qui pleure.

 

_Il leve les yeux, les promene autour de lui, et voit qu'il est seul.

Il court a la muraille, detache deux epees d'une panoplie, les mesure

toutes deux, puis les depose sur une table. Cela fait, il va au

portrait, pousse le ressort, la porte cachee se rouvre_.

 

SCENE VII.

 

DON RUY GOMEZ, HERNANI.

 

DON RUY GOMEZ.

    Sors.

 

_Hernani parait a la porte de la cachette. Don Ruy lui montre les deux

epees sur la table_.

    Choisis.--Don Carlos est hors de la maison.

    Il s'agit maintenant de me rendre raison.

    Choisis. Et faisons vite.--Allons donc! ta main tremble!

 

HERNANI.

    Un duel! Nous ne pouvons, vieillard, combattre ensemble.

 

DON RUY GOMEZ.

    Pourquoi donc? As-tu peur? N'est-tu point noble?

    Enfer!

    Noble ou non, pour croiser le fer avec le fer,

    Tout homme qui m'outrage est assez gentilhomme!

 

HERNANI.

    Vieillard...

 

DON RUY GOMEZ.

    Viens me tuer ou viens mourir, jeune homme.

 

HERNANI.

    Mourir, oui. Vous m'avez sauve malgre mes voeux[83].

    Donc, ma vie est a vous. Reprenez-la.

 

DON RUY GOMEZ.

    Tu veux?

 

_Aux portraits_.

    Vous voyez qu'il le veut.

 

_A Hernani_.

    C'est bon. Fais ta priere.

 

HERNANI.

    Oh! c'est a toi, seigneur, que je fais la derniere.

 

DON RUY GOMEZ.

    Parle a l'autre Seigneur.

 

HERNANI.

    Non, non, a toi! Vieillard,

    Frappe-moi. Tout m'est bon, dague, epee ou poignard.

    Mais fais-moi, par pitie, cette supreme joie!

    Duc, avant de mourir, permets que je la voie!

 

DON RUY GOMEZ.

    La voir!

 

HERNANI.

    Au moins permets que j'entende sa voix

    Une derniere fois! rien qu'une seule fois!

 

DON RUY GOMEZ.

    L'entendre!

 

HERNANI.

    Oh! je comprends, seigneur, ta jalousie.

    Mais deja par la mort ma jeunesse est saisie,

    Pardonne-moi. Veux-tu, dis-moi, que, sans la voir,

    S'il le faut, je l'entende? et je mourrai ce soir.

    L'entendre seulement! contente[84] mon envie!

    Mais, oh! qu'avec douceur j'exhalerais ma vie,

    Si tu daignais vouloir qu'avant de fuir aux cieux

    Mon ame allat revoir la sienne dans ses yeux!

    --Je ne lui dirai rien. Tu seras la, mon pere.

    Tu me prendras apres.

 

DON RUY GOMEZ (_montrant la cachette encore ouverte_).

    Saints du ciel! ce repaire

    Est-il donc si profond, si sourd et si perdu,

    Qu'il n'ait entendu rien?

 

HERNANI.

    Je n'ai rien entendu.

 

DON RUY GOMEZ.

    Il a fallu livrer dona Sol ou toi-meme.

 

HERNANI.

    A qui, livree?

 

DON RUY GOMEZ.

    Au roi.

 

HERNANI.

    Vieillard stupide! il l'aime.

 

DON RUY GOMEZ.

    Il l'aime!

 

HERNANI.

    Il nous l'enleve! il est notre rival!

 

DON RUY GOMEZ.

    O malediction!--Mes vassaux! A cheval!

    A cheval! poursuivons le ravisseur!

 

HERNANI.

    Ecoute.

    La vengeance au pied sur fait moins de bruit en route.

    Je t'appartiens. Tu peux me tuer. Mais veux-tu

    M'employer a venger ta niece et sa vertu?

    Ma part dans ta vengeance! oh! fais-moi cette grace.

    Et, s'il faut embrasser tes pieds, je les embrasse!

    Suivons le roi tous deux. Viens, je serai ton bras,

    Je te vengerai, duc. Apres, tu me tueras.

 

DON RUY GOMEZ.

    Alors, comme aujourd'hui, te laisseras-tu faire[85]?

 

HERNANI.

    Oui, duc.

 

DON RUY GOMEZ.

    Qu'en jures-tu?

 

HERNANI.

    La tete de mon pere.

 

DON RUY GOMEZ.

    Voudras-tu de toi-meme un jour t'en souvenir?

 

HERNANI (_lui presentant le cor qu'il detache de sa ceinture_).

    Ecoute. Prends ce cor.--Quoi qu'il puisse advenir,

    Quand tu voudras, seigneur, quel que soit le lieu, l'heure,

    S'il te passe a l'esprit qu'il est temps que je meure,

    Viens, sonne de ce cor[86], et ne prends d'autres soins.

    Tout sera fait.

 

DON RUY GOMEZ (_lui tendant la main_).

    Ta main.

 

_Ils se serrent la main.--Aux portraits_.

    Vous tous, soyez temoins!

 

ACTE QUATRIEME - LE TOMBEAU.

 

AIX-LA-CHAPELLE.

 

_Les caveaux qui renferment le tombeau de Charlemagne a

Aix-la-Chapelle[1]. De grandes voutes d'architecture lombarde. Gros

piliers bas, pleins cintres, chapiteaux d'oiseaux et de fleurs.--A

droite, le tombeau de Charlemagne, avec une petite porte de bronze,

basse et cintree. Une seule lampe suspendue a une clef de voute en

eclaire l'inscription: KAROLVS MAGNVS.--Il est nuit. On ne voit pas

le fond du souterrain; l'ail se perd dans les arcades, les escaliers

et les piliers qui s'entre croisent dans l'ombre_.

 

SCENE PREMIERE.

 

DON CARLOS, DON RICARDO DE ROXAS, COMTE DE CASAPALMA (_une lanterne

a la main. Grands manteaux, chapeaux rabattus_).

 

DON RICARDO (_son chapeau a la main_).

    C'est ici.

 

DON CARLOS.

    C'est ici que la ligue s'assemble!

    Que je vais dans ma main les tenir tous ensemble!

    Ah! monsieur l'electeur de Treves[2], c'est ici!

    Vous leur pretez ce lieu! Certe, il est bien choisi!

    Un noir complot prospere a l'air des catacombes.

    Il est bon d'aiguiser les stylets sur des tombes.

    Pourtant c'est jouer gros. La tete est de l'enjeu,

    Messieurs les assassins! et nous verrons.--Pardieu!

    Ils font bien de choisir pour une telle affaire

    Un sepulcre,--ils auront moins de chemin a faire.

 

_A don Ricardo_.

    Ces caveaux sous le sol s'etendent-ils bien loin?

 

DON RICARDO.

    Jusques au chateau-fort.

 

DON CARLOS.

    C'est plus qu'il n'est besoin.

 

DON RICARDO.

    D'autres, de ce cote, vont jusqu'au monastere

    D'Altenheim...

 

DON CARLOS.

    Ou Rodolphe extermina Lothaire[3].

    Bien.--Une fois encor, comte, redites-moi

    Les noms et les griefs, ou, comment, et pourquoi.

 

DON RICARDO.

    Gotha[4].

 

DON CARLOS.

    Je sais pourquoi le brave duc conspire.

    Il veut un Allemand d'Allemagne a l'Empire.

 

DON RICARDO.

    Hohenbourg.

 

DON CARLOS.

    Hohenbourg aimerait mieux, je croi[5],

    L'enfer avec Francois que le ciel avec moi.

 

DON RICARDO.

    Don Gil Tellez Giron.

 

DON CARLOS.

    Castille et Notre-Dame!

    Il se revolte donc contre son roi, l'infame!

 

DON RICARDO.

    On dit qu'il vous trouva chez madame Giron

    Un soir que vous veniez de le faire baron.

    Il veut venger l'honneur de sa tendre compagne.

 

DON CARLOS.

    C'est donc qu'il se revolte alors contre l'Espagne.

    --Qui nomme-t-on encore?

 

DON RICARDO.

    On cite avec ceux-la

    Le reverend Vasquez, eveque d'Avila.

 

DON CARLOS.

    Est-ce aussi pour venger la vertu de sa femme?

 

DON RICARDO.

    Puis Guzman de Lara, mecontent, qui reclame

    Le collier de votre ordre.

 

DON CARLOS.

    Ah! Guzman de Lara!

    Si ce n'est qu'un collier qu'il lui faut, il l'aura.

 

DON RICARDO.

    Le duc de Lutzelbourg[6]. Quant aux plans qu'on lui prete...

 

DON CARLOS.

    Le duc de Lutzelbourg est trop grand de la tete[7].

 

DON RICARDO.

    Juan de Haro, qui veut Astorga[8].

 

DON CARLOS.

    Ces Haro

    Ont toujours fait doubler la solde du bourreau[9].

 

DON RICARDO.

    C'est tout.

 

DON CARLOS.

    Ce ne sont pas toutes mes tetes. Comte,

    Cela ne fait que sept, et je n'ai pas mon compte.

 

DON RICARDO.

    Ah! je ne nomme pas quelques bandits, gages

    Par Treve ou par la France...

 

DON CARLOS.

    Hommes sans prejuges

    Dont le poignard, toujours pret a jouer son role,

    Tourne aux plus gros ecus, comme l'aiguille au pole!

 

DON RICARDO.

    Pourtant j'ai distingue deux hardis compagnons[10],

    Tous deux nouveaux venus. Un jeune, un vieux.

 

DON CARLOS.

    Leurs noms?

 

_Don Ricardo leve les epaules en signe d'ignorance_.

    Leur age?

 

DON RICARDO.

    Le plus jeune a vingt ans.

 

DON CARLOS.

    C'est dommage.

 

DON RICARDO.

    Le vieux, soixante au moins.

 

DON CARLOS.

    L'un n'a pas encor l'age,

    Et l'autre ne l'a plus. Tant pis. J'en prendrai soin.

    Le bourreau peut compter sur mon aide au besoin.

    Ah! loin que mon epee aux factions soit douce,

    Je la lui preterai si sa hache s'emousse,

    Comte, et pour l'elargir[11], je coudrai, s'il le faut,

    Ma pourpre imperiale au drap de l'echafaud.

    --Mais serai-je empereur seulement?

 

DON RICARDO.

    Le college,

    A cette heure assemble, delibere.

 

DON CARLOS.

    Que sais-je?

    Ils nommeront Francois premier, ou leur Saxon,

    Leur Frederic le Sage!--Ah! Luther a raison,

    Tout va mal!--Beaux faiseurs de majestes sacrees!

    N'acceptant pour raisons que les raisons dorees!

    Un Saxon heretique[12]! un comte palatin

    Imbecile! un primat de Treves libertin!

    --Quant au roi de Boheme, il est pour moi.--Des princes

    De Hesse[13], plus petits encor que leurs provinces!

    De jeunes idiots! des vieillards debauches!

    Des couronnes, fort bien! mais des tetes? cherchez!

    Des nains! que je pourrais, concile ridicule,

    Dans ma peau de lion emporter comme Hercule[14]!

    Et qui, demaillotes du manteau violet,

    Auraient la tete encor de moins que Triboulet[15]

    --Il me manque trois voix, Ricardo! tout me manque!

    Oh! je donnerais Gand, Tolede et Salamanque[16],

    Mon ami Ricardo, trois villes a leur choix,

    Pour trois voix, s'ils voulaient! Vois-tu, pour ces trois voix,

    Oui, trois de mes cites de Castille ou de Flandre[17],

    Je les donnerais!--sauf, plus tard, a les reprendre[18]!

 

_Don Ricardo salue profondement le roi, et met son chapeau sur sa

tete_.

    --Vous vous couvrez[19]?

 

DON RICARDO.

    Seigneur, vous m'avez tutoye.

 

_Saluant de nouveau_.

    Me voila grand d'Espagne.

 

DON CARLOS (_a part_).

    Ah! tu me fais pitie,

    Ambitieux de rien!--Engeance interessee!

    Comme a travers la notre ils suivent leur pensee!

    Basse-cour ou le roi, mendie sans pudeur,

    A tous ces affames emiette la grandeur!

 

_Revant_.

    Dieu seul et l'empereur sont grands!--et le saint-pere!

    Le reste, rois et ducs! qu'est cela?

 

DON RICARDO.

    Moi, j'espere

    Qu'ils prendront votre altesse.

 

DON CARLOS (_a part_).

    Altesse! altesse, moi!

    J'ai du malheur en tout.--S'il fallait rester roi!

 

DON RICARDO (_a part_).

    Baste[20]! empereur ou non, me voila grand d'Espagne.

 

DON CARLOS.

    Sitot qu'ils auront fait l'empereur d'Allemagne,

    Quel signal a la ville annoncera son nom?

 

DON RICARDO.

    Si c'est le duc de Saxe, un seul coup de canon.

    Deux, si c'est le Francais. Trois, si c'est votre altesse.

 

DON CARLOS.

    Et cette dona Sol! Tout m'irrite et me blesse!

    Comte, si je suis fait empereur, par hasard,

    Cours la chercher. Peut-etre on voudra d'un cesar[21]!

 

DON RICARDO (_souriant_).

    Votre altesse est bien bonne!

 

DON CARLOS (_l'interrompant avec hauteur_).

    Ah! la-dessus, silence!

    Je n'ai point dit encor ce que je veux qu'on pense.

    --Quand saura-t-on le nom de l'elu?

 

DON RICARDO.

    Mais, je crois,

    Dans une heure au plus tard.

 

DON CARLOS.

    Oh! trois voix! rien que trois!

    --Mais ecrasons d'abord ce ramas qui conspire,

    Et nous verrons apres a qui sera l'empire.

 

_Il compte sur ses doigts et frappe du pied_.

    Toujours trois voix de moins! Ah! ce sont eux qui l'ont!

    --Ce Corneille Agrippa pourtant en sait bien long[22]!

    Dans l'ocean celeste il a vu treize etoiles

    Vers la mienne du nord venir a pleines voiles.

    J'aurai l'empire, allons!--Mais d'autre part on dit

    Que l'abbe Jean Tritheme[23] a Francois l'a predit.

    --J'aurais du, pour mieux voir ma fortune eclaircie,

    Avec quelque armement aider la prophetie!

    Toutes predictions du sorcier le plus fin

    Viennent bien mieux a terme et font meilleure fin

    Quand une bonne armee, avec canons et piques,

    Gens de pied, de cheval, fanfares et musiques,

    Prete a montrer la route au sort qui veut broncher,

    Leur sert de sage-femme et les fait accoucher.

    Lequel vaut mieux, Corneille Agrippa? Jean Tritheme?

    Celui dont une armee explique le systeme,

    Qui met un fer de lance au bout de ce qu'il dit,

    Et compte maint soudard, lansquenet ou bandit,

    Dont l'estoc, refaisant la fortune imparfaite,

    Taille l'evenement au plaisir du prophete.

    --Pauvres fous! qui, l'oeil fier, le front haut, visent droit

    A l'empire du monde et disent: J'ai mon droit!

    Ils ont force canons, ranges en longues files,

    Dont le souffle embrase ferait fondre des villes;

    Ils ont vaisseaux, soldats, chevaux, et vous croyez

    Qu'ils vont marcher au but sur les peuples broyes...

    Baste! au grand carrefour de la fortune humaine,

    Qui mieux encor qu'au trone a l'abime nous mene,

    A peine ils font trois pas, qu'indecis, incertains,

    Tachant en vain de lire au livre des destins,

    Ils hesitent, peu surs d'eux-meme, et dans le doute

    Au necroman du coin vont demander leur route!

 

_A don Ricardo_.

