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Jean-Louis CURTIS. La lecture et le cinéma. (Questions à la littérature)

Publié le 22/03/2011

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lecture

Certains romanciers [...] se demandent pourquoi le roman continuerait d'exister lorsque le cinéma fournit d'une façon plus efficace la plupart des émotions, des plaisirs que l'on demandait autrefois au roman. Pourquoi « décrire « une maison, un appartement, un personnage, quand l'écran nous les « montre« ? Pourquoi raconter les événements ? Le film les raconte selon une économie plus rigoureuse et plus saisissante, un rythme plus précis et plus enlevé. Pourquoi s'efforcer de plonger dans les consciences, lorsqu'un regard, un geste, une intonation, que l'on « voit «, que l'on « entend «, nous en disent plus long en trois secondes qu'une plongée verbale de vingt pages ? De même la poésie : ce n'est plus exclusivement dans les livres que les jeunes d'aujourd'hui la recherchent, c'est aussi dans les films des grands metteurs en scène. Quand ils veulent des explications sur les mécanismes de la politique, c'est encore au cinéma qu'ils les demandent. [...] Selon McLuhan1, la communauté perdue est en passe de se reconstituer; nos arrière-petits-neveux vivront, comme nos ancêtres, dans un village, mais ce sera le village planétaire, le monde. Comment, dans ce village, les arts seront-ils exercés et vécus ? Comment sera exercé et vécu ce qui, alors, aura succédé à la littérature écrite, à la littérature de la « galaxie Gutenberg « ? Nous ne le savons pas, nous ne pouvons même pas l'imaginer ; mais le cinéma, justement, nous donne déjà une petite idée de ce que pourrait être, dans l'avenir, l'unité, la communauté du public. Les très bons films (disons, pour donner un exemple classique, ceux de Chaplin) s'adressent, en effet, à tout le monde ; ils suscitent une adhésion immédiate sur tous les points du globe et à tous les niveaux de la société ; ils sont un lieu de rencontre, de communion — à travers eux, tous les hommes se reconnaissent. Quel livre, aujourd'hui, peut y prétendre ? Certes, l'audience de quelques grands auteurs est vaste : Balzac, Tolstoï, Dickens ont des lecteurs dans tous les pays et dans les classes sociales où l'on a appris à lire; et Shakespeare peut être joué n'importe où. Mais un livre, aujourd'hui, même si sa diffusion dépasse les frontières nationales, ne s'adresse guère qu'à une certaine classe de lecteurs, non à plusieurs, non à toutes. La littérature écrite ne pourra plus concurrencer, sur ce terrain en tout cas, les formes de fiction ou de poésie qui sont véhiculées par l'image. Il est vrai que la lecture est une opération tout autre que la vision ou l'audition d'images, mobilisant d'autres facultés, dispensant un autre genre de plaisir. Un poème lu est un poème que nous pouvons nous dire à nous-même, que nous retrouvons en nous à volonté, dont la résonance à jamais nous hante. La vraie lecture est riche de relectures virtuelles, dont chacune nous fera découvrir d'autres significations, d'autres perspectives, d'autres beautés. Une image visuelle ou sonore reste égