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Il avait fait la guerre en 1870, Zoé.

Publié le 04/11/2013

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Il avait fait la guerre en 1870, Zoé. Il avait vingt ans alors. Je n'en avais que douze. Il me semblait avancé en âge, grand par es ans. Un jour de l'Année terrible, il entra avec un bruit de ferrailles dans notre paisible maison provinciale. Il venait ous faire ses adieux. Il portait un effroyable costume de franc-tireur. De sa ceinture écarlate sortaient les crosses de eux pistolets d'arçon. Et comme il faut qu'on puisse encore sourire dans les heures les plus tragiques, la fantaisie nconsciente d'un obscur armurier l'avait accroché à un démesuré sabre de cavalerie. Ne me reproche pas, Zoé, ce tour de angage ; il est dans une lettre de Cicéron. Qui donc, dit l'orateur, a accroché mon gendre à cette épée?" Ce qui m'étonna le plus dans l'équipement de notre ami Émile Vincent, ce fut ce démesuré sabre. J'en conçus, en mon me enfantine, une espérance de victoire. Je crois, Zoé, que tu fis plus d'attention aux bottes, car tu levas la tête de essus ton ouvrage et tu t'écrias: "Tiens! le Chat botté!" 'ai dit: "Le Chat botté!" Pauvre Émile! MILE 7 rainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables Tu as dit: "Tiens! le Chat botté!" N'en aie pas de regrets, oé. Mme d'Abrantès raconte dans ses Mémoires qu'une petite fille appela aussi "Chat botté" le jeune et maigre onaparte, un jour qu'elle le vit ridiculement accoutré en général de la République. Bonaparte lui en garda rancune. otre ami, plus magnanime, ne s'offensa pas de ton propos. Émile Vincent fut mis avec sa compagnie à la disposition d'un énéral qui n'aimait pas les francs-tireurs et qui dit à ceux-là: "Ce n'est pas le tout que d'être habillés en mardi gras. Il aut se battre." L'ami Vincent écouta sans trouble cette forte harangue. Il fut admirable durant toute la campagne. On le vit un jour 'approcher des avant-postes ennemis avec la tranquillité d'un héros et d'un myope. Il n'y voyait pas à trois pas devant ui. Rien ne pouvait le faire reculer. Durant les trente années qu'il lui restait à vivre, il se rappela ses mois de campagne en abriquant des brosses de chiendent. l lisait les journaux militaires, présidait les réunions de ses anciens compagnons d'armes, assistait aux inaugurations des onuments élevés aux combattants de 1870 ; il défilait à la tête des ouvriers de sa fabrique devant les statues de ercingétorix, de Jeanne d'Arc et des soldats de la Loire, à mesure qu'elles sortaient du sol français. Il faisait des discours atriotiques. Et nous touchons ici, Zoé, à une scène de comédie humaine dont on goûtera peut-être un jour la ouffonnerie lugubre. Émile Vincent s'avisa de dire, au cours de l'Affaire, qu'Esterhazy était un escroc et un traître. Il le isait parce qu'il le savait et qu'il était bien trop candide pour jamais cacher la vérité. A compter de ce jour il passa pour n ennemi de la patrie et de l'armée. l fut traité de traître et d'étranger. Le chagrin qu'il en eut hâta les progrès de la maladie de coeur dont il était atteint. Il ourut triste et surpris. La dernière fois que je le vis, il me parla de tactique et de stratégie. C'était le sujet préféré de ses onversations. Bien qu'il eût fait campagne, en 70, dans un grand désordre et une excessive confusion, il était persuadé ue l'art de la guerre est le plus beau des arts. Et je crains de l'avoir fâché en lui disant qu'il n'y a pas à proprement parler n art de la guerre, et qu'à la vérité on emploie, quand on fait campagne, tous les arts de la paix, la boulangerie, la aréchalerie, la police, la chimie, etc. ourquoi, Lucien, demanda Mlle Bergeret, as-tu dit des choses pareilles? ar conviction, répondit M. Bergeret. Ce qu'on appelle stratégie est au fond l'art pratiqué par l'agence Cook. l consiste essentiellement à passer les rivières sur des ponts et à franchir les montagnes par les cols. Quant à la tactique, es règles en sont puériles. Les grands capitaines n'en tiennent pas compte. Sans l'avouer, ils laissent beaucoup faire au asard. Leur art est de créer des préjugés qui leur sont favorables. Il leur devient facile de vaincre quand on les croit nvincibles. C'est sur la carte seulement qu'une bataille prend cet aspect d'ordre et de régularité qui révèle une volonté upérieure. e pauvre Émile Vincent! soupira Mlle Bergeret. Il est vrai qu'il aimait beaucoup les militaires. Et je suis sûre, comme toi, u'il a cruellement souffert quand il s'est vu traité en ennemi par le monde de l'armée. La générale Cartier de Chalmot a té bien dure pour lui. Elle savait mieux que personne qu'il donnait beaucoup aux oeuvres militaristes. Pourtant elle ompit toutes relations avec lui quand elle sut qu'il avait dit qu'Esterhazy était un escroc et un traître. Et elle rompit sans énagements. Comme il s'était présenté chez elle, elle s'approcha de l'antichambre où il attendait, et elle cria de façon à tre entendue de lui: "Dites que je n'y suis pas." Pourtant, ce n'est pas une méchante femme. on, certes, répliqua M. Bergeret. Elle a agi avec cette sainte simplicité dont on vit en d'autres temps des exemples plus dmirables encore. Nous n'avons plus que des vertus médiocres. Et ce pauvre Émile n'est mort que de chagrin." ADRIENNE BUQUET Au docteur Georges Dumas DRIENNE BUQUET 8 rainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables Comme nous finissions de dîner au cabaret: "J'en conviens, me dit Laboullée, tous ces faits qui se rapportent à un état encore mal défini de l'organisme, double vue, suggestion à distance, pressentiments