    --Va-t'en. C'est l'heure ou vont venir les conjures.

    Ah! la clef du tombeau?

 

DON RICARDO (_remettant une clef au roi_).

    Seigneur, vous songerez

    Au comte de Limbourg[24], gardien capitulaire[25],

    Qui me l'a confiee et fait tout pour vous plaire.

 

DON CARLOS (_le congediant_).

    Fais tout ce que j'ai dit! tout!

 

DON RICARDO (_s'inclinant_).

    J'y vais de ce pas,

    Altesse!

 

DON CARLOS.

    Il faut trois coups de canon, n'est-ce pas?

 

_Don Ricardo s'incline et sort. Don Carlos, reste seul, tombe dans

une profonde reverie. Ses bras se croisent, sa tete flechit sur sa

poitrine; puis il se releve et se tourne vers le tombeau_.

 

SCENE II.[26]

 

DON CARLOS (_seul_).

    Charlemagne, pardon! ces voutes solitaires

    Ne devraient repeter que paroles austeres.

    Tu t'indignes sans doute a ce bourdonnement

    Que nos ambitions font sur ton monument.

    --Charlemagne est ici! Comment, sepulcre sombre,

    Peux-tu sans eclater contenir si grande ombre?

    Es-tu bien la, geant d'un monde createur[27],

    Et t'y peux-tu coucher de toute ta hauteur?

    --Ah! c'est un beau spectacle a ravir la pensee

    Que l'Europe ainsi faite et comme il l'a laissee!

    Un edifice, avec deux hommes au sommet,

    Deux chefs elus auxquels tout roi ne se soumet.

    Presque tous les etats, duches, fiefs militaires,

    Royaumes, marquisats, tous sont hereditaires;

    Mais le peuple a parfois son pape ou son cesar,

    Tout marche, et le hasard corrige le hasard[28].

    De la vient l'equilibre, et toujours l'ordre eclate[29].

    Electeurs de drap d'or, cardinaux d'ecarlate,

    Double senat sacre dont la terre s'emeut,

    Ne sont la qu'en parade, et Dieu veut ce qu'il veut.

    Qu'une idee, au besoin des temps, un jour eclose[30],

    Elle grandit, va, court, se mele a toute chose,

    Se fait homme[31], saisit les coeurs, creuse un sillon;

    Maint roi la foule au pied ou lui met un baillon;

    Mais qu'elle entre un matin a la diete[32], au conclave,

    Et tous les rois soudain verront l'idee esclave,

    Sur leurs tetes de rois que ses pieds courberont,

    Surgir, le globe en main ou la tiare au front[33].

    Le pape et l'empereur sont tout. Rien n'est sur terre

    Que pour eux et par eux. Un supreme mystere

    Vit en eux, et le ciel, dont ils ont tous les droits,

    Leur fait un grand festin des peuples et des rois,

    Et les tient sous sa nue, ou son tonnerre gronde,

    Seuls, assis a la table ou Dieu leur sert le monde.

    Tete a tete ils sont la, reglant et retranchant,

    Arrangeant l'univers comme un faucheur son champ.

    Tout se passe entre eux deux. Les rois sont a la porte,

    Respirant la vapeur des mets que l'on apporte,

    Regardant a la vitre, attentifs, ennuyes,

    Et se haussant, pour voir, sur la pointe des pieds.

    Le monde au-dessous d'eux s'echelonne et se groupe.

    Ils font et defont. L'un delie et l'autre coupe.

    L'un est la verite, l'autre est la force. Ils ont

    Leur raison en eux-meme, et sont parce qu'ils sont.

    Quand ils sortent, tous deux egaux, du sanctuaire,

    L'un dans sa pourpre, et l'autre avec son blanc suaire[34],

    L'univers ebloui contemple avec terreur

    Ces deux moities de Dieu, le pape et l'empereur.

    --L'empereur! l'empereur! etre empereur!--O rage,

    Ne pas l'etre! et sentir son coeur plein de courage!--

    Qu'il fut heureux celui qui dort dans ce tombeau!

    Qu'il fut grand! De son temps c'etait encor plus beau.

    Le pape et l'empereur! ce n'etait plus deux hommes.

    Pierre et Cesar! en eux accouplant les deux Romes[35],

    Fecondant l'une et l'autre en un mystique hymen,

    Redonnant une forme, une ame au genre humain,

    Faisant refondre en bloc peuples et pele-mele

    Royaumes, pour en faire une Europe nouvelle,

    Et tous deux remettant au moule de leur main

    Le bronze qui restait du vieux monde romain!

    Oh! quel destin!--Pourtant cette tombe est la sienne!

    Tout est-il donc si peu que ce soit la qu'on vienne?

    Quoi donc! avoir ete prince, empereur et roi!

    Avoir ete l'epee, avoir ete la loi!

    Geant, pour piedestal avoir eu l'Allemagne!

    Quoi! pour titre cesar et pour nom Charlemagne!

    Avoir ete plus grand qu'Annibal, qu'Attila,

    Aussi grand que le monde!... et que tout tienne la!

    Ah! briguez donc l'empire, et voyez la poussiere

    Que fait un empereur! Couvrez la terre entiere

    De bruit et de tumulte; elevez, batissez

    Votre empire, et jamais ne dites: C'est assez!

    Taillez a larges pans[36] un edifice immense!

    Savez-vous ce qu'un jour il en reste? o demence!

    Cette pierre! Et du titre et du nom triomphants?

    Quelques lettres a faire epeler des enfants!

    Si haut que soit le but ou votre orgueil aspire,

    Voila le dernier terme!...-Oh! l'empire! l'empire!

    Que m'importe! j'y touche, et le trouve a mon gre.

    Quelque chose me dit: Tu l'auras!--Je l'aurai--

    Si je l'avais!...--O ciel! etre ce qui commence!

    Seul, debout, au plus haut de la spirale immense!

    D'une foule d'etats l'un sur l'autre etages

    Etre la clef de voute[37], et voir sous soi ranges

    Les rois, et sur leur tete essuyer ses sandales;

    Voir au-dessous des rois les maisons feodales,

    Margraves, cardinaux, doges, ducs a fleurons[38];

    Puis eveques, abbes, chefs de clans, hauts barons,

    Puis clercs et soldats; puis, loin du faite ou nous sommes,

    Dans l'ombre, tout au fond de l'abime,--les hommes.

    --Les hommes! c'est-a-dire une foule, une mer,

    Un grand bruit, pleurs et cris, parfois un rire amer,

    Plainte qui, reveillant la terre qui s'effare,

    A travers tant d'echos nous arrive fanfare[39]!

    Les hommes!--Des cites, des tours, un vaste essaim,

    De hauts clochers d'eglise a sonner le tocsin!--

 

_Revant_.

    Base de nations portant sur leurs epaules[40]

    La pyramide enorme appuyee aux deux poles,

    Flots vivants, qui toujours l'etreignant[41] de leurs plis,

    La balancent, branlante, a leur vaste roulis,

    Font tout changer de place et, sur ses hautes zones[42],

    Comme des escabeaux font chanceler les trones,

    Si bien que tous les rois, cessant leurs vains debats,

    Levent les yeux au ciel... Rois! regardez en bas!

    --Ah! le peuple!--ocean!--onde sans cesse emue,

    Ou l'on ne jette rien sans que tout ne remue!

    Vague qui broie un trone et qui berce un tombeau!

    Miroir ou rarement un roi se voit en beau!

    Ah! si l'on regardait parfois dans ce flot sombre,

    On y verrait au fond des empires[43] sans nombre,

    Grands vaisseaux naufrages, que son flux[44] et reflux

    Roule, et qui le genaient, et qu'il[45] ne connait plus!

    --Gouverner tout cela!--Monter, si l'on vous nomme,

    A ce faite! Y monter, sachant qu'on n'est qu'un homme!

    Avoir l'abime la!...--Pourvu qu'en ce moment

    Il n'aille pas me prendre[46] un eblouissement!

    Oh! d'etats et de rois mouvante pyramide,

    Ton faite est bien etroit! Malheur au pied timide!

    A qui me retiendrais-je! Oh! si j'allais faillir

    En sentant sous mes pieds le monde tressaillir!

    En sentant vivre, sourdre et palpiter la terre!

    --Puis, quand j'aurai ce globe entre mes mains, qu'en faire?

    Le pourrai-je porter seulement[47]? Qu'ai-je en moi?

    Etre empereur, mon Dieu! J'avais trop d'etre roi!

    Certe, il n'est qu'un mortel de race peu commune

    Dont puisse s'elargir l'ame avec la fortune.

    Mais moi! qui me fera grand? qui sera ma loi?

    Qui me conseillera?

 

_Il tombe a deux genoux devant le tombeau_.

    Charlemagne! c'est toi!

    Ah! puisque Dieu, pour qui tout obstacle s'efface,

    Prend nos deux majestes et les met face a face,

    Verse-moi dans le coeur, du fond de ce tombeau,

    Quelque chose de grand, de sublime et de beau!

    Oh! par tous ses cotes fais-moi voir toute chose.

    Montre-moi que le monde est petit, car je n'ose

    Y toucher. Montre-moi que sur cette Babel

    Qui du patre a Cesar va montant jusqu'au ciel,

    Chacun en son degre se complait et s'admire,

    Voit l'autre par-dessous et se retient d'en rire.

    Apprends-moi tes secrets de vaincre et de regner,

    Et dis-moi qu'il vaut mieux punir que pardonner!

    --N'est-ce pas?--S'il est vrai qu'en son lit solitaire

    Parfois une grande ombre au bruit que fait la terre

    S'eveille, et que soudain son tombeau large et clair

    S'entr'ouvre, et dans la nuit jette au monde un eclair,

    Si cette chose est vraie, empereur d'Allemagne,

    Oh! dis-moi ce qu'on peut faire apres Charlemagne!

    Parle! dut en parlant[48] ton souffle souverain

    Me briser sur le front cette porte d'airain!

    Ou plutot, laisse-moi seul dans ton sanctuaire

    Entrer, laisse-moi voir ta face mortuaire,

    Ne me repousse pas d'un souffle d'aquilons.

    Sur ton chevet de pierre accoude-toi. Parlons.

    Oui, dusses-tu me dire[49], avec ta voix fatale,

    De ces choses qui font l'oeil sombre et le front pale!

    Parle, et n'aveugle pas ton fils epouvante,

    Car ta tombe sans doute est pleine de clarte!

    Ou, si tu ne dis rien, laisse en ta paix profonde

    Carlos etudier ta tete comme un monde;

    Laisse qu'il te mesure a loisir, o geant.

    Car rien n'est ici-bas si grand que ton neant!

    Que la cendre, a defaut de l'ombre, me conseille!

 

_Il approche la clef de la serrure_.

    Entrons.

 

_Il recule_.

    Dieu! s'il allait me parler a l'oreille!

    S'il etait la, debout et marchant a pas lents!

    Si j'allais ressortir avec de cheveux blancs!

    Entrons toujours!

 

_Bruit de pas_.

    On vient. Qui donc ose a cette heure,

    Hors moi, d'un pareil mort eveiller la demeure?

    Qui donc?

 

_Le bruit s'approche_.

    Ah! j'oubliais! ce sont mes assassins.

    Entrons!

 

_Il ouvre la porte du tombeau, qu'il referme sur lui.--Entrent

plusieurs hommes, marchant a pas sourds, caches sous leurs manteaux

et leurs chapeaux_.

 

SCENE III.

 

LES CONJURES. _Ils vont les uns aux autres, en se prenant la main et

en echangeant quelques paroles a voix basse_.

 

PREMIER CONJURE (_portant seul une torche allumee_).

    _Ad augusta_.

 

DEUXIEME CONJURE.

    _Per angusta_.

 

PREMIER CONJURE.

    Les saints

    Nous protegent.

 

TROISIEME CONJURE.

    Les morts nous servent.

 

PREMIER CONJURE.

    Dieu nous garde.

 

_Bruit de pas dans l'ombre_.

 

DEUXIEME CONJURE.

    Qui vive[50]?

 

VOIX DANS L'OMBRE.

    _Ad augusta_.

 

DEUXIEME CONJURE.

    _Per angusta_.

 

_Entrent de nouveaux conjures.--Bruit de pas_.

 

PREMIER CONJURE (_au troisieme_).

    Regarde;

    Il vient encor quelqu'un.

 

TROISIEME CONJURE.

    Qui vive?

 

VOIX DANS L'OMBRE.

    _Ad augusta_.

 

TROISIEME CONJURE.

    _Per augusta_.

 

_Entrent de nouveaux conjures, qui echangent des signes de mains avec

tous les autres_.

 

PREMIER CONJURE.

    C'est bien. Nous voila tous.--Gotha,

    Fais le rapport.--Amis, l'ombre attend la lumiere.

 

_Tous les conjures s'asseyent en demi-cercle sur des tombeaux. Le

premier conjure passe tour a tour devant tous, et chacun allume a sa

torche une cire qu'il tient a la main. Puis le premier conjure va

s'asseoir en silence sur une tombe au centre du cercle et plus haute

que les autres_.

 

LE DUC DE GOTHA (_se levant_).

    Amis, Charles d'Espagne, etranger par sa mere[51],

    Pretend au saint-empire.

 

PREMIER CONJURE.

    Il aura le tombeau.

 

LE DUC DE GOTHA (_Il jette sa torche a terre et l'ecrase du pied_).

    Qu'il en soit de son front comme de ce flambeau!

 

TOUS.

    Que ce soit!

 

PREMIER CONJURE.

    Mort a lui!

 

LE DUC DE GOTHA.

    Qu'il meure!

 

TOUS.

    Qu'on l'immole!

 

DON JUAN DE HARO.

    Son pere est allemand.

 

LE DUC DE LUTZELBOURG.

    Sa mere est espagnole.

 

LE DUC DE GOTHA.

    Il n'est plus espagnol et n'est pas allemand.

    Mort!

 

UN CONJURE.

    Si les electeurs allaient en ce moment

    Le nommer empereur?

 

PREMIER CONJURE.

    Eux! lui! jamais!

 

DON GIL TELLEZ GIRON.

    Qu'importe!

    Amis! frappons la tete et la couronne est morte!

 

PREMIER CONJURE,

    S'il a le saint-empire, il devient, quel qu'il soit,

    Tres auguste, et Dieu seul peut le toucher du doigt!

 

LE DUC DE GOTHA.

    Le plus sur, c'est qu'avant d'etre auguste, il expire.

 

PREMIER CONJURE.

    On ne l'elira point!

 

TOUS.

    Il n'aura pas l'empire!

 

PREMIER CONJURE.

    Combien faut-il de bras pour le mettre au linceul?

 

TOUS.

    Un seul.

 

PREMIER CONJURE.

    Combien faut-il de coups au coeur?

 

TOUS.

    Un seul.

 

PREMIER CONJURE.

    Qui frappera?

 

TOUS.

    Nous tous.

 

PREMIER CONJURE.

    La victime est un traitre.

    Ils font un empereur; nous, faisons un grand pretre.

    Tirons au sort.

 

_Tous les conjures ecrivent leurs noms sur leurs tablettes, dechirent

la feuille, la roulent, et vont l'un apres l'autre la jeter dans

l'urne d'un tombeau.--Puis le premier conjure dit_:

    Prions.

 

_Tous s'agenouillent. Le premier conjure se leve et dit_:

    Que l'elu croie en Dieu,

    Frappe comme un Romain, meure comme un Hebreu[52]!

    Il faut qu'il brave roue et tenailles mordantes[53],

    Qu'il chante aux chevalets[54], rie aux lampes ardentes[55],

    Enfin que pour tuer et mourir, resigne,

    Il fasse tout!

 

_Il tire un des parchemins de l'urne_.

