Devoir de Philosophie

Jean Cayrol

Publié le 23/04/2011

Extrait du document

« Cet appareil qui « crache des images «, pour reprendre une expression que nous avions entendue en Afrique du Nord à propos du cinéma, trône dans chaque logis, omnipotent, narcotique, inviolable.    « C'est une lucarne sur le monde, sur son actualité et sur son rêve, signal d'alarme pour le plus prodigieux hold up d'images que nous pouvons connaître dans l'univers, toute la terre en boîte, pratique et bien présentée, automatique, irresponsable, sur fond musical, le libre service de l'information, panaché, décisif, et pourtant interprété, consommable entre la poire et le fromage, entre un baiser et une querelle, avec ces tableaux de chasse, ces tableaux de genre, ces tableaux vivants, ces tableaux fidèles et infidèles dont le cadre est le nôtre, à la lumière de nos lampes et de notre siècle, dans le culte des images de l'homme pris sur le vif, en flagrant délit, en pitié, à témoin.    « Par cet énorme trou de serrure, nous épions, nous jugeons, nous sommes sur les lieux du crime, dans les mauvais lieux, dans les lieux communs de nos dangers, libres, rouspéteurs ou bouleversés ; nous suivons la bête prise au piège, le soldat en plein combat, la folle et la désespérée, nous faisons partie de la meute, nous encerclons, nous poussons à bout, le regard sur la ride, sur le front moite, sur la main qui étreint, sur le premier vagissement et le dernier souffle, en gros plan, la peur, le sourire, la fuite, les larmes, le cri...    « L'espace n'existe plus, la distance si apaisante. Pékin nous appelle, Londres, Hanoï, Israël, nous ne savons où donner de notre émotion ou de nos désirs. Les images passent par rafales sur notre écran, entrecoupées par le visage intact et édénique d'une speakerine ; le monde n'est plus qu'un tourbillon, un maelström ; les nouvelles, à peine nées, sont emportées comme feuilles mortes : le fictif se mêle au réel ; c'est la foire, avec l'Industrie donnant la main à la Poésie et le Commerce embrassant sur les deux joues l'Électronique, la table ronde où l'on se met à table à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit...    « Au cœur de notre logis, le petit écran malin ne nous lâche pas. Nous devenons ces repus qui ne songent qu'à digérer les terribles épices du fait divers, qu'à faire la sieste le plus longtemps possible quand personne ne nous regarde ; la torpeur vient vite avec le dégoût, l'engourdissement par l'image dévore notre imagination... Ainsi les vieilles croyances que nous avions concernant notre éloignement des choses inaccessibles ont disparu, ce bénéfique intervalle entre nos activités publiques et nos activités privées, ce mur impalpable, magique, qui nous séparait de l'événement sans nous en retirer, qui nous conservait un no man's land, salutaire pour notre croissance et pour notre maturité, mais aussi pour nos élans et nos fureurs ; cette zone en quelque sorte démilitarisée qui nous protégeait, sans nous cacher les incursions, les rapts, les coups de main de toutes sortes.    « La télévision nous rejette dans l'anonymat des badauds, dans la clandestinité des voyeurs ; par ce créneau ouvert à volonté, notre intégrité est sans fin mise à l'épreuve ; nous regardons l'événement dans la pénombre dé notre salle de séjour, confortablement installés devant les drames qui ne nous atteignent que dans l'affolante netteté d'un instant, jusqu'alors sans visibilité ; le petit écran qui fait écran à notre sensibilité et qui rend patientes nos passions.    « Il faudra bien qu'un jour nous nous levions de table pour une grande idée ou une injustice intolérable sans vue précise de notre part, dans l'aveuglement des illusions, vraie source de notre vitalité et de notre importance. «    Jean Cayrol.    • Suivant votre préférence, résumez le texte en en respectant le mouvement ou faites-en une analyse qui, distinguant et ordonnant les thèmes, s'attache à rendre compte de leurs rapports.    Puis, après avoir choisi dans ce texte un problème qui vous semble important, vous en préciserez les données, le discuterez éventuellement, et exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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