véridiques, ne sont pas constatés, la plupart du temps, d'une manière assez igoureuse pour satisfaire à toutes les exigences de la critique scientifique. Ils reposent presque tous sur des témoignages ui, même sincères, laissent subsister de l'incertitude sur la nature du phénomène. es faits sont encore mal définis: je te l'accorde. Mais leur possibilité ne fait plus de doute pour moi depuis que j'en ai oi-même constaté UN. Par le plus heureux hasard, il m'a été donné de réunir tous les éléments d'observation. Tu peux e croire quand je te dis que j'ai procédé avec méthode et pris soin d'écarter toute cause d'erreur." n articulant cette phrase, le jeune docteur Laboullée frappait à deux mains sa poitrine creuse, rembourrée de brochures, t avançait vers moi, par-dessus la table, son crâne agressif et chauve. "Oui, mon cher, ajouta-t-il, par une chance unique un de ces phénomènes, classés par Myers et Podmore, sous la ésignation de fantômes des vivants, s'est déroulé dans toutes ses phases sous les yeux d'un homme de science. J'ai tout onstaté, tout noté. 'écoute. es faits, reprit Laboullée, remontent à l'été de 91. Mon ami Paul Buquet, dont je t'ai souvent parlé, habitait alors avec sa emme un petit appartement dans la rue de Grenelle, vis-à-vis de la fontaine. Tu n'as pas connu Buquet? e l'ai vu deux ou trois fois. Un gros garçon, avec de la barbe jusque dans les yeux. Sa femme était brune, pâle, les traits rands et de longs yeux gris. 'est cela: tempérament bilieux et nerveux, assez bien équilibré. Mais une femme qui vit à Paris, les nerfs prennent le essus et... va te faire fiche!... Tu l'as vue, Adrienne? e l'ai rencontrée un soir rue de la Paix, arrêtée avec son mari devant la boutique d'un bijoutier, le regard allumé sur des saphirs. Une belle personne, et fichtrement élégante, pour la femme d'un pauvre diable enfoncé dans les sous-sols de la chimie industrielle. Il n'avait guère réussi, Buquet? Buquet travaillait depuis cinq ans dans la maison Jacob, qui vend, boulevard Magenta, des produits et des appareils pour a photographie. Il s'attendait d'un jour à l'autre à être associé. Sans gagner des mille et des mille, sa position n'était pas auvaise. Il avait de l'avenir. Un patient, un simple, un laborieux. Il était fait pour réussir à la longue. En attendant, sa emme n'était pas un embarras pour lui. En vraie Parisienne, elle savait s'ingénier et elle trouvait à chaque instant des ccasions extraordinaires de linge, de robes, de dentelles, de bijoux. Elle étonnait son mari par son art à s'habiller erveilleusement pour presque rien, et Paul était flatté de la voir toujours si bien mise avec des dessous élégants. Mais e que je te dis là est sans intérêt. ela m'intéresse beaucoup, mon cher Laboullée. n tout cas, ce bavardage nous éloigne du but. J'étais, tu le sais, le camarade de collège de Paul Buquet. ous nous étions connus en seconde à Louis-le-Grand, et nous n'avions pas cessé de nous fréquenter quand à vingt-six ns, sans position, il épousa Adrienne par amour, et, comme on dit, avec sa chemise. Ce mariage ne fit point cesser notre ntimité. Adrienne me témoigna plutôt de la sympathie, et je dînais très souvent dans le jeune ménage. Je suis, comme tu ais, le médecin de l'acteur Laroche ; je fréquente les artistes, qui me donnent de temps en temps des billets. Adrienne et on mari aimaient beaucoup le théâtre. Quand j'avais une loge pour le soir, j'allais manger la soupe chez eux et je les mmenais ensuite à la Comédie-Française. J'étais ADRIENNE BUQUET 9 rainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables toujours sûr de trouver au moment du dîner Buquet qui entrait régulièrement à six heures et demie de sa fabrique, sa femme et l'ami Géraud. éraud, demandai-je, Marcel Géraud, qui avait un emploi dans une banque et qui portait de si belles cravates? ui-même, c'était un familier de la maison. Comme il était vieux garçon et aimable convive, il y dînait tous les jours. Il pportait des homards, des pâtés et toutes sortes de friandises. Il était gracieux, aimable, et parlait peu. Buquet ne ouvait se passer de lui, et nous l'emmenions au théâtre. uel âge avait-il? éraud? Je ne sais pas. Entre trente et quarante ans... Un jour donc que Laroche m'avait donné une loge, j'allai, comme de coutume, rue de Grenelle, chez les amis Buquet. J'étais un peu en retard et quand j'arrivai, le dîner était servi. Paul criait la faim ; mais Adrienne ne se décidait pas à se mettre à table en l'absence de Géraud. "Mes enfants, m'écriai-je, j'ai une seconde loge pour le Français! on joue Denise! Allons, dit Buquet, mangeons vite la soupe et tâchons de ne pas manquer le premier acte." La bonne servit. Adrienne semblait soucieuse et l'on voyait que le coeur lui levait à chaque cuillerée de potage. Buquet avalait à grand bruit le vermicelle dont il rattrapait avec sa langue les fils pendus à sa moustache. "Les femmes sont extraordinaires, s'écria-t-il. Figure-toi, Laboullée, qu'Adrienne est inquiète de ce que Géraud n'est pas venu dîner ce soir. Elle se fait des idées. Dis-lui donc que c'est absurde. Géraud peut avoir eu des mpêchements. l a ses affaires. Il est garçon ; il n'a à rendre compte de son temps à personne. Ce qui m'étonne c'est, au contraire, qu'il ous consacre presque toutes ses soirées. C'est gentil à lui. Il n'est que juste de lui laisser un peu de liberté. Moi, j'ai un rincipe, c'est de ne pas m'inquiéter de ce que font mes amis. Mais les femmes ne sont pas de même." Mme Buquet épondit d'une voix altérée: "Je ne suis pas tranquille, Je crains qu'il ne soit arrivé quelque chose à M. Géraud."