 

TOUS.

    Quel nom?

 

PREMIER CONJURE (_a haute voix_).

    Hernani.

 

HERNANI (_sortant de la foule des conjures_).

    J'ai gagne!

    --Je te tiens, toi que j'ai si longtemps poursuivie,

    Vengeance!

 

DON RUY GOMEZ (_percant la foule et prenant Hernani a part_).

    Oh! cede-moi ce coup!

 

HERNANI.

    Non, sur ma vie!

    Oh! ne m'enviez pas ma fortune, seigneur!

    C'est la premiere fois qu'il m'arrive bonheur.

 

DON RUY GOMEZ.

    Tu n'as rien. Eh bien, tout, fiefs, chateaux, vasselages,

    Cent mille paysans dans mes trois cents villages,

    Pour ce coup a frapper, je te les donne, ami!

 

HERNANI.

    Non!

 

LE DUC DE GOTHA.

    Ton bras porterait un coup moins affermi,

    Vieillard!

 

DON RUY GOMEZ.

    Arriere, vous! sinon le bras, j'ai l'ame.

    Aux rouilles du fourreau ne jugez point la lame.

 

_A Hernani_.

    Tu m'appartiens!

 

HERNANI.

    Ma vie a vous, la sienne a moi.

 

DON RUY GOMEZ (_tirant le cor de sa ceinture_).

    Eh bien, ecoute, ami. Je te rends ce cor[56].

 

HERNANI (_ebranle_).

    Quoi!

    La vie!--Eh! que m'importe! Ah! je tiens ma vengeance!

    Avec Dieu dans ceci je suis d'intelligence[57].

    J'ai mon pere a venger... peut-etre plus encor!

    Elle, me la rends-tu?

 

DON RUY GOMEZ.

    Jamais! Je rends ce cor.

 

HERNANI.

    Non!

 

DON RUY GOMEZ.

    Reflechis, enfant!

 

HERNANI.

    Duc, laisse-moi ma proie.

 

DON RUY GOMEZ.

    Eh bien! maudit sois-tu de m'oter cette joie!

 

_Il remet le cor a sa ceinture_.

 

PREMIER CONJURE (_a Hernani_).

    Frere! avant qu'on ait pu l'elire, il serait bien

    D'attendre des ce soir[58] Carlos...

 

HERNANI.

    Ne craignez rien

    Je sais comment on pousse un homme dans la tombe.

 

PREMIER CONJURE.

    Que toute trahison sur le traitre[59] retombe,

    Et Dieu soit avec vous!--Nous, comtes et barons,

    S'il perit[60] sans tuer, continuons! Jurons

    De frapper tour a tour et sans nous y soustraire[61]

    Carlos qui doit mourir.

 

TOUS (_tirant leurs epees_).

    Jurons!

 

LE DUC DE GOTHA (au premier conjure).

    Sur quoi, mon frere?

 

DON RUY GOMEZ (_retourne son epee, la prend par la pointe et l'eleve

au-dessus de sa tete_).

    Jurons sur cette croix[62]!

 

TOUS (_elevant leurs epees_).

    Qu'il meure impenitent!

 

_On entend un coup de canon eloigne. Tous s'arretent en silence.--La

porte du tombeau s'entr'ouvre. Don Carlos parait sur le seuil. Pale,

il ecoute.--Un second coup.--Un troisieme coup.--Il ouvre tout a fait

la porte du tombeau, mais sans faire un pas, debout et immobile sur

le seuil_.

 

SCENE IV.

 

LES CONJURES, DON CARLOS: _puis_ DON RICARDO, SEIGNEURS, GARDES; LE

ROI DE BOHEME, LE DUC DE BAVIERE; _puis_ DONA SOL.

 

DON CARLOS.

    Messieurs, allez plus loin! l'empereur vous entend.

 

_Tous les flambeaux s'eteignent a la fois.--Profond silence.--Il fait

un pas dans les tenebres, si epaisses qu'on y distingue a peine les

conjures, muets et immobiles_.

    Silence et nuit! l'essaim en sort et s'y replonge.

    Croyez-vous que ceci va passer comme un songe,

    Et que je vous prendrai, n'ayant plus vos flambeaux,

    Pour des hommes de pierre assis sur leurs tombeaux?

    Vous parliez tout a l'heure assez haut, mes statues!

    Allons! relevez donc vos tetes abattues,

    Car voici Charles-Quint! Frappez, faites un pas!

    Voyons, oserez-vous?--Non, vous n'oserez pas.

    Vos torches flamboyaient sanglantes sous ces voutes.

    Mon souffle a donc suffi pour les eteindre toutes!

    Mais voyez, et tournez vos yeux irresolus,

    Si j'en eteins beaucoup, j'en allume encor plus.

 

_Il frappe de la clef de fer sur la porte de bronze du tombeau. A ce

bruit, toutes les profondeurs du souterrain se remplissent de soldats

portant des torches et des pertuisanes. A leur tete, le duc d'Alcala,

le marquis d'Almunan_.

    Accourez, mes faucons! j'ai le nid, j'ai la proie!

 

_Aux conjures_.

    J'illumine a mon tour. Le sepulcre flamboie,

    Regardez!

 

_Aux soldats_.

    Venez tous, car le crime est flagrant.

 

HERNANI (_regardant les soldats_).

    A la bonne heure! Seul il me semblait trop grand.

    C'est bien. J'ai cru d'abord que c'etait Charlemagne.

    Ce n'est que Charles-Quint.

 

DON CARLOS (_au duc d'Alcala_).

    Connetable d'Espagne[63]!

 

_Au marquis d'Almunan_.

    Amiral de Castille, ici!--Desarmez-les.

 

_On entoure les conjures et on les desarme_.

 

DON RICARDO (_accourant et s'inclinant jusqu'a terre_).

    Majeste[64]!

 

DON CARLOS.

    Je te fais alcade du palais[65].

 

DON RICARDO (_s'inclinant de nouveau_).

    Deux electeurs[66], au nom de la chambre doree[67],

    Viennent complimenter la majeste sacree.

 

DON CARLOS.

    Qu'ils entrent.

 

_Bas a Ricardo_.

    Dona Sol.

 

_Ricardo salue et sort. Entrent, avec flambeaux et fanfares, le roi

de Boheme et le duc de Baviere, tout en drap d'or, couronnes en

tete.--Nombreux cortege de seigneurs allemands, portant la banniere

de l'empire, l'aigle a deux tetes, avec l'ecusson d'Espagne au

milieu--Les soldats s'ecartent, se rangent en haie, et font passage

aux deux electeurs, jusqu'a l'empereur, qu'ils saluent profondement,

et qui leur rend leur salut en soulevant son chapeau_.

 

LE DUC DE BAVIERE.

    Charles! roi des Romains[68],

    Majeste tres sacree, empereur! dans vos mains

    Le monde est maintenant, car vous avez l'empire.

    Il est a vous, ce trone ou tout monarque aspire!

    Frederic, duc de Saxe, y fut d'abord elu,

    Mais, vous jugeant plus digne, il n'en a pas voulu.

    Venez donc recevoir la couronne et le globe.

    Le saint-empire, o roi, vous revet de la robe,

    Il vous arme du glaive, et vous etes tres grand.

 

DON CARLOS.

    J'irai remercier le college en rentrant.

    Allez, messieurs. Merci, mon frere de Boheme[69],

    Mon cousin de Baviere. Allez. J'irai moi-meme.

 

LE ROI DE BOHEME.

    Charles, du nom d'amis nos aieux se nommaient.

    Mon pere aimait ton pere, et leurs peres s'aimaient.

    Charles, si jeune en butte aux fortunes contraires,

    Dis, veux-tu que je sois ton frere entre tes freres?

    Je t'ai vu tout enfant, et ne puis oublier...

 

DON CARLOS (_l'interrompant_).

    Roi de Boheme! eh bien, vous etes familier[70]!

 

_Il lui presente sa main a baiser, ainsi qu'au duc de Baviere, puis

congedie les deux electeurs, qui le saluent profondement_.

    Allez!

 

_Sortent les deux electeurs avec leur cortege_.

 

LA FOULE.

    Vivat!

 

DON CARLOS _(a part_).

    J'y suis[71]! et tout m'a fait passage!

    Empereur!--Au refus de Frederic le Sage!

 

_Entre dona Sol, conduite par Ricardo_.

 

DONA SOL.

    Des soldats! l'empereur! O ciel! coup imprevu.

    Hernani!

 

HERNANI.

    Dona Sol!

 

DON RUY GOMEZ (a cote d'Hernani, a part).

    Elle ne m'a point vu!

 

_Dona Sol court a Hernani. Il la fait reculer d'un regard de

defiance_.

 

HERNANI.

    Madame!...

 

DONA SOL (_tirant le poignard de son sein_).

    J'ai toujours son poignard[72]!

 

HERNANI (_lui tendant les bras_).

    Mon amie!

 

DON CARLOS.

    Silence, tous!

 

_Aux conjures_.

    Votre ame est-elle raffermie?

    Il convient que je donne au monde une lecon.

    Lara le Castillan et Gotha le Saxon,

    Vous tous! que venait-on faire ici? parlez.

 

HERNANI (_faisant un pas_).

    Sire,

    La chose est toute simple, et l'on peut vous la dire.

    Nous gravions la sentence au mur de Balthazar[73].

 

_Il tire un poignard et l'agite_.

    Nous rendions a Cesar ce qu'on doit a Cesar.

 

DON CARLOS.

    Paix!

 

_A don Ruy Gomez_.

    Vous traitre, Silva!

 

DON RUY GOMEZ.

    Lequel de nous deux, sire?

 

HERNANI (_se retournant vers les conjures_).

    Nos tetes et l'empire! il a ce qu'il desire.

 

_A l'empereur_.

    Le bleu manteau des rois pouvait gener vos pas.

    La pourpre vous va mieux. Le sang n'y parait pas.

 

DON CARLOS (_a don Ruy Gomez_).

    Mon cousin de Silva, c'est une felonie

    A faire du blason rayer ta baronnie!

    C'est haute trahison, don Ruy, songez-y bien.

 

DON RUY GOMEZ.

    Les rois Rodrigue font les comtes Julien[74].

 

DON CARLOS (_au duc d'Alcala_).

    Ne prenez que ce qui peut etre duc ou comte.

    Le reste!...

 

_Don Ruy Gomez, le duc de Lutzelbourg, le duc de Gotha, don Juan de

Haro, don Guzman de Lara, don Tellez Giron, le baron de Hohenbourg, se

separent du groupe des conjures, parmi lesquels est reste Hernani.--Le

duc d'Alcala les entoure etroitement de gardes_.

 

DONA SOL (a part).

    Il est sauve!

 

HERNANI (_sortant du groupe des conjures_).

    Je pretends qu'on me compte!

 

_A don Carlos_.

    Puisqu'il s'agit de hache ici, que Hernani,

    Patre obscur, sous tes pieds passerait impuni,

    Puisque son front n'est plus au niveau de ton glaive,

    Puisqu'il faut etre grand pour mourir, je me leve.

    Dieu qui donne le sceptre et qui te le donna

    M'a fait duc de Segorbe[75] et duc de Cardona[76],

    Marquis de Monroy[77], comte Albatera[78], vicomte

    De Gor[79], seigneur de lieux dont j'ignore le compte.

    Je suis Jean d'Aragon, grand maitre d'Avis[80], ne

    Dans l'exil, fils proscrit d'un pere assassine

    Par sentence du tien, roi Carlos de Castille!

    Le meurtre est entre nous affaire de famille.

    Vous avez l'echafaud, nous avons le poignard.

    Donc, le ciel m'a fait duc, et l'exil montagnard.

    Mais puisque j'ai sans fruit aiguise mon epee

    Sur les monts et dans l'eau des torrents retrempee,

 

_Il met son chapeau. Aux autres conjures_:

    Couvrons-nous, grands d'Espagne!

 

_Tous les Espagnols se couvrent. A don Carlos_:

    Oui, nos tetes, o roi,

    Ont le droit de tomber couvertes devant toi!

 

_Aux prisonniers_.

    Silva, Haro, Lara, gens de titre et de race,

    Place a Jean d'Aragon! ducs et comtes, ma place!

 

_Aux courtisans et aux gardes_.

    Je suis Jean d'Aragon, roi, bourreaux et valets!

    Et si vos echafauds sont petits, changez-les!

 

_Il vient se joindre au groupe des seigneurs prisonniers_.

 

DONA SOL.

    Ciel!

 

DON CARLOS.

    En effet, j'avais oublie cette histoire.

 

HERNANI.

    Celui dont le flanc saigne a meilleure memoire.

    L'affront que l'offenseur oublie en insense

    Vit et toujours remue au coeur de l'offense.

 

DON CARLOS.

    Donc je suis, c'est un titre a n'en point vouloir d'autres,

    Fils de peres qui font choir la tete des votres!

 

DONA SOL (_se jetant a genoux devant l'empereur_).

    Sire, pardon! pitie! Sire, soyez clement!

    Ou frappez-nous tous deux, car il est mon amant,

    Mon epoux! En lui seul je respire. Oh! je tremble.

    Sire, ayez la pitie de nous tuer ensemble!

    Majeste! je me traine a vos sacres genoux!

    Je l'aime!  Il est a moi, comme l'empire a vous!

    Oh! grace!

 

_Don Carlos la regarde immobile_.

    Quel penser[81] sinistre vous absorbe?

 

DON CARLOS.

    Allons! relevez-vous, duchesse de Segorbe,

    Comtesse Albatera, marquise de Monroy...

 

_A Hernani_.

    Tes autres noms, don Juan?

 

HERNANI.

    Qui parle ainsi? le roi?

 

DON CARLOS.

    Non, l'empereur.

 

DONA SOL (_se relevant_),

    Grand Dieu!

 

DON CARLOS (_la montrant a Hernani_).

    Duc, voila ton epouse.

 

HERNANI (_les yeux au ciel, et dona Sol dans ses bras_).

    Juste Dieu!

 

DON CARLOS (_a don Ruy Gomez_).

    Mon cousin, ta noblesse est jalouse,

    Je sais. Mais Aragon peut epouser Silva.

 

DON RUY GOMEZ (_sombre_).

    Ce n'est pas ma noblesse.

 

HERNANI (_regardant dona Sol avec amour et la tenant embrassee_).

    Oh! ma haine s'en va!

 

_Il jette son poignard_.

 

DON RUY GOMEZ (_a part, les regardant tous deux_).

    Eclaterai-je? oh! non! Fol amour! douleur folle!

    Tu leur ferais pitie, vieille tete espagnole!

    Vieillard, brule sans flamme, aime et souffre en secret.

    Laisse ronger ton coeur. Pas un cri. L'on rirait.

 

DONA SOL (_dans les bras d'Hernani_).

    0 mon duc!

 

HERNANI.

    Je n'ai plus que de l'amour dans l'ame.

 

DONA SOL.

    O bonheur!

 

DON CARLOS (_a part, la main dans sa poitrine_).

    Eteins-toi, coeur jeune et plein de flamme!

    Laisse regner l'esprit[82], que longtemps tu troublas.

    Tes amours desormais, tes maitresses, helas!

    C'est l'Allemagne, c'est la Flandre, c'est l'Espagne.

 

_L'oeil fixe sur sa banniere_.

    L'empereur est pareil a l'aigle, sa compagne.

    A la place du coeur il n'a qu'un ecusson[83].

 

HERNANI.

    Ah! vous etes Cesar!

 

DON CARLOS (_a Hernani_).

    De ta noble maison,

    Don juan, ton coeur est digne.

 

_Montrant dona Sol_.

    Il est digne aussi d'elle.

    --A genoux, duc!

