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Ian Fisher : La poésie dans l'histoire

Publié le 29/03/2011

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histoire

   Les événements des années 1870 ont exercé sur la poésie une influence plus complexe que ceux de 1848 qui avaient amené les poètes à s'enfuir hors de l'actualité et à se réfugier dans le culte parnassien de la Forme et de la Beauté.    La nouvelle génération a vécu une secousse décisive de toutes les valeurs reconnues. Au sein du monde de la bourgeoisie triomphante et de la révolution écrasée, les poètes ont été les premiers à éprouver les insuffisances des conceptions positivistes et naturalistes. Le monde où, pour le positivisme, tout était raisonnable et explicable par la raison, leur répugnait et leur paraissait inacceptable. La poésie ne pouvait plus se contenter du froid académisme, de la neutralité et de l'impassibilité impersonnelle des Parnassiens. On s'efforçait de dépasser la description fragmentaire des phénomènes pratiquée par les naturalistes et on cherchait à dégager un sens plus profond qui restituerait au monde son intégralité. Séduisantes paraissaient des correspondances mystérieuses qui restaient à saisir. Le positivisme prétendait donner une explication définitive du monde, mais, en réalité, il n'atteignait que le domaine superficiel des phénomènes immédiatement perceptibles, qu'il faisait passer pour toute la réalité objective. Il n'expliquait ni le monde interne des sensations, ni les phénomènes incompréhensibles d'un monde qui, en dépit du progrès de la technique et des connaissances scientifiques, était de plus en plus aliéné à l'homme. [...]    L'apport de la nouvelle poésie ne peut pas être jugé dans le plan d'une confrontation sur le champ des systèmes philosophiques, idéologiques, religieux ou esthétiques tout faits.    Le refus du positivisme, en apparence rationaliste, pouvait ouvrir la voie à l'irrationnel, à la mystique, le Moi du poète fuyant hors de la réalité sociale et se plaçant au-dessus des rapports objectifs, l'Esprit au-dessus de la Matière (de même le « spiritualisme romantique « avait déjà été une réaction contre le « matérialisme « bourgeois). Dans le domaine théorique, les recherches poétiques ont nécessairement été influencées par diverses mystifications idéalistes. C'est ailleurs, cependant, que réside leur signification. L' « imitation de la nature « pseudo-réaliste n'était qu'une convention consistant à représenter le monde vu au travers du prisme des conceptions bourgeoises. Le naturalisme paraissait confirmer le caractère éternel de ce monde intransformable dans lequel les poètes étouffent. Rimbaud, dès ses tout premiers essais de jeunesse, s'efforça de trouver un contact nouveau et direct avec la réalité sans recours aux conventions en vogue. Le monde « naturel « d'une fantaisie déchaînée, découvert par les poètes, ne rentrait pas dans le cadre de la « positivité « des naturalistes, mais il ne rentrait pas, non plus, dans celui de la mystique irrationnelle traditionnelle. Décomposant l'apparente unité superficielle du monde, les poètes tentèrent, en utilisant la métaphore, le symbole et les associations, de saisir des correspondances plus profondes. Fuyant la réalité quotidienne, ils construisirent leur nouveau monde en eux-mêmes.    Arthur Rimbaud, poète de la vision poétique moderne, Acta Universitatis carolinae, Philologica n° 1, Romanestica Pragensiani, p. 59-74.

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