« suggestion àdistance, pressentiments véridiques,nesont pasconstatés, laplupart dutemps, d'unemanière assez rigoureuse poursatisfaire àtoutes lesexigences delacritique scientifique.

Ilsreposent presquetoussurdes témoignages qui, même sincères, laissentsubsister del'incertitude surlanature duphénomène. Ces faits sont encore maldéfinis: jete l'accorde.

Maisleurpossibilité nefait plus dedoute pourmoidepuis quej'enai moi−même constatéUN.Parleplus heureux hasard,ilm'a étédonné deréunir tousleséléments d'observation.

Tupeux me croire quand jete dis que j'aiprocédé avecméthode etpris soin d'écarter toutecause d'erreur." En articulant cettephrase, lejeune docteur Laboullée frappaitàdeux mains sapoitrine creuse,rembourrée debrochures, et avançait versmoi, par−dessus latable, soncrâne agressif etchauve. "Oui, moncher, ajouta−t−il, parune chance uniqueundeces phénomènes, classésparMyers etPodmore, sousla désignation defantômes desvivants, s'estdéroulé danstoutes sesphases souslesyeux d'unhomme descience.

J'aitout constaté, toutnoté. J'écoute. Les faits, reprit Laboullée, remontent àl'été de91.

Mon amiPaul Buquet, dontjet'ai souvent parlé,habitait alorsavecsa femme unpetit appartement danslarue deGrenelle, vis−à−visdelafontaine.

Tun'as pasconnu Buquet? Je l'ai vudeux outrois fois.Ungros garçon, avecdelabarbe jusque danslesyeux.

Safemme étaitbrune, pâle,lestraits grands etde longs yeuxgris. C'est cela:tempérament bilieuxetnerveux, assezbienéquilibré.

Maisunefemme quivitàParis, lesnerfs prennent le dessus et...vatefaire fiche!...