 

_Hernani s'agenouille. Don Carlos detache sa toison-d'or et la lui

passe au cou_.

    Recois ce collier.

 

_Don Carlos tire son epee et l'en frappe trois fois sur l'epaule_.

    Sois fidele!

    Par saint Etienne[84], duc, je te fais chevalier.

 

_Il le releve et l'embrasse_.

    Mais tu l'as, le plus doux et le plus beau collier,

    Celui que je n'ai pas, qui manque au rang supreme,

    Les deux bras d'une femme aimee et qui vous aime!

    Ah! tu vas etre heureux; moi, je suis empereur.

 

_Aux conjures_.

    Je ne sais plus vos noms, messieurs. Haine et fureur,

    Je veux tout oublier. Allez, je vous pardonne!

    C'est la lecon qu'au monde il convient que je donne,

    Ce n'est pas vainement qu'a Charles premier, roi,

    L'empereur Charles-Quint succede, et qu'une loi

    Change, aux yeux de l'Europe, orpheline eploree,

    L'altesse catholique en majeste sacree.

 

_Les conjures tombent a genoux_.

 

LES CONJURES.

    Gloire a Carlos!

 

DON RUY GOMEZ (_a don Carlos_).

    Moi seul je reste condamne.

 

DON CARLOS.

    Et moi!

 

DON RUY GOMEZ (_a part_).

    Mais, comme lui, je n'ai point pardonne!

 

HERNANI.

    Qui donc nous change tous ainsi?

 

TOUS (_soldats, conjures, seigneurs_).

    Vive Allemagne!

    Honneur a Charles-Quint!

 

DON CARLOS (_se tournant vers le tombeau_).

    Honneur a Charlemagne!

    Laissez-nous seuls tous deux.

 

_Tous sortent_.

 

SCENE V.

 

DON CARLOS (_seul. _Il s'incline devant le tombeau_).

    Es-tu content de moi?

    Ai-je bien depouille les miseres du roi[85],

    Charlemagne? Empereur, suis-je bien un autre homme?

    Puis-je accoupler mon casque a la mitre de Rome?

    Aux fortunes du monde ai-je droit de toucher?

    Ai-je un pied sur et ferme, et qui puisse marcher

    Dans ce sentier, seme des ruines vandales,

    Que tu nous as battu de tes larges sandales?

    Ai-je bien a ta flamme allume mon flambeau?

    Ai-je compris la voix qui parle en ton tombeau?

    --Ah! j'etais seul, perdu, seul devant un empire,

    Tout un monde qui hurle, et menace, et conspire,

    Le Danois a punir[86], le Saint-Pere[87] a payer,

    Venise[88], Soliman[89], Luther, Francois premier,

    Mille poignards jaloux luisant deja dans l'ombre,

    Des pieges, des ecueils, des ennemis sans nombre,

    Vingt peuples dont un seul ferait peur a vingt rois,

    Tout presse, tout pressant, tout a faire a la fois,

    Je t'ai crie:--Par ou faut-il que je commence?

    Et tu m'as repondu:--Mon fils, par la clemence!

 

ACTE CINQUIEME - LA NOCE.

 

SARAGOSSE.

 

_Une terrasse du palais d'Aragon. Au fond, la rampe d'un escalier qui

s'enfonce dans le jardin. A droite et a gauche, deux portes donnant

sur une terrasse, que ferme une balustrade surmontee de deux rangs

d'arcades moresques, au-dessus et au travers desquelles on voit les

jardins du palais, les jets d'eau dans l'ombre, les bosquets avec les

lumieres qui s'y promenent, et au fond les faites gothiques et arabes

du palais illumine. Il est nuit. On entend des fanfares eloignees. Des

masques, des dominos, epars, isoles, ou groupes, traversent ca et la

la terrasse. Sur le devant, un groupe de jeunes seigneurs, les masques

a la main, riant et causant a grand bruit_.

 

SCENE PREMIERE.

 

DON SANCHO SANCHEZ DE ZUNIGA, Comte de MONTEREY, DON MATIAS CENTURION,

MARQUIS D'ALMURAN, DON RICARDO DE ROXAS, Comte de CASAPALMA, DON

FRANCISCO DE SOTOMAYOR, Comte de VELALCAZAR, DON GARCI SUAREZ DE

CARBAJAL, Comte DE PERALVER.

 

DON GARCI.

    Ma foi, vive la joie et vive l'epousee!

 

DON MATIAS (_regardant au balcon_).

    Saragosse ce soir se met a la croisee.

 

DON GARCI.

    Et fait bien! on ne vit jamais noce aux flambeaux

    Plus gaie, et nuit plus douce, et maries plus beaux!

 

DON MATIAS.

    Bon empereur!

 

DON SANCHO.

    Marquis, certain soir qu'a la brune

    Nous allions avec lui tous deux cherchant fortune[1],

    Qui nous eut dit qu'un jour tout finirait ainsi?

 

DON RICARDO (_l'interrompant_).

    J'en etais.

 

_Aux autres_.

    Ecoutez l'histoire que voici:

    Trois galants, un bandit que l'echafaud reclame,

    Puis un duc, puis un roi, d'un meme coeur de femme

    Font le siege a la fois. L'assaut donne, qui l'a?

    C'est le bandit.

 

DON FRANCISCO.

    Mais rien que de simple en cela.

    L'amour et la fortune, ailleurs comme en Espagne,

    Sont jeux de des pipes. C'est le voleur qui gagne!

 

DON RICARDO

    Moi, j'ai fait ma fortune a voir faire l'amour.

    D'abord comte, puis grand, puis alcade de cour,

    J'ai fort bien employe mon temps, sans qu'on s'en doute.

 

DON SANCHO.

    Le secret de monsieur, c'est d'etre sur la route

    Du roi...

 

DON RICARDO.

    Faisant valoir mes droits, mes actions.

 

DON GARCI.

    Vous avez profite de ses distractions.

 

DON MATIAS.

    Que devient le vieux duc? Fait-il clouer sa biere?

 

DON SANCHO.

    Marquis, ne riez pas! car c'est une ame fiere.

    Il aimait dona Sol, ce vieillard. Soixante ans

    Ont fait ses cheveux gris, un jour les a fait blancs.

 

DON GARCI.

    Il n'a pas reparu, dit-on, a Saragosse?

 

DON SANCHO.

    Vouliez-vous pas qu'il mit son cercueil de la noce[2]?

 

DON FRANCISCO.

    Et que fait l'empereur?

 

DON SANCHO.

    L'empereur aujourd'hui

    Est triste. Le Luther lui donne de l'ennui.

 

DON RICARDO.

    Ce Luther, beau sujet de soucis et d'alarmes!

    Que j'en finirais vite avec quatre gendarmes!

 

DON MATIAS.

    Le Soliman aussi lui fait ombre[3].

 

DON GARCI.

    Ah! Luther,

    Soliman, Neptunus, le diable et Jupiter,

    Que me font ces gens-la? Les femmes sont jolies,

    La mascarade est rare, et j'ai dit cent folies!

 

DON SANCHO.

    Voila l'essentiel.

 

DON RICARDO.

    Garci n'a point tort. Moi,

    Je ne suis plus le meme un jour de fete, et croi

    Qu'un masque que je mets me fait une autre tete,

    En verite!

 

DON SANCHO (_bas a don Matias_).

    Que n'est-ce alors tous les jours fete?

 

DON FRANCISCO (_montrant la porte a droite_).

    Messeigneurs, n'est-ce pas la chambre des epoux?

 

DON GARCI (_avec un signe de tete_).

    Nous les verrons venir dans l'instant.

 

DON FRANCISCO.

    Croyez-vous?

 

DON GARCI.

    He! sans doute!

 

DON FRANCISCO.

    Tant mieux. L'epousee est si belle!

 

DON RICARDO.

    Que l'empereur est bon! Hernani, ce rebelle

    Avoir la toison d'or! marie! pardonne!

    Loin de la, s'il m'eut cru, l'empereur eut donne

    Lit de pierre au galant, lit de plume a la dame.

 

DON SANCHO (_bas a don Matias_).

    Que je le creverais volontiers de ma lame,

    Faux seigneur de clinquant recousu de gros fil.

    Pourpoint de comte, empli de conseils d'alguazil[4]!

 

DON RICARDO (_s'approchant_).

    Que dites-vous la?

 

DON MATIAS (bas a don Sancho).

    Comte, ici pas de querelle!

 

_A don Ricardo_.

    Il me chante un sonnet de Petrarque a sa belle.

 

DON GARCI.

    Avez-vous remarque, messieurs, parmi les fleurs,

    Les femmes, les habits de toutes les couleurs,

    Ce spectre, qui, debout contre une balustrade,

    De son domino noir tachait la mascarade?

 

DON RICARDO.

    Oui, pardieu!

 

DON GARCI.

    Qu'est-ce donc?

 

DON RICARDO.

    Mais, sa taille, son air...

    C'est don Prancasio, general de la mer.

 

DON FRANCISCO.

    Non.

 

DON GARCI.

    Il n'a pas quitte son masque.

 

DON FRANCISCO.

    Il n'avait garde[5].

    C'est le duc de Soma qui veut qu'on le regarde.

    Rien de plus.

 

DON RICARDO.

    Non. Le duc m'a parle.

 

DON GARCI.

    Qu'est ce alors

    Que ce masque?--Tenez, le voila.

 

_Entre un domino noir qui traverse lentement la terrasse au fond. Tous

se retournent et le suivent des yeux, sans qu'il paraisse y prendre

garde_.

 

DON SANCHO.

    Si les morts

    Marchent, voici leur pas.

 

DON GARCI (_courant au domino noir_).

    Beau masque!...

 

_Le domino noir se retourne et s'arrete. Garci recule_.

    Sur mon ame,

    Messeigneurs, dans ses yeux j'ai vu luire une flamme!

 

DON SANCHO.

    Si c'est le diable, il trouve a qui parler[6].

 

_Il va au domino noir, toujours immobile_.

    Mauvais!

    Nous viens-tu de l'enfer?

 

LE MASQUE.

   Je n'en viens pas, j'y vais.

 

_Il reprend sa marche et disparait par la rampe de l'escalier[7].

Tous le suivent des yeux avec une sorte d'effroi_.

 

DON MATIAS.

    La voix est sepulcrale autant qu'on le peut dire.

 

DON GARCI.

    Baste! ce qui fait peur ailleurs, au bal fait rire.

 

DON SANCHO.

    Quelque mauvais plaisant[8]!

 

DON GARCI.

    Ou si c'est Lucifer

    Qui vient nous voir danser, en attendant l'enfer[9],

    Dansons!

 

DON SANCHO.

    C'est a coup sur quelque bouffonnerie.

 

DON MATIAS.

    Nous le saurons demain.

 

DON SANCHO (_a don Matias_).

    Regardez, je vous prie.

    Que devient-il?

 

DON MATIAS (_a la balustrade de la terrasse).

    Il a descendu l'escalier.

    Plus rien.

 

DON SANCHO.

    C'est un plaisant drole[10]!

 

_Revant_.

    C'est singulier.

 

DON GARCI (_a une dame qui passe_).

    Marquise, dansons-nous celle-ci[11]?

 

_Il la salue et lui presente la main_.

 

LA DAME.

    Mon cher comte,

    Vous savez, avec vous, que mon mari les compte[12].

 

DON GARCI.

    Raison de plus. Cela l'amuse apparemment.

    C'est son plaisir. Il compte[13], et nous dansons.

 

_La dame lui donne la main, et ils sortent_.

 

DON SANCHO (_pensif_).

    Vraiment,

    C'est singulier!

 

DON MATIAS.

    Voici les maries. Silence!

 

_Entrent Hernani et dona Sol se donnant la main. Dona Sol en

magnifique habit de mariee; Hernani tout en velours noir, avec la

toison-d'or au cou. Derriere eux, foule de masques, de dames et de

seigneurs qui leur font cortege. Deux hallebardiers en riche livree

les suivent, et quatre pages les precedent. Tout le monde se range et

s'incline sur leur passage. Fanfare_.

 

SCENE II.

 

LES MEMES, HERNANI, DONA SOL, SUITE.

 

HERNANI (_saluant_).

    Chers amis!

 

DON RICARDO (_allant a lui et s'inclinant_).

    Ton bonheur fait le notre, excellence!

 

DON FRANCISCO (_contemplant dona Sol_).

    Saint Jacques monseigneur[14]! c'est Venus qu'il conduit!

 

DON MATIAS.

    D'honneur, on est heureux un pareil jour la nuit!

 

DON FRANCISCO (_montrant a don Matias la chambre nuptiale_).

    Qu'il va se passer la de gracieuses choses!

    Etre fee, et tout voir, feux eteints, portes closes,

    Serait-ce pas charmant!

 

DON SANCHO (_a don Matias_).

    Il est tard. Partons-nous?

 

_Tous vont saluer les maries et sortent, les uns par la porte, les

autres par l'escalier du fond_.

 

HERNANI (_les reconduisant_).

    Dieu vous garde!

 

DON SANCHO (_reste le dernier, lui serre la main_).

    Soyez heureux!

 

_Il sort. Hernani et dona Sol restent seuls. Bruit de pas et de

voix qui s'eloignent, puis cessent tout a fait. Pendant tout le

commencement de la scene qui suit, les fanfares et les lumieres

eloignees s'eteignent par degres. La nuit et le silence reviennent

peu a peu_.

 

SCENE III.

 

HERNANI, DONA SOL.

 

DONA SOL.

    Ils s'en vont tous,

    Enfin!

 

HERNANI (_cherchant a l'attirer dans ses bras_).

    Cher amour!

 

DONA SOL (_rougissant et reculant_).

    C'est... qu'il est tard, ce me semble.

 

HERNANI.

    Ange! il est toujours tard pour etre seuls ensemble.

 

DONA SOL.

    Ce bruit me fatiguait. N'est-ce pas, cher seigneur,

    Que toute cette joie etourdit le bonheur?

 

HERNANI.

    Tu dis vrai. Le bonheur, amie[15], est chose grave.

    Il veut des coeurs de bronze et lentement s'y grave.

    Le plaisir l'effarouche en lui jetant des fleurs.

    Son sourire est moins pres du rire que des pleurs.

 

DONA SOL.

    Dans vos yeux, ce sourire est le jour.

 

_Hernani cherche a l'entrainer vers la porte. Elle rougit_.

    Tout a l'heure.

 

HERNANI.

    Oh! je suis ton esclave! Oui, demeure, demeure!

    Fais ce que tu voudras. Je ne demande rien.

    Tu sais ce que tu fais! ce que tu fais est bien!

    Je rirai si tu veux, je chanterai. Mon ame

    Brule. Eh! dis au volcan qu'il etouffe sa flamme,

    Le volcan fermera ses gouffres entr'ouverts,

    Et n'aura sur ses flancs que fleurs et gazons verts.

    Car le geant est pris, le Vesuve est esclave,

    Et que t'importe a toi son coeur ronge de lave?

    Tu veux des fleurs? c'est bien! Il faut que de son mieux

    Le volcan tout brule s'epanouisse aux yeux!

 

DONA SOL.

    Oh! que vous etes bon pour une pauvre femme,

    Hernani de mon coeur!

 

HERNANI.

    Quel est ce nom, madame?

    Ah! ne me nomme plus de ce nom, par pitie!

    Tu me fais souvenir que j'ai tout oublie!

    Je sais qu'il existait autrefois, dans un reve,

    Un Hernani, dont l'oeil avait l'eclair du glaive,

    Un homme de la nuit et des monts, un proscrit

    Sur qui le mot _vengeance_ etait partout ecrit,

    Un malheureux trainant apres lui l'anatheme!

    Mais je ne connais pas ce Hernani.--Moi, j'aime

    Les pres, les fleurs, les bois, le chant du rossignol.

