Il s'en alla ...
Publié le 20/06/2012
Extrait du document
Le chevalier errant en quête de l'aventure merveilleuse et secourable
qui le conduira jusqu'aux plus hautes révélations, l'ermite au
désert cherchant à mériter le pardon divin et la suprême béatitude,
sont deux figures classiques des romans courtois (cf. Tristan et
Iseut, Perceval, etc.). Mais c'est une verrière de la cathédrale de
Rouen, sa ville natale, qui fournit à Flaubert le thème de La Légende
de saint Julien l'Hospitalier. Renonçant pour un temps à son roman
satirique Bouvard et Pécuchet, il suit dans ce conte son penchant
naturel vers le lyrisme et, s'appuyant sur de sérieuses recherches,
il retrace à l'instar de Voragine dans La Légende Dorée la vie édifiante
du saint.
Dans sa jeunesse Julien s'abandonnait à la volupté féroce de la
chasse et « ne se fatiguait pas de tuer «. Maudit par un grand cerf
lors d'une chasse fantastique, il tue par méprise son père et sa
mère. Renonçant à tout bonheur humain, il s'enfuit. Purifié par
la souffrance, il connaîtra le miracle de la miséricorde divine.
«
IL S'EN ALLA ...
portes, on lui criait des menaces,, on lui jetait des pierres.
Les
plus charitables posaient une· écuelle sur le bord de leur fenêtre,
puis fermaient l'auvent pour ne pas l'apercevoir.
Repoussé de
partout il évita les hommes; et il se nourrit de
racines, de plantes, de fruits perdus, et de coquillages qu'il cher
chait le long des
grèves.
Quelquefois, au tournant d'une côte, il voyait sous ses yeux
une confusion de toits pressés, avec des flèches de pierre, des
ponts, des tours, des rues noires s'entrecroisant, et d'où montait
jusqu'à lui
un bourdonnement continuel.
Le besoin de se mêler à l'existence des autres le faisait des
cendre dans
la.
ville.
Mais l'air bestial des figures, le tapage des
métiers, l'indifférence des propos glaçaient son cœur.
Les jours
de
fête, quand le bourdon des cathédrales mettait en joie dès
l'aurore le peuple entier,
il regardait les habitants sortir de leurs
maisons, puis les danses sur les places, les fontaines de cervoise
dans les carrefours, les tentures de damas devant le logis des
princes, et le soir venu, par le vitrage des rez-de-chaussée, les
longues tables de famille où des aïeux tenaient des petits enfants
sur leurs genoux; des sanglots l'étouffaient et
il s'en retournait
vers la campagne.
Il contemplait avec des élancements d·'amour les poulains
dans les herbages, les oiseaux dans leurs
·nids, les insectes sur
les fleurs;
tous, à son approche, couraient plus loin, se cachaient
effarés, s'envolaient bien vite.
Il rechercha les solitudes.
Mais le vent apportait à son oreille
comme des râles d'agonie; les larmes de la rosée tombant par
terre lui rappelaient d'autres gouttes
d'un poids plus lourd.
Le
soleil, tous les soirs, étalait du sang dans les nuages; et chaque
nuit en rêve, son parricide recommençait.
Il se fit un cilice avec des pointes de fer.
Il monta sur les deux
genoux toutes les collines ayant une chapelle à leur sommet.
Mais
l'impitoyable pensée obscurcissait la splendeur des tabernacles,
le torturait à travers les macérations de la pénitence.
Il ne se révoltait pas contre Dieu qui lui avait infligé cette
action, et pourtant se désespérait de l'avoir pu commettre.
Sa propre personne lui faisait tellement horreur qu'espérant
s'en délivrer
il l'aventura dans des périls.
Il sauva des paraly
tiques des incendies, des enfants du fond des gouffres.
L'abîme
le rejetait, les flammes l'épargnaient..
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