Tul'as vue, Adrienne? Je l'ai rencontrée unsoir ruedelaPaix, arrêtée avecsonmari devant laboutique d'unbijoutier, leregard allumé surdes saphirs.

Unebelle personne, etfichtrement élégante,pourlafemme d'unpauvre diableenfoncé danslessous−sols dela chimie industrielle.

Iln'avait guèreréussi, Buquet? Buquet travaillait depuiscinqansdans lamaison Jacob,quivend, boulevard Magenta,desproduits etdes appareils pour la photographie.

Ils'attendait d'unjouràl'autre àêtre associé.

Sansgagner desmille etdes mille, saposition n'étaitpas mauvaise.

Ilavait del'avenir.

Unpatient, unsimple, unlaborieux.

Ilétait faitpour réussir àla longue.

Enattendant, sa femme n'étaitpasunembarras pourlui.Envraie Parisienne, ellesavait s'ingénier etelle trouvait àchaque instantdes occasions extraordinaires delinge, derobes, dedentelles, debijoux.

Elleétonnait sonmari parson artàs'habiller merveilleusement pourpresque rien,etPaul était flatté delavoir toujours sibien mise avecdesdessous élégants.

Mais ce que jete dis làest sans intérêt. Cela m'intéresse beaucoup,moncherLaboullée. En tout cas,cebavardage nouséloigne dubut.

J'étais, tulesais, lecamarade decollège dePaul Buquet. Nous nousétions connus enseconde àLouis−le−Grand, etnous n'avions pascessé denous fréquenter quandàvingt−six ans, sans position, ilépousa Adrienne paramour, et,comme ondit, avec sachemise.

Cemariage nefitpoint cesser notre intimité.

Adrienne metémoigna plutôtdelasympathie, etjedînais trèssouvent danslejeune ménage.

Jesuis, comme tu sais, lemédecin del'acteur Laroche ;je fréquente lesartistes, quime donnent detemps entemps desbillets.

Adrienne et son mari aimaient beaucoup lethéâtre.

Quandj'avaisuneloge pour lesoir, j'allais manger lasoupe chezeuxetjeles emmenais ensuiteàla Comédie−Française.

J'étaisADRIENE BUQUET 39 Crainquebille, Putois,Riquetetplusieurs autresrécitsprofitables toujourssûrdetrouver aumoment dudîner Buquet qui rentrait régulièrement àsix heures etdemie desafabrique, safemme etl'ami Géraud. Géraud, demandai−je, MarcelGéraud, quiavait unemploi dansunebanque etqui portait desibelles cravates? Lui−même, c'étaitunfamilier delamaison.

Commeilétait vieux garçon etaimable convive, ilydînait touslesjours.

Il apportait deshomards, despâtés ettoutes sortesdefriandises.

Ilétait gracieux, aimable,etparlait peu.Buquet ne pouvait sepasser delui, etnous l'emmenions authéâtre. Quel âgeavait−il? Géraud? Jene sais pas.

Entre trente etquarante ans...Unjour donc queLaroche m'avaitdonnéuneloge, j'allai, comme de coutume, ruedeGrenelle, chezlesamis Buquet.

J'étaisunpeu enretard etquand j'arrivai, ledîner étaitservi.

Paul criait lafaim ;mais Adrienne nesedécidait pasàse mettre àtable enl'absence deGéraud.

"Mesenfants, m'écriai−je, j'ai une seconde logepour leFrançais! onjoue Denise! Allons,ditBuquet, mangeons vitelasoupe ettâchons denepas manquer lepremier acte."Labonne servit.Adrienne semblaitsoucieuse etl'on voyait quelecoeur luilevait àchaque cuillerée depotage.

Buquetavalaitàgrand bruitlevermicelle dontilrattrapait avecsalangue lesfils pendus àsa moustache.

"Lesfemmes sontextraordinaires, s'écria−t−il.Figure−toi,Laboullée,qu'Adrienne estinquiète deceque Géraud n'estpasvenu dîner cesoir.

Ellesefait des idées.

Dis−lui doncquec'est absurde.

Géraudpeutavoir eudes empêchements. Il ases affaires.

Ilest garçon ;il n'a àrendre compte deson temps àpersonne.

Cequi m'étonne c'est,aucontraire, qu'il nous consacre presquetoutessessoirées.

C'estgentil àlui.

Iln'est quejuste deluilaisser unpeu deliberté.

Moi,j'aiun principe, c'estdenepas m'inquiéter deceque font mesamis.

Maislesfemmes nesont pasdemême." MmeBuquet répondit d'unevoixaltérée: "Jenesuis pastranquille, Jecrains qu'ilnesoit arrivé quelque choseàM.

Géraud.". »

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