    Je suis Jean d'Aragon, mari de dona Sol!

    Je suis heureux!

 

DONA SOL.

    Je suis heureuse!

 

HERNANI.

    Que m'importe

    Les haillons qu'en entrant j'ai laisses a la porte!

    Voici que je reviens a mon palais en deuil.

    Un ange du Seigneur m'attendait sur le seuil.

    J'entre, et remets debout les colonnes brisees,

    Je rallume le feu, je rouvre les croisees,

    Je fais arracher l'herbe au pave de la cour,

    Je ne suis plus que joie, enchantement, amour.

    Qu'on me rende mes tours, mes donjons, mes bastilles,

    Mon panache, mon siege au conseil des Castilles,

    Vienne ma dona Sol[16] rouge et le front baisse,

    Qu'on nous laisse[17] tous deux, et le reste est passe!

    Je n'ai rien vu, rien dit, rien fait. Je recommence

    J'efface tout, j'oublie! Ou sagesse ou demence,

    Je vous ai, je vous aime, et vous etes mon bien!

 

DONA SOL (_examinant sa toison-d'or_).

    Que sur ce velours noir ce collier d'or fait bien!

 

HERNANI.

    Vous vites avant moi le roi mis de la sorte[18].

 

DONA SOL.

    Je n'ai pas remarque. Tout autre, que m'importe!

    Puis, est-ce le velours ou le satin encor?

    Non, mon duc, c'est ton cou qui sied au collier d'or.

    Vous etes noble et fier, monseigneur.

 

_Il veut l'entrainer._

    Tout a l'heure!

    Un moment!--Vois-tu bien, c'est la joie et je pleure!

    Viens voir la belle nuit.

 

_Elle va a la balustrade_.

    Mon duc, rien qu'un moment!

    Le temps de respirer et de voir seulement.

    Tout s'est eteint, flambeaux et musique de fete.

    Rien que la nuit et nous. Felicite parfaite!

    Dis, ne le crois-tu pas? sur nous, tout en dormant,

    La nature a demi veille amoureusement.

    Pas un nuage au ciel. Tout, comme nous, repose.

    Viens, respire avec moi l'air embaume de rose!

    Regarde. Plus de feux, plus de bruit. Tout se tait.

    La lune tout a l'heure a l'horizon montait

    Tandis que tu parlais, sa lumiere qui tremble

    Et ta voix, toutes deux m'allaient au coeur ensemble,

    Je me sentais joyeuse et calme, o mon amant,

    Et j'aurais bien voulu mourir en ce moment!

 

HERNANI.

    Ah! qui n'oublierait tout a cette voix celeste!

    Ta parole est un chant ou rien d'humain ne reste.

    Et, comme un voyageur, sur un fleuve emporte,

    Qui glisse sur les eaux par un beau soir d'ete

    Et voit fuir sous ses yeux mille plaines fleuries,

    Ma pense entrainee erre en tes reveries!

 

DONA SOL.

    Ce silence est trop noir, ce calme est trop profond.

    Dis, ne voudrais-tu pas voir une etoile au fond?

    Ou qu'une voix des nuits, tendre et delicieuse,

    S'elevant tout a coup, chantat?...

 

HERNANI (_souriant_).

    Capricieuse!

    Tout a l'heure on fuyait la lumiere et les chants!

 

DONA SOL.

    Le bal! Mais un oiseau qui chanterait aux champs!

    Un rossignol perdu dans l'ombre et dans la mousse,

    Ou quelque flute au loin!... Car la musique est douce,

    Fait l'ame harmonieuse, et, comme un divin choeur,

    Eveille mille voix qui chantent dans le coeur

    Ah! ce serait charmant[19]!

 

_On entend le bruit lointain d'un cor dans l'ombre._

    Dieu! je suis exaucee!

 

HERNANI (_tressaillant, a part_).

    Ah! malheureuse!

 

DONA SOL.

    Un ange a compris ma pensee.

    Ton bon ange sans doute?

 

HERNANI (_amerement_).

    Oui, mon bon ange!

 

_Le cor recommence.--A part_.

    Encor!

 

DONA SOL (_souriant_).

    Don Juan, je reconnais le son de votre cor!

 

HERNANI.

    N'est-ce pas?

 

DONA SOL.

    Seriez-vous dans cette serenade

    De moitie[20]?

 

HERNANI.

    De moitie, tu l'as dit.

 

DONA SOL.

    Bal maussade!

    Oh! que j'aime bien mieux le cor au fond des bois!

    Et puis, c'est votre cor, c'est comme votre voix.

 

_Le cor recommence._

 

HERNANI (_a part_).

    Ah! le tigre est en bas qui hurle, et veut sa proie.

 

DONA SOL.

    Don Juan, cette harmonie emplit le coeur de joie.

 

HERNANI (_se levant terrible_).

    Nommez-moi Hernani! nommez-moi Hernani!

    Avec ce nom fatal je n'en ai pas fini!

 

DONA SOL (_tremblante_).

    Qu'avez-vous?

 

HERNANI.

    Le vieillard!

 

DONA SOL.

    Dieu! quels regards funebres!

    Qu'avez-vous?

 

HERNANI.

    Le vieillard, qui rit dans les tenebres!

    --Ne le voyez-vous pas?

 

DONA SOL.

    Ou vous egarez-vous?

    Qu'est-ce que ce vieillard?

 

HERNANI.

    Le vieillard!

 

DONA SOL (_tombant a genoux_).

    A genoux

    Je t'en supplie, oh! dis, quel secret te dechire?

    Qu'as-tu?

 

HERNANI.

    Je l'ai jure!

 

DONA SOL.

    Jure?

 

_Elle suit tous ses mouvements avec anxiete. Il s'arrete tout a coup et

passe la main sur son front_.

 

HERNANI (a part).

    Qu'allais-je dire?

    Epargnons-la.

 

_Haut_.

    Moi, rien. De quoi t'ai-je parle?

 

DONA SOL.

    Vous avez dit...

 

HERNANI.

    Non. Non. J'avais l'esprit trouble...

    Je souffre un peu, vois-tu. N'en prends pas d'epouvante.

 

DONA SOL.

    Te faut-il quelque chose? ordonne a ta servante.

 

_Le cor recommence_.

 

HERNANI (_a part_).

    Il le veut! il le veut! Il a mon serment!

 

_Cherchant a sa ceinture sans epee et sans poignard_.

    --Rien!

    Ce devrait etre fait[21]!--Ah!...

 

DONA SOL.

    Tu souffres donc bien.

 

HERNANI.

    Une blessure ancienne, et qui semblait fermee,

    Se rouvre...

 

_A part_.

    Eloignons-la.

 

_Haut_.

    Dona Sol, bien-aimee,

    Ecoute. Ce coffret qu'en des jours--moins heureux

    Je portais avec moi...

 

DONA SOL.

    Je sais ce que tu veux.

    Eh bien, qu'en veux-tu faire?

 

HERNANI.

    Un flacon qu'il renferme

    Contient un elixir, qui pourra mettre un terme

    Au mal que je ressens.--Va!

 

DONA SOL.

    J'y vais, mon seigneur.

 

_Elle sort par la porte de la chambre nuptiale.

 

SCENE IV.

 

HERNANI (_seul_).

    Voila donc ce qu'il vient faire de mon bonheur!

    Voici le doigt fatal qui luit sur la muraille!

    Oh! que la destinee amerement me raille!

 

_Il tombe dans une profonde et convulsive reverie, puis se detourne

brusquement_.

    Eh bien?...--Mais tout se tait. Je n'entends rien venir.

    Si je m'etais trompe?...

 

_Le masque en domino noir parait au haut de la rampe. Hernani

s'arrete petrifie_.

 

SCENE V.

 

HERNANI, LE MASQUE.

 

LE MASQUE.

    "Quoi qu'il puisse advenir,

    Quand tu voudras, vieillard, quel que soit le lieu, l'heure,

    S'il te passe a l'esprit qu'il est temps que je meure,

    Viens, sonne de ce cor, et ne prends d'autres soins.

    Tout sera fait."--Ce pacte eut les morts pour temoins.

    Eh bien, tout est-il fait?

 

HERNANI (_a voix basse_).

    C'est lui!

 

LE MASQUE.

    Dans ta demeure

    Je viens, et je te dis qu'il est temps. C'est mon heure.

    Je te trouve en retard.

 

HERNANI.

    Bien. Quel est ton plaisir?

    Que feras-tu de moi? Parle.

 

LE MASQUE.

    Tu peux choisir

    Du fer ou du poison. Ce qu'il faut, je l'apporte.

    Nous partirons tous deux.

 

HERNANI.

    Soit.

 

LE MASQUE.

    Prions-nous?

 

HERNANI.

    Qu'importe!

 

LE MASQUE.

    Que prends-tu?

 

HERNANI.

    Le poison.

 

LE MASQUE.

    Bien!--Donne-moi ta main.

 

_Il presente une fiole a Hernani, qui la recoit en palissant_.

    Bois,--pour que je finisse.

 

_Hernani approche la fiole de ses levres, puis recule_.

 

HERNANI.

    Oh! par pitie, demain!--

    Oh! s'il te reste un coeur, duc, ou du moins une ame,

    Si tu n'es pas un spectre echappe de la flamme,

    Un mort damne, fantome ou demon desormais,

    Si Dieu n'a point encor mis sur ton front: jamais!

    Si tu sais ce que c'est que ce bonheur supreme

    D'aimer, d'avoir vingt ans, d'epouser quand on aime,

    Si jamais femme aimee a tremble dans tes bras,

    Attends jusqu'a demain! Demain tu reviendras!

 

LE MASQUE.

    Simple qui parle ainsi! Demain! demain!--Tu railles!

    Ta cloche a ce matin sonne tes funerailles!

    Et que ferais-je, moi, cette nuit? J'en mourrais.

    Et qui viendrait te prendre et t'emporter apres?

    Seul descendre au tombeau! Jeune homme, il faut me suivre!

 

HERNANI.

    Eh bien, non! et de toi, demon, je me delivre!

    Je n'obeirai pas.

 

LE MASQUE.

    Je m'en doutais. Fort bien.

    Sur quoi donc m'as-tu fait ce serment!--Ah! sur rien.

    Peu de chose, apres tout! La tete de ton pere!

    Cela peut s'oublier. La jeunesse est legere.

 

HERNANI.

    Mon pere! Mon pere!...--Ah! j'en perdrai la raison!

 

LE MASQUE.

    Non, ce n'est qu'un parjure et qu'une trahison.

 

HERNANI

    Duc!

 

LE MASQUE.

    Puisque les aines des maisons espagnoles

    Se font jeu maintenant de fausser leurs paroles,

    Adieu!

 

_Il fait un pas pour sortir_.

 

HERNANI.

    Ne t'en va pas.

 

LE MASQUE.

    Alors...

 

HERNANI.

    Vieillard cruel

 

_Il prend la fiole._

    Revenir sur mes pas a la porte du ciel!

 

_Rentre dona Sol, sans voir le masque, qui est debout, au fond_.

 

SCENE VI.

 

LES MEMES, DONA SOL.

 

DONA SOL.

    Je n'ai pu le trouver, ce coffret.

 

HERNANI(_a part_).

    Dieu! C'est elle!

    Dans quel moment!

 

DONA SOL.

    Qu'a-t-il? je l'effraie, il chancelle

    A ma voix!--Que tiens-tu dans ta main? quel soupcon!

    Que tiens-tu dans ta main? reponds.

 

_Le domino s'est approche et se demasque. Elle pousse un cri, et

reconnait don Ruy._

    C'est du poison!

 

HERNANI.

    Grand Dieu!

 

DONA SOL (_a Hernani_).

    Que t'ai-je fait? quel horrible mystere!

    Vous me trompiez, don Juan!

 

HERNANI.

    Ah! j'ai du te le taire.

    J'ai promis de mourir au duc qui me sauva.

    Aragon doit payer cette dette a Silva.

 

DONA SOL.

    Vous n'etes pas a lui, mais a moi. Que m'importe

    Tous vos autres serments!

 

_A don Ruy Gomez._

    Duc, l'amour me rend forte,

    Contre vous, contre tous, duc, je le defendrai.

 

DON RUY GOMEZ (_immobile_).

    Defends-le, si tu peux, contre un serment jure.

 

DONA SOL.

    Quel serment?

 

HERNANI.

    J'ai jure.

 

DONA SOL.

    Non, non, rien ne te lie!

    Cela ne se peut pas! Crime! attentat! folie!

 

DON RUY GOMEZ.

    Allons, duc!

 

_Hernani fait un geste pour obeir. Dona Sol cherche a l'entrainer_.

 

HERNANI.

    Laissez-moi, dona Sol. Il le faut.

    Le duc a ma parole, et mon pere est la-haut!

 

DONA SOL (_a don Ruy Gomez_).

    Il vaudrait mieux pour vous aller aux tigres meme

    Arracher leurs petits qu'a moi celui que j'aime!

    Savez-vous ce que c'est que dona Sol? Longtemps,

    Par pitie pour votre age et pour vos soixante ans,

    J'ai fait la fille douce, innocente et timide,

    Mais voyez-vous cet oeil de pleurs de rage humide?

 

_Elle tire un poignard de son sein_.

    Voyez-vous ce poignard?--Ah! vieillard insense,

    Craignez vous pas le fer quand l'oeil a menace?

    Prenez-garde, don Ruy!--Je suis de la famille.

    Mon oncle!--Ecoutez-moi. Fusse-je votre fille[22],

    Malheur si vous portez la main sur mon epoux!

 

_Elle jette le poignard, et tombe a genoux devant le duc_.

    Ah! je tombe a vos pieds! Ayez pitie de nous!

    Grace! Helas! monseigneur, je ne suis qu'une femme,

    Je suis faible, ma force avorte dans mon ame,

    Je me brise aisement. Je tombe a vos genoux!

    Ah! je vous en supplie, ayez pitie de nous.

 

DON RUY GOMEZ.

    Dona Sol!

 

DONA SOL.

    Pardonnez! Nous autres Espagnoles,

    Notre douleur s'emporte a de vives paroles,

    Vous le savez. Helas! vous n'etiez pas mechant!

    Pitie! vous me tuez, mon oncle, en le touchant!

    Pitie! je l'aime tant!

 

DON RUY GOMEZ (_sombre_).

    Vous l'aimez trop!

 

HERNANI.

    Tu pleures!

 

DONA SOL.

    Non, non, je ne veux pas, mon amour, que tu meures!

    Non! je ne le veux pas.

 

_A don Ruy_.

    Faites grace aujourd'hui!

    Je vous aimerai bien aussi, vous.

 

DON RUY GOMEZ.

    Apres lui!

    De ces restes d'amour, d'amitie,--moins encore,

    Croyez-vous apaiser la soif qui me devore?

 

_Montrant Hernani_.

    Il est seul! il est tout! Mais moi, belle pitie!

    Qu'est-ce que je peux faire avec votre amitie?

    O rage! il aurait, lui, le coeur, l'amour, le trone,

    Et d'un regard de vous il me ferait l'aumone!

    Et s'il fallait un mot a mes voeux insenses,

    C'est lui qui vous dirait:--Dis cela, c'est assez!--

    En maudissant tous bas le mendiant avide!

    Auquel il faut jeter le fond du verre vide

    Honte! derision! non. Il faut en finir.

    Bois.

 

HERNANI.

    Il a ma parole, et je dois la tenir.

 

DON RUY GOMEZ.

    Allons!

 

_Hernani approche la fiole de ses levres. Dona Sol se jette sur son

bras_.

 

DONA SOL.

    Oh! pas encor! Daignez tous deux m'entendre.

