J. Duvignaud : Théâtre de création, théâtre de consommation
Publié le 29/03/2011
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Si nous établissons dès le début de cette étude une distinction — essentielle croyons-nous — entre le théâtre de consommation et le théâtre de création, entre le « théâtre bourgeois « comme on disait aux alentours des années cinquante et le théâtre d'invention, c'est pour marquer à la fois une limite et préciser le sens de tout ce qui va être dit ici : du théâtre de consommation courante, nous ne parlerons pas, car il répond au besoin sommaire de dédoubler la vie quotidienne et de trouver un alibi, une consolation dans la présentation de soi, un soi faux ou dérisoire, tel que le proposent les inventeurs de vaudevilles, de pièces de boulevard. Ces œuvres comblent l'attente des publics et ne les déçoivent jamais, puisqu'elles aident à les sécuriser, à les confirmer en eux-mêmes, puisqu'elles ne mettent jamais en cause la forme et la continuité de la société. Le théâtre de création est d'une autre nature. Jamais d'abord, il n'est « attendu « : personne n'attend Shakespeare, Marlowe, Strindberg, Kleist, Biichner, Beckett. Quand ces œuvres paraissent et qu'elles sont jouées (ce qui n'est pas toujours le cas), elles frappent le public en plein visage et portent contre le système social ou « culturel « une dénégation passionnée. Les grandes œuvres du théâtre sont toujours des œuvres subversives, qui mettent en cause l'ensemble des croyances, des idées, des modèles, l'image de l'homme d'une société ou d'une civilisation. Certes, avec le temps, les histoires de la littérature effacent ce conflit ou du moins feignent de l'ignorer, pressées qu'elles sont de tranquilliser le lecteur en présentant les œuvres dans la suite apaisante d'une histoire ou d'un déroulement. Mais à l'origine, toute grande œuvre, même si elle ne s'affirme pas complètement, frappe, gêne, révolte. L'échec de Phèdre n'est pas la victoire d'une cabale. C'est le témoignage d'un public qui se déclare incapable de « recevoir « une certaine quantité d'émotions inconnues suggérées par la pièce. Le silence qui entoure les premières œuvres de Kleist, de Büchner, de Lenz n'est pas seulement l'incompréhension, c'est l'incapacité (très bien perçue par Gœthe) d'admettre une autre image de l'homme que celle que propose la littérature sage et intégrée. Aujourd'hui encore certaines œuvres du passé restent provocatrices et appel lent des explications... Ce théâtre de création n'implique aucune continuité. Il n'existe pas d'histoire de la création dramatique, parce que chaque création théâtrale d'importance ne peut être comprise que d'une manière synchronique, c'est-à-dire dans l'ensemble du système présent où elle émerge et qu'elle conteste. L'histoire du théâtre ne vaut que pour la consommation banale, médiocre, parfois brillante, mais qui n'affronte aucune transgression, qui ne propose aucune anticipation sur l'expérience actuelle des hommes. Le Théâtre contemporain, culture et contre-culture, Larousse, coll. Thèmes et textes, p. 9-11.
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