 

DON RUY GOMEZ.

    Le sepulcre est ouvert, et je ne puis attendre.

 

DONA SOL.

    Un instant!--Mon seigneur! Mon don Juan!--Ah!

    tous deux

    Vous etes bien cruels! Qu'est-ce que je veux d'eux?

    Un instant! voila tout, tout ce que je reclame!

    Enfin, on laisse dire a cette pauvre femme

    Ce qu'elle a dans le coeur!...--Oh! laissez-moi parler!

 

DON RUY GOMEZ (_a Hernani_).

    J'ai hate.

 

DONA SOL.

    Messeigneurs, vous me faites trembler!

    Que vous ai-je donc fait?

 

HERNANI.

    Ah! son cri me dechire.

 

DONA SOL (_lui retenant toujours le bras_).

    Vous voyez bien que j'ai mille choses a dire!

 

DON RUY GOMEZ (_a Hernani_).

    Il faut mourir.

 

DONA SOL (_toujours pendue au bras d'Hernani_).

    Don Juan, lorsque j'aurai parle

    Tout ce que tu voudras, tu le feras.

 

_Elle lui arrache la fiole_.

    Je l'ai!

 

_Elle eleve la fiole aux yeux d'Hernani et du vieillard etonne_.

 

DON RUY GOMEZ.

    Puisque je n'ai ceans affaire qu'a deux femmes,

    Don Juan, il faut qu'ailleurs j'aille chercher des ames.

    Tu fais de beaux serments par le sang dont tu sors,

    Et je vais a ton pere en parler chez les morts!

    --Adieu...

 

_Il fait quelques pas pour sortir. Hernani le retient_.

 

HERNANI.

    Duc, arretez!

 

_A dona Sol._

    Helas! je t'en conjure,

    Veux-tu me voir faussaire, et felon, et parjure?

    Veux-tu que partout j'aille avec la trahison

    Ecrite sur le front? Par pitie, ce poison,

    Rends-le-moi! Par l'amour, par notre ame immortelle!...

 

DONA SOL (_sombre_).

    Tu veux?

 

_Elle boit_.

   Tiens, maintenant.

 

DON RUY GOMEZ (_a part_).

    Ah! c'etait donc pour elle!

 

DONA SOL (_rendant a Hernani la fiole a demi videe_).

    Prends, te dis-je.

 

HERNANI (_a don Ruy_).

    Vois-tu, miserable vieillard!

 

DONA SOL.

    Ne te plains pas de moi, je t'ai garde ta part.

 

HERNANI (_prenant la fiole_).

    Dieu!

 

DONA SOL.

    Tu ne m'aurais pas ainsi laisse la mienne,

    Toi! Tu n'as pas le coeur d'une epouse chretienne.

    Tu ne sais pas aimer comme aime une Silva.

    Mais j'ai bu la premiere et suis tranquille.--Va!

    Bois si tu veux!

 

HERNANI.

    Helas! qu'as-tu fait, malheureuse?

 

DONA SOL.

    C'est toi qui l'as voulu.

 

HERNANI.

    C'est une mort affreuse!

 

DONA SOL.

    Non. Pourquoi donc?

 

HERNANI.

    Ce philtre au sepulcre conduit.

 

DONA SOL.

    Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit?

    Qu'importe dans quel lit?

 

HERNANI.

    Mon pere, tu te venges

    Sur moi qui t'oubliais!

 

_Il porte la fiole a sa bouche_.

 

DONA SOL (_se jetant sur lui_).

    Ciel! des douleurs etranges!...

    Ah! jette loin de toi ce philtre!--Ma raison

    S'egare. Arrete! Helas! mon don Juan, ce poison

    Est vivant! ce poison dans le coeur fait eclore

    Une hydre a mille dents qui ronge et qui devore!

    Oh! je ne savais pas qu'on souffrit a ce point!

    Qu'est-ce donc que cela? c'est du feu! Ne bois point!

    Oh! tu souffrirais trop!

 

HERNANI (_a don Ruy_).

    Ah! ton ame est cruelle!

    Pouvais-tu pas choisir d'autre poison pour elle?

 

_Il boit et jette la fiole_.

 

DONA SOL.

    Que fais-tu?

 

HERNANI.

    Qu'as-tu fait?

 

DONA SOL.

    Viens, o mon jeune amant,

    Dans mes bras.

 

_Ils s'asseyent l'un pres de l'autre_.

    N'est-ce pas qu'on souffre horriblement?

 

HERNANI.

    Non.

 

DONA SOL.

    Voila notre nuit de noces commencee!

    Je suis bien pale, dis, pour une fiancee?

 

HERNANI.

    Ah!

 

DON RUY GOMEZ.

    La fatalite s'accomplit.

 

HERNANI.

    Desespoir!

    O tourment! dona Sol souffrir, et moi le voir!

 

DONA SOL.

    Calme-toi. Je suis mieux.--Vers des clartes nouvelles

    Nous allons tout a l'heure ensemble ouvrir nos ailes.

    Partons d'un vol egal vers un monde meilleur.

    Un baiser seulement, un baiser!

 

_Ils s'embrassent_.

 

DON RUY GOMEZ.

    O douleur!

 

HERNANI (_d'une voix affaiblie_).

    Oh! beni soit le ciel qui m'a fait une vie

    D'abimes entouree et de spectres suivie,

    Mais qui permet que, las d'un si rude chemin,

    Je puisse m'endormir ma bouche sur ta main!

 

DON RUY GOMEZ.

    Qu'ils sont heureux[23]!

 

HERNANI (_d'une voix d plus en plus faible_).

    Viens, viens... dona Sol... tout est sombre...

    Souffres-tu?

 

DONA SOL (_d'une voix egalement eteinte_).

    Rien, plus rien.

 

HERNANI.

    Vois-tu des feux dans l'ombre?

 

DONA SOL.

    Pas encor.

 

HERNANI (_avec un soupir_).

    Voici...

 

_Il tombe_.

 

DON RUY GOMEZ (_soulevant sa tete, qui retombe_).

    Mort!

 

DONA SOL (_echevelee, et se dressant a demi sur son seant_).

    Mort! non pas! nous dormons.

    Il dort. C'est mon epoux, vois-tu. Nous nous aimons.

    Nous sommes couches la. C'est notre nuit de noce.

 

_D'une voix qui s'eteint_.

    Ne le reveillez pas, seigneur duc de Mendoce.

    Il est las.

 

_Elle retourne la figure d'Hernani_.

    Mon amour, tiens-toi vers moi tourne.

    Plus pres... plus pres encor...

 

_Elle retombe_.

 

DON RUY GOMEZ.

    Morte!--Oh! je suis damne.

 

_Il se tue_.

 

NOTES.

 

PREFACE.

 

1: poete mort. In the volume entitled "Litterature et Philosophie

melees" of the _edition definitive_, Hugo has an article "sur M.

Dovalle", which contains this quotation. Charles Dovalle, born 1807,

killed in a duel 1829, was the author of a volume of poetry, "Le

Sylphe", which appeared in 1830, with a preface by Hugo.

 

2: censure. During the Revolution all restrictions upon the liberty

of the press were removed, but in 1810 a directorship was established.

The charter of Louis XVIII in 1814 restored full liberty, but

restrictions were presently imposed, nevertheless. In 1819 the

censorship gave place to a system of sureties. An ordinance of St.

Cloud, in 1830, suspending the liberty of the press was one of the

causes of the revolution in that year, and the restrictions were

temporarily removed. Since then a limited censorship has generally

been maintained, but chiefly in regard to politics and criminal

processes.

 

3: regles de d'Aubignac. Francois Hedelin, abbe d'Aubignac

(1604-1676), was an authoritative literary critic, champion of

Aristotle and the three unities, author of a prose tragedy, Zenobie,

composed according to these rules and very stupid, and of a "Pratique

du Theatre". He was a bitter opponent of Corneille.

 

4: Cujas (1522-1590), a celebrated jurist of Toulouse, who

interpreted the Roman law in a more historical and less practical

sense than had been usual in France. His name thus stands for legal

pedantry. _Coutumes_ means legal usages, unwritten law.

 

5: Ni talons rouges, ni bonnets rouges. To wear red heels was a

privilege of aristocracy under the _ancien regime_, and the

_bonnet rouge_ was the liberty cap adopted as a head-dress by the

Revolutionists.

 

6: L'autre Saint Office, the Inquisition.

 

7: Romancero general, a collection of Spanish ballads, first

published under this name in 1604 and 1605. They were taken for

the most part, however, from song-books of the previous century,

especially a _Cancionero general_ of 1511, and a _Cancionero de

romances_ of 1555. But Hugo derived little from the _Romancero

general_ except the spirit of chivalry with which his drama is imbued.

 

8: The absurdly rigid critics of Corneille's day (1606-1684) found

fault even with the "Cid" for not being sufficiently classical;

Corneille himself called "Don Sanche" _une comedie heroique_, and was

at great pains to defend it as _un poeme d'une espece nouvelle, et qui

n'a point d'exemple chez les anciens_. "Nicomede" gave him the same

misgivings, and Voltaire, the most meticulous of critics, charged it

with being _trop vulgaire, trop populaire_.

 

9: Bourges. The cathedral of Bourges, a small city in central

France, is one of the most sincere and impressive monuments of Gothic

architecture. Its massiveness and originality atone easily for the

incongruities of its style.

 

10: PENDANT OPERA INTERRUPTA, Virgil, AEneid, iv. 88.

 

ACT I.

 

1: Isabelle la catholique (1451-1504), queen of Castile, and

patroness of Columbus. Her marriage with Ferdinand of Aragon (1469)

assured the unity of Spain. They are known in history as _Los reyes

catolicos_.

 

2: le regarde sous le nez, "looks sharply into his face".

 

3: main-forte, "Help!" Understand _pretez_.

 

4: Fiancee au vieux duc. Such a marriage was not legitimate except by

papal dispensation.

 

5: son vieux futur, "her old intended".

 

6: Si! Affirmative answer to a negative statement or question.

 

7: Le manche du balai, an indirect way of calling the duenna an old

witch.

 

8: Est-ce pas. The omission of _ne_ in such a case is frequent enough

in everyday speech; but here it is made in order to save a syllable.

 

9: The first part of this dialogue in Sc. 2 is very beautiful.

Notice the eagerness, tinged with melancholy, with which Hernani

goes straight to the subject of his love and appeals to Dona Sol's

sympathy, while she pretends to think only of his wet mantle, and

answers him evasively. The scene reminds one of the celebrated passage

in Goethe's "Egmont", where Egmont visits Clarchen in his Spanish

costume.

 

10: De tempete and d'eclairs depend upon _ce_ in the preceding line.

 

11: Est mort sur l'echafaud. It is not known that Hugo refers here

to any historical incident. The father of the king was Philip the

Handsome, son of the Emperor Maximilian, of the house of Austria. The

king's mother was Joanna, "crazy Jane", daughter of Ferdinand and

Isabella. Charles ascended the throne of the Castiles (Old and New) in

1516.

 

12: IL FAUT QUE J'EN ARRIVE A M'EFFRAYER MOI-MEME, "Fate has made me

a horror to myself."

 

13: riche-homme, "high-counsellor", an imitation of the Span.

_ricohombre_.

 

14: Grand de Castille, "grandee of Castile".

 

15: ENVIRA, a contraction of _enviera_.

 

16: peut-etre aurais-je aussi, "perhaps I have too", etc. There is

here a suppressed condition, by the hint of which the mystery of the

words is increased. But it will be seen, two lines further on,

that where _ai-je_ suits the metre the indicative is employed in a

precisely similar case.

 

17: ma bande, comme on dit, "my band, as they call it", this emphasis

on the word _bande_ being used to bring out the etymological force of

_bandit_ in the next line.

 

18: Toutes les Espagnes, for the Span. _todas las Espanas_, by which

was meant the kingdoms of Aragon, Castile, Leon, and Navarre.

 

19: La veille Catalogne. Catalonia, a province at the foot of the

Pyrenees, in the northeastern corner of Spain.

 

20: IL ME SOUVIENT, "I remember". The verb is impersonal; _pas_ is

not the antecedent of _il_.

 

21: veuillez, quoi qu'il advienne, "please, whatever may happen."

 

22: mais, a ce qu'il parait, "why, apparently."

 

23: et veux connaitre, "and I wish to know whom I have seen."

_Savoir_ would be more proper than _connaitre_.

 

24: Madame. The word had not always reference to a married woman

only, and of course it does not have here; translate "milady".

 

25: Je chiffonais ma veste a la francaise, "I was rumpling my French

doublet."

 

26: de belles equipees, "fine doings".

 

27: Saint Jacques monseigneur, "My lord Saint James." James the

apostle is patron saint of Spain.

 

28: Tete et sang, a fragment of the old forms of the oaths _tete

Dieu, sang Dieu_, which if expanded, in modern French, would be _par

la tete de Dieu, par le sang de Dieu_.

 

29: C'est trop de deux. "It is two too many."

 

30: Le Cid. An historical character of the eleventh century, by name

Ruy Diaz de Vivar, whom the Spaniards called _el Campeador_, the

Warrior, and the Arabs _Seid_, Lord, from which words came his popular

name, _el Cid Campeador_. He early became the subject of poems, of

which the oldest is the _Poema del Cid_, which dates from the

middle of the twelfth century. For the next four hundred years his

adventures, real and supposed, form the staple of the heroic romances

of Spain.

 

31: Bernard. Bernardo del Carpio, a semi-mythical character of the

eighth century, the reputed slayer of Roland at Roncesvalles; he also

was a hero of romance.

 

32: Faisait agenouiller leur amour aux eglises. "Sought for their

love the church's sanction."

 

33: Zamora, a small city on the river Duero. Hugo probably alludes to

its falling into the hands of Ferdinand in 1476.

 

34: carrousels, "tourneys".

 

35: Or il faut que, "Now, if I go out but for an hour."

 

36: Toison d'or. The order of the Golden Fleece was founded at Bruges

in 1429, by Philip, Duke of Burgundy, the husband of Isabella of

Portugal. It numbered originally thirty-one knights, pledged to defend

the faith, as the Argonauts had been pledged to seek the golden

fleece. Saint Simon tells us that this order and that of the Garter

were the only ones compatible with the French order of the Holy Ghost.

The marriage of Philip's grand-daughter to Maximilian of Austria in

1477, transferred the grand-mastership to the house of Hapsburg.

 

37: Feal, an old word, equivalent to _fidele_.

 

38: En ton palais. The preposition _dans_ is regularly used before a

defined noun, that is, a noun with an adjective or adjectival phrase.

But _dans_ would increase the line by one syllable, so that this is a

proper place for the exercise of poetic license.

 

39: Pour l'aller dire, would, in correct prose, be _pour aller le

dire_, but the same reason and the same permissible license have

prevailed here as in the preceding line.

 

40: Figuere, Span. _Figueras_, a fortified city in Catalonia, near

the French border.

 

41: Note, in this scene, the indifference of Don Carlos to the

subject of his grandfather's memory, contrasted with the piety of Don

Ruy Gomez.

 

42: Aix-la-Chapelle, German _Aachen_, Latin _Aquis granum_. Pronounce

Aix like _ex_. In its minster (_la chapelle_, whence the name)

Charlemagne is buried. It was here that the emperors were crowned, up

to Ferdinand I, who acceded in 1558.

 

43: Spire, German _Speyer_, celebrated for its cathedral, in which

many of the emperors are buried.

 

44: Francfort, German _Frankfurt am Main_, where, and not in Aachen,

the election took place.

 

45: aura ceci present, "will remember this."

 

46: On est bourgeois de Gand, "I am a citizen of Ghent", having been

born there, and hence being eligible to the imperial throne, as Ghent

was in the Empire.

 

47: Rome est pour moi, meaning that the Pope favored his claims,

which, however, he did not, but endeavored to remain neutral.

 

48: Cette tete allait bien au vieux corps germanique, "He was a

proper head to the old German body", meaning by _tete_ Maximilian, and

by _corps_ the Empire.

 

49: Le pape veut ravoir le Sicile. Since 1266, when Charles d'Anjou

was made a vassal of Pope Clement IV. and invested with Sicily and

Naples, the Holy See was considered to have some claim on them; but in

fact these possessions, called the Two Sicilies, had since 1282 been,

in the main, dependencies of the Spanish throne.

 

50: l'aigle, the imperial eagle, used here figuratively for what it

represented.

 

51: Qu'avec joie il verrait, "With what joy he would behold"; still

speaking of the late Emperor.

 

52: Que ferez-vous, mon fils. The supposed thoughts and remarks of

the Pope.

 

53: Consolez-vous! Don Ruy Gomez is still piously thinking of the

Emperor's death.

 

54: Sa France tres-chretienne. The kings of France were officially

denominated "Most Christian" and those of Spain "Most Catholic".

 

55: Ah! la part est pourtant belle, et vaut qu'on s'y tienne. "Ah!

but that is a portion grand enough and worth holding to", meaning that

France was enough for Francis.

 

56: Au roi Louis. Louis XII (1498-1515), predecessor of Francis I.

 

57: C'est un victorieux. Francis had since his accession to the

throne of France, in 1515, crossed the Alps, beaten the Swiss at

Marignan (Ital. _Melegnano_), and conquered the territory of Milan. He

did in fact dispute the claims of Charles to the imperial crown, but

by no means victoriously, for he was beaten and taken prisoner at the

battle of Pavia, in 1525. After the treaty of Madrid and his release

he entered into an alliance with Henry the Eighth, of England, and the

Italian states against Charles, and recommenced hostilities. This war,

however, ending in the peace of Cambrai in 1529, gave Italy definitely

into the hands of the Emperor. Francis' unsuccessful wars against

Charles continued until the peace of Crepy, in 1544.

 

58: Il faudrait tout changer. "Everything would have to be changed",

meaning that the election of Francis would be contrary to the

constitution of the Empire.

 

59: La bulle d'or. The Golden Bull (so called because of the pendent

gold seal, _bulla aurea_) was a decree of the Emperor Charles IV,

issued at the diet in Metz, in 1336, determining the choice of

emperors by a majority of the seven electors, whom it designated. The

_bulla aurea_ is still preserved in the "Roemer" at Frankfort.

 

60: A ce compte, seigneur, vous etes roi d'Espagne! "In that case,

my lord, you are King of Spain!" Don Ruy speaks with suppressed

exultation. The old nobility of Spain, and patriotic Spaniards

generally, looked with reluctance upon Charles' candidacy for the

imperial crown. Robertson, in his "History of the Reign of Charles the

Fifth", says: "The Spaniards were far from viewing the promotion of

their king to the imperial throne with the same satisfaction which he

himself felt. To be deprived of the presence of their sovereign, and

to be subjected to the government of a viceroy and his council, a

species of administration often oppressive and always disagreeable,

were the immediate and necessary consequences of this new dignity. To

see the blood of their countrymen shed in quarrels wherein the nation

had no concern, to behold its treasures wasted in supporting the

splendor of a foreign title, were effects of this event almost as

unavoidable. From all these considerations they concluded that nothing

could have happened more pernicious to the Spanish nation; and the

fortitude and public spirit of their ancestors, who, in the Cortes of

Castile, prohibited Alfonzo the Wise from leaving the kingdom in order

to receive the imperial crown, were often mentioned with the highest

pride, and pronounced to be extremely worthy of imitation at this

juncture."

 

61: Je suis bourgeois de Gand. As a native of Ghent he claimed

citizenship in the Empire, Ghent being in Austrian Flanders.

 

62: On le dit un rude compagnon. "He is said to be a tough customer."

 

63: Galice, Galicia, a mountainous province in Spain, just north of

Portugal.

 

64: J'en aurai raison. "I shall bring him to terms", overcome him.

 

65: Oui, de ta suite, o roi! For such lines as this and the next

following Victor Hugo was much ridiculed when the tragedy first

appeared; and indeed a play upon words which involves such cacophony

is a doubtful ornament.

 

66: J'oubliais en l'aimant ta haine qui me charge. "I was forgetting

in my love of her my hate of you which fills me."

 

67: mouton d'or, the golden ram, the decoration worn by members of

the order of the Golden Fleece.

 

68: prendre, translate "find".

 

ACT II.

 

1: Patio, the Spanish name for an open court surrounded by a house.

 

2: chapeaux rabattus, "with hats pulled down over their eyes."

 

3: J'en veux a sa maitresse, etc. "I am after his mistress, not his

head."

 

4: qu'il ait un fils, literally: "let him but have a son by her, and

he'll be king."

 

5: fut-on altesse, etc. "even a Royal Majesty cannot get a king by a

countess."

 

6: C'est ce que nous disons, etc. "That is what we often say in your

Highness' antechamber."

 

7: Cependant que for _pendant que_.

 

8: mon peuple, "my servants". It is barely possible that the king

means to return Don Sancho's compliment goodnaturedly, but more

probably he says this to show him his place.

 

9: Poussez au drole une estocade. "Give the rascal a thrust."

 

10: Pendant qu'il reprendra ses esprits sur le gres. "While he is

recovering his senses on the flagstones."

 

11: Dont le roi fera bruit. "Of which the king can boast."

 

12: Navarre. Since 1512 Upper Navarre has belonged to Spain. Its

capital is Pamplona. Navarre north of the Pyrenees, or Lower Navarre,

has belonged to France since 1589.

 

13: Murcie, Murcia, formerly a Moorish kingdom, on the eastern coast

of Spain.

 

14: les Flamands, "the Flemings", inhabitants of the so-called

Spanish Netherlands, of which, in 1512, the Dutch provinces were

incorporated in the Burgundian division of the Empire.

 

15: l'Inde, "the Indies", meaning all the Spanish possessions in

America and the West Indies.

 

16: vous en obliez un, alluding to the opening words of Sc. 4 of

Act 1.

 

17: me monte a sa taille, "lifts me to his height".

 

18: Observe the change from _vous_ to _te_, to indicate the force

of the insult, the use of the second pers. sing. to persons whom one

would ordinarily address as _vous_ being a common way of expressing

contempt.

 

19: compagnon, "base fellow".

 

20: a moi, added merely for emphasis.

 

21: ca, "there!" probably drawing his sword.

 

22: fiscal, a Spanish word meaning an officer whose duty it is to

defend the king's civil rights and to prosecute criminals in his name,

"attorney-general".

 

23: Je vous fais mettre au ban du royaume. "I banish you from the

kingdom."

 

24: C'est un port. "It is a haven of refuge."

 

25: ou ta puissance tombe, "where your hand cannot reach."

 

26: alteree, "thirsty".

 

27: Je le declare. The "_le_" anticipates lines 17 and 18.

 

28: trainant au flanc, "bearing in my heart".

 

29: je veux qu'on m'envie, "worthy of envy".

 

30: Renoue a d'autres jours, etc. "To some other life attach thy life

which I have spoiled."

 

31: ennui, "sorrow".

 

32: sbires, "officers", from the Italian _sbirri_, "bailiffs",

"constables".

 

33: alcades, "wardens", from the Spanish _alcaide_, "jailer" or

"governor of a castle".

 

34: alerte, from the Italian _all' erta_, "on guard".

 

ACT III.

 

1: plus d'oncle! "I shall be done with being uncle."

 

2: Certe, for _certes_, the s being omitted to allow elision and thus

save a syllable.

 

3: On le verra bientot. Does this mean: "It (my blood) will soon be

seen"; or, "That (its nobility) will soon be evident"?

 

4: Derision! que cet amour boiteux... ait oublie. "What mockery that

this decrepit, bungling love... should have forgotten."

 

5: oui, c'en est la, "yes, it has come to that."

 

6: comme le tien. A glaring instance of _enjambement_, or the running

over of a clause at the end of a line.

 

7: J'ai nom Silva. The verb and the noun in this expression and many

similar ones are so closely connected that they may be considered as

forming a verbal expression, and indeed are frequently capable

of conversion into a verb. Here _j'ai nom_ is equivalent to _je

m'appelle_. Compare _trouver moyen, faire honneur, donner conseil_.

 

8: Le tout, pour etre, etc. "I would give all to be", etc.

 

9: qu'il ne s'use en paroles, "but that it will wear itself out in

mere words."

 

10: a l'aile vive et peinte, etc. "with bright and flashing wing and

amorous song." _Ramag_e originally meant only "boughs", "foliage",

then also _chant ramage_, "bird-song among the branches".

 

11: Au coeur on n'a jamais de rides. A fine sentiment, and one of the

many in this Act which win for the chivalrous Don Ruy the reader's

sympathy and respect.

 

12: prunelle, translate simply "eye".

 

13: encor. The _e_ is dropped to save a syllable, as the next word

begins with a consonant.

 

14: que introduces the real subject, _ce supreme effort_, etc.

anticipated by _ce_ in _c'est_, line 25.

 

15: encor. See note 13.

 

16: Et de ses derniers ans, etc. "And bears for him half the weight

of his remaining years."

 

17: See note 14.

 

18: a ce propos, "by the way".

 

19: C'en est fait d'Hernani. "It is all over with Hernani."

 

20: ecus du roi, "royal crown-pieces".

 

21: pour l'instant, "at present".

 

22: Paix et bonheur a vous. This salutation and the answer are

imitations of the Latin greetings between monks.

 

23: Armillas, a small mountain village in Aragon, near Montalvan,

about half-way between Saragossa and Teruel.

 

24: tu le pourras voir pendre. The object-pronoun is generally placed

directly before the verb on which it depends, so that this expression

would normally and in prose be _tu pourras le voir pendre_. Such

expressions as this, however, are common in Moliere.

 

25: Del Pilar. "Our Lady of the Pillar"; one of the two cathedrals of

Saragossa, so called because of the legend that St. James, coming into

Spain soon after the crucifixion to preach the gospel, fell asleep;

whereupon the Virgin Mary appeared on a jasper pillar and desired him

to erect a church on that spot. She is said to have come afterwards

to mass in the chapel which was built there, and which is now in the

centre of the cathedral and contains the pillar. This relic is a

favorite object of pilgrimage, as it is believed to cure diseases.

 

26: au fond du sombre corridor, "at the end of the gloomy aisle".

 

27: chasse ardente, "blazing shrine".

 

28: cape, "cope", a sacerdotal cloak reaching from the shoulders to

the feet, open in front, worn by priests celebrating mass.

 

29: ne te fais faute de rien, "make free use of everything".

 

30: L'avoir priee to portera bonheur. "It will bring you good luck to

have prayed to her."

 

31: carolus d'or, money pieces thus named because first coined under

Charles VIII of France and marked with his name.--(_Matzke_). Compare

_Louis d'or, Napoleon d'or_.

 

32: Perez ou Diego, meaning "You thought I was nobody in particular",

these being very common Christian names.

 

33: Je vais faire armer le chateau. He means that the presence of

Hernani will attract the king's troops, against whom, by the rules of

hospitality, be feels bound to protect his guest.

 

34: cent fois moins. Supply _rare_.

 

35: Grand merci de l'amour sur, profond et fidele. Ironical: "Thanks

for such deep, sure, faithful love."

 

36: ma patronne, "my patron saint".

 

37: qui m'outragez, "who insult me".

 

38: Croire que mon amour, etc. "How could he think that my love had

so short a memory! How could he think that all these inglorious men

could ever reduce a heart into which his name (Hernani's) has entered,

to lesser loves, though nobler in their eyes!"

 

39: insense, "madman".

 

40: Olmedo, a town of 2000 inhabitants, a few miles south of

Valladolid.

 

41: Alcala. There are several towns of this name. Probably Alcala de

Henares is meant, a city between Madrid and Saragossa.

 

42: encore un coup, "once more I say".

 

43: Qu'on m'ait fait pour hair, depends upon _honteux_, as does also

_de n'avoir pu_, etc. by a double construction.

 

44: Estramadoure, "Estramadura", formerly a province of Spain, west

of New Castile, on the borders of Portugal.

 

45: Ne te fais pas d'aimer une religion. "Do not sacrifice yourself

to love", _religion_ being used in the special sense of "sacred

obligation", "point of conscience", and _aimer_ being used

substantively.

 

46: Que le mien. See note 14.

 

47: Ne m'en veux pas de fuir. "Be not vexed with me for flying."

 

48: mes amis sont morts, meaning her eyes, drowned now in tears.

 

49: une amour. The plural of _amour_ is indiscriminately masculine

or feminine, in both prose and poetry; but the singular is now only

masculine in prose, and of either gender in poetry.

 

50: Qu'il en soit ainsi. "So be it!"

 

51: Ressaye ton harnois. "Put on again thine armor." _Harnois_

poetical for _harnais_.

 

52: Fait lever sur mes pas des gibiers de bourreau, "started

gallows-birdsupon my path."

 

53: sans pater, without _pater noster_; that is, unconfessed of their

sins.

 

54: Sforce, "Sforza". This family ruled as dukes of Milan from 1147

to 1535. Galeazzo Maria Sforza, who died in 1476, is probably meant

here, as he was a notorious and wicked tyrant; though possibly the

author is thinking of Giovanni Galeazzo Sforza, lord of Pesaro, the

first husband of Lucretia Borgia.

 

55: Borgia, Caesar Borgia, son of Pope Alexander VI, was Cardinal in

1492, murdered his own brother in 1497, was a cruel and bloodthirsty

tyrant in Romagna, and was held two years in captivity in Spain by

Ferdinand the Catholic, finally losing his wicked life in 1507.

 

56: Luther, born 1483, died 1546, would naturally seem to a

contemporary Spaniard a monster fit to be classed with Caesar Borgia.

 

57: soeur du festin des sept tetes, "a sister to the banquet of the

seven heads", alluding to the old Spanish story of the Seven Lords of

Lara, a favorite theme with ancient ballad-writers, and upon which two

of Lope de Vega's dramas are based: "Los Siete Infantes de Lara" and

"El Bastardo Mudarra". The seven sons of the Lord of Lara are said to

have been betrayed by their uncle (it is he who is meant in line 16)

to the Moors, who slew them. Their heads were served up at a banquet

to which their father was invited.

 

58: j'en jure, instead of _je le jure_, being perhaps an elliptical

expression in its origin for _j'en jure la verite_.

 

59: qu'elle eut hate a ce point de reluire a ton poing = _qu'elle eut

tellement hate de reluire a ton poing, quand nous_, etc.

 

60: C'est s'y prendre un peu tard, etc. "You are beginning a little

late to play the young man."

 

61: Boabdil, the last of the Moorish kings of Granada, driven out by

Ferdinand in 1492.

 

62: Mahom, an abbreviation of Mahomet; compare the English Mahound.

 

63: Mais qu'a cela ne tienne. "Why! do not let that hinder you."

 

64: Don Silvius. Like the Italians, and indeed with just as good

reason, many great Spanish families are fond of claiming descent from

the heroes of ancient Rome.

 

65: Toro. A city of 9000 inhabitants between Valladolid and Zamora.

 

66: Valladolid. A famous city in the former kingdom of Leon, in the

northwest of Spain, famous for its situation, its antiquity, its

memories. Columbus died there, in 1506.

 

67: Tribut des cent vierges. The reference is to a story told in the

_Romancero general_, to the effect that a hundred virgins were offered

to the Moors as ransom for a prisoner.

 

68: Ramire. There were several kings by the name of Ramiro in the

history of Aragon.

 

69: Grand maitre de Saint Jacque et de Calatrava. The orders of

knighthood of St. James (Santiago) and of Calatrava were founded for

the purpose of resisting the Moors.

 

70: Motril. A town on the Mediterranean, south of Granada and east of

Malaga.

 

71: Antequera. A town of 20,000 inhabitants in Andalusia, between

Ronda and Granada.

 

72: Suez. The editor can find no place of this name on the map

of Spain. Perry suggests that the author may mean Sueca, south of

Valencia.

 

73: Nijar. A small town near the Mediterranean coast, a few miles

from Almeria.

 

74: tient a Silva, "has something to do with the house of Silva", "is

affected by us".

 

75: Sandoval, Manrique, Lara, Alencastre. Names of great families.

 

76: Zamet, Arabic Achmed. The present editor (and every other

apparently) is ignorant of any Zamet in legend or history to whom this

could refer.

 

77: Car vous me la pairiez. "Because you would pay me a price for it,

would you not?" Don Ruy is continuing his own sentence, and alludes to

the head of Hernani.

 

78: notre, instead of _a nous_.

 

79: grand merci! The English "grammercy" is supposed to come from

this expression, though it has also been said to be a corruption of

"God have mercy!" Translate here: "Many thanks!" ironically.

 

80: The Duke of Alcala does not figure in the list of _dramatis

personae_, nor does he have a word to utter in the whole play.

 

81: que vite, "how quickly".

 

82: mon infante, "my princess".

 

83: malgre mes voeux, "against my will".

 

84: contente, imperative.

 

85: te laisseras-tu faire? "will you yield to me?"

 

86: see note 56, act IV.

 

ACT IV.

 

1: Aix la-Chapelle (Aachen) was the old Frankish capital. Charlemagne

held court there and at Engilenheim. He was buried there, A.D. 814,

in "that basilica which it had been the delight of his later years to

erect and adorn with the treasures of ancient art. His tomb under

the dome--where now we see an enormous slab, with the words 'Carolo

Magno'--was inscribed _Magnus atque Orthodoxus Imperator_". (Bryce:

"Holy Roman Empire".) Mr. Bryce adds: "This basilica was built upon

the model of the Church of the Holy Sepulchre at Jerusalem, and as

it was the first church of any size that had been erected in those

regions for centuries past, it excited extraordinary interest among

the Franks and Gauls. In many of its features it greatly resembles

the beautiful church of San Vitale, at Ravenna... Over the tomb of

Charles, below the central dome... there hangs a huge chandelier, the

gift of Frederick Barbarossa."

 

2: Monsieur l'electeur de Treves. The Archbishop of Trier stood out

for a long time in favor of Francis I.

 

3: Ou Rodolphe extermina Lothaire. The allusion is not clear.

 

4: Gotha, the Duke of Gotha, heading the list of nobles opposed to

the election of Charles.

 

5: croi, instead of _crois_, for the sake of the rhyme with _moi_. It

must be remembered that French rhymes are made for the eye, sometimes,

more than for the ear.

 

6: Lutzelbourg, the duchy of Luxembourg, sometimes, with the city of

that name, called (in German) Luetzelburg.

 

7: est trop grand de la tete, "is a head too tall", _i.e._, will be

decapitated before he has done.

 

8: Astorga, a town in the kingdom of Leon, in northwestern Spain.

 

9: Ont toujours fait doubler la solde du bourreau, probably means

that so many of them have been executed, and such large game too, that

their deaths have enriched the executioner.

 

10: deux hardis compagnons, "two bold fellows".

 

11: l'elargir, refers to _drap_ in the next line.

 

12: Un Saxon heretique. Frederick, Elector of Saxony, was born in

1463. He was a generous patron of learning, founded in 1502 the

University of Wittenberg, and lent his powerful protection to Luther,

though he never publicly declared himself a Protestant. His declining

the imperial crown on this occasion, in 1519, has been already

mentioned. He died in 1525.

 

13: Des princes de Hesse. This is a mistake, if Hugo means that a

prince of Hesse was one of the electors, as there were none of that

house until 1803, when Landgrave William IX of Hesse-Cassel became

Elector with the title William I.

 

14: Dans ma peau de lion emporter comme Hercule. Hugo probably

alludes here to the story of Hercules and the Cercopes, two

mischievous gnomes who annoyed Hercules in his sleep and were captured

by him and given to Omphale. Baumeister (Denkmaeler des klassischen

Alterthums, Vol. 1. p. 664) thinks that these impish creatures may

have been monkeys. I can find no statement that Hercules carried them

off in his lion's skin, but he is said to have strung them by their

feet to a pole.

 

15: Triboulet, a deformed court jester of King Francis I of France,

and the grotesque hero of Hugo's play "Le Roi s'amuse". Translate:

"would be a head shorter than Triboulet himself".

 

16: Gand, Tolede, Salamanque, Ghent, Toledo, Salamanca.

 

17: For cacophony this line would be hard to beat. It sounds like

the croaking of frogs; and there is no reason apparent why the author

should indulge in such a hideous eccentricity.

 

18: sauf, plus tard, a les reprendre, "with the mental reservation

that I _might_ take them back".

 

19: Vous vous couvrez? The wily Ricardo, hearing the king address him

familiarly with _tu_ (l. 17), which was the form of address from the

kings of Spain to grandees, whom they also called "cousin", puts on

his hat in the king's presence--another privilege of a grandee.

 

20: Baste, "enough", from the Italian _basta_.

 

21: Peut-etre on voudra d'un Cesar. "Perhaps she will put up with an

emperor."

 

22: Ce Corneille Agrippa pourtant en sait bien long! "And yet this

Cornelius Agrippa has great insight!" Heinrich Cornelius Agrippa

von Nettesheim, born 1486 at Cologne, died 1535 at Grenoble, was

a celebrated scholar, who filled various offices, of more or less

doubtful character, under the Emperor Maximilian I. and Francis I. He

wrote a satire "De incertitudine et vanitate scientiarum", and a work

against witchcraft, "De occulta philosophia", but had the reputation

of being a magician himself.

 

23: l'abbe Jean Tritheme. Johannes Tritheim, born in 1462 at

Trittenheim, near Trier, was a Benedictine monk, who became abbot of

St. James in Wuerzburg, where he died in 1516. He wrote a number of

semi-historical works, and had a reputation for supernatural wisdom.

 

24: comte de Limburg. Limburg was a duchy, west of Aachen, now

divided between Belgium and the Netherlands.

 

25: gardien capitulaire, guardian of the tomb of Charlemagne, by

appointment of the monastic chapter which had it in charge.

 

26: SCENE II. This is one of the most powerful passages in Victor

Hugo's writings. It would be hard to say to what extent the sentiments

here expressed were his personally. At any rate, it is a grandiloquent

exposition of the imperial idea. As Mr. H.A. Perry remarks, the poet

is evidently thinking, and with intense sympathy, of the aspirations

of Napoleon I. and his ambition to subject the Pope to himself. It

is in this scene that Charles is represented as changing from a

headstrong, frivolous, undisciplined libertine into a grave man made

noble by a sense of responsibility. It may be questioned whether so

sudden a transformation is possible, and certain it is that in the

play the Charles of the preceding part is not the same man as he who

emerges from the tomb of Charlemagne. It is improbable that the mere

heightening of a weak, bad man's ambition would make him good and

great in half an hour. But such contrasts are Hugo's delight.

 

27: un monde createur, meaning the Middle Ages, as an epoch fertile

in great institutions.

 

28: le hasard corrige le hasard, means that whatever the oppression

of the time, it is probable that the people will have a friend either

in the Pope or the Emperor, and if one is tyrannical the other may be

clement.

 

29: toujours l'ordre eclate, "order still springs forth".

 

30: Qu'une idee, au besoin des temps, un jour elose. "Let but a

thought, in the fulness of time, some day burst forth."

 

31: Se fait homme, "becomes incarnate".

 

32: These lines are packed with meaning, the principal idea being

that the will of the people and the will of God will from time to time

find personification in an elective Pope or an elective Emperor, and

triumph over hereditary sovereigns and time-honored prerogatives.

 

33: diete is the legislative assembly of the Empire, conclave the

assembly of cardinals to elect a Pope.

 

34: suaire, lit. "shroud"; but it is difficult to see why Hugo

chose this word for the papal mantle, unless helped there-to by the

necessity of finding a rhyme for _sanctuaire_.

 

35: Pierre et Cesar, en eux accouplant les deux Romes, the idea so

much insisted on by Dante in the De Monarchia and the Divine Comedy,

that the spiritual Rome of Peter's founding and the temporal Roman

Empire of Caesar's creation were divinely sanctioned, and necessary to

each other.

 

36: a larges pans, "on a generous scale".

 

37: la clef de voute, "the keystone".

 

38: ducs a fleurons, "dukes with flowered escutcheons."

 

39: nous arrive fanfare, "comes to us like trumpet-blast."

 

40: What follows, the vision of the People, is very characteristic of

Hugo, however unlike anything that Charles would have thought, and it

is nobly expressed.

 

41: l'etreignant. The antecedent of the _l'_ is _pyramide_.

 

42: sur ses hautes zones. The antecedent of _ses_ is _pyramide_.

 

43: des empires, the object of _verrait_.

 

44: son flux. The antecedent of _son_ is _flot_, in line 25.

 

45: The antecedent of _le_ and _il_ is _flot_ again.

 

46: Il n'aille pas me prendre, impersonal, "There came not over me a

giddiness."

 

47: seulement, "even".

 

48: dut en parlant, "even if in speaking".

 

49: dusses-tu me dire, see preface.

 

50: Qui vive? "Who goes there?"

 

51: etranger par sa mere, "a foreigner on his mother's side", the

Spanish side. See note 59, act I.

 

52: meure comme un Hebreu, a testimony to the constancy of the Jews

under persecution.

 

53: roue et tenailles mordantes, "the wheel (of torture) and the

biting (red-hot) pincers."

 

54: chevalets, "wooden horses": trestles with a sharp ridge, upon

which victims were set astride for torture.

 

55: lampes ardentes, "fires", applied with careful ingenuity to the

feet, generally.

 

56: Je te rends ce cor, see note 86, act III.

 

57: Avec Dieu dans ceci je suis d'intelligence, "God is on my side in

this."

 

58: des ce soir, simply, "this evening".

 

59: le traitre, meaning Charles, whom he considers the real traitor.

 

60: S'il perit, means Hernani.

 

61: sans nous y soustraire, "without ever giving up", "without

defection".

 

62: Jurons sur cette croix. His sword, like a crusader's, had a guard

at right angles to the hilt, thus forming across.

 

63: Connetable d'Espagne, by thus naming him the Emperor appoints

Alcala to this high office, and then in the same manner gives Almunan

the Admiralty of Castile, a position of great honor.

 

64: Majeste! The sycophant Ricardo is the first to proffer the new

title, which was supposed to belong to emperors alone. Charles,

however, is said to have caused it to be employed towards himself

while yet only King of Spain.

 

65: Alcade du palais. "Governor of the palace."

 

66: Deux electeurs. This is not correct. The news of his election was

brought from Frankfort to Charles at Barcelona by the Count Palatine.

The Duke of Bavaria was not at that time an elector.

 

67: chambre doree. The election took place in the splendid hall of a

building in Frankfort known as the Roemer.

 

68: roi des Romains. One of the concomitant titles of the Emperor was

King of the Romans. When an Emperor was so fortunate as to be crowned

at Rome he assumed the clamys and sandals of a Roman patrician, and

great sanctity was attached to this dignity as perpetuating the line

of the ancient city.

 

69: frere de Boheme. Kings then as now addressed each other as "my

brother".

 

70: vous etes familier, "I count you as an intimate friend."

 

71: J'y suis! "I have succeeded."

 

72: son poignard, see act II, scene 2.

 

73: au mur de Balthazar, "on Belshazzar's wall". See the Book of

Daniel, v. 5.

 

74: Les rois Rodrigue font les comtes Julien. Roderick, King of

Andalusia, assumed sway over all Spain in 709. In the opposition was a

certain Count Julian, commander of the Gothic forces in Morocco, who

betrayed his master's forces to the Saracens. These, victorious in

Africa, crossed into Spain and defeated and killed Roderick in 711.

He has been called the last of the Goths, and is the subject of an

ambitious poem by Robert Southey. According to Spanish legend, as

embodied in ancient ballads, the treachery of Count Julian was an act

of revenge for the dishonoring of his sister by King Roderick.

 

75: Segorbe, a town in Valencia, in eastern Spain.

 

76: Cordona, a small town in Catalonia, in northeastern Spain.

 

77: Monroy, Monroyo, a small town in eastern Spain, a few miles west

of Tortosa.

 

78: Albatera, a village in Valencia, in eastern Spain.

 

79: Gor. Venta de Gor is a small village a few miles north of

Granada.

 

80: grand maitre d'Avis. The order of Avis was a Portuguese

decoration.

 

81: penser, infinitive used as noun.

 

82: Laisse regner l'esprit. Speaking to his heart, he bids it cease

to disturb his mind, which is full of lofty purposes.

 

83: The Austrian coat of arms contains a double-headed eagle with an

escutcheon on its breast.

 

84: Saint Etienne, Saint Stephen.

 

85: miseres du roi, "pettiness of the king".

 

86: Le Danois a punir, perhaps an allusion to the fact that the

Danish parliament was one of the first large political bodies to defy

the Pope and set up a national church (1527).

 

87: Le Saint-Pere a payer. Pope Leo X adroitly avoided declaring

himself for either Charles or Francis, yet maintained such a position

that the successful competitor should consider himself his debtor.

 

88: Venise. Robertson says that the "views and interest of the

Venetians were not different from those of the Pope", and yet that

they sided with Francis, because they had more to fear and to hope

from him.

 

89: Soliman. Soliman the Magnificent, Emperor of Constantinople, was

knocking loudly at the doors of western Europe, and one of the reasons

why Frederick the Wise declined his election was that Charles would

prove a stronger power against the Turks.

 

ACT V.

 

1: cherchant fortune, "a-courting".

 

2: Vouliez-vous pas qu'il mit son cercueil de la noce? "You wouldn't

have him drag his coffin into the wedding?"

 

3: lui fait ombre, "disturbs him".

 

4: Pourpoint de comte, empli de conseils d'alguazil, "Count's

doublet, full of wise saws and modern instances."

 

5: Il n'avait garde. "He was careful not to."

 

6: Il trouve a qui parler. "I am not afraid of a conversation with

him."

 

7: par la rampe de l'escalier, "along the balustrade of the

stairway".

 

8: Quelque mauvais plaisant, "some would-be joker".

 

9: en attendant l'enfer, "before he comes to fetch us to hell".

 

10: C'est un plaisant drole, "He's a queer lot!" Here _plaisant_ is

the adjective; in note 1, preface, it was the noun.

 

11: celle-ci, "this dance".

 

12: In prose this would be: _qu'avec vous mon mari les compte_.

 

13: Il compte, "He keeps time".

 

14: Saint Jacques monseigneur, "By my lord St. James!"

 

15: amie, "my dear".

 

16: Vienne ma dona Sol, "Let but my dona Sol come", etc.

 

17: Qu'on nous laisse, "Let them but leave us".

 

18: mis de la sorte, "dressed in this way".

 

19: Two weak and superfluous lines.

 

20: Seriez vous dans cette serenade de moitie! "Have you not had a

hand in this serenade?"

 

21: Ce devrait etre fait. "This must be ended."

 

22: Fusse-je votre fille. "Even were I your daughter."

 

23: Qu'ils sont heureux! A phrase of great power. Observe also that

Hernani suppresses almost all evidence of his pain in the presence of

Dona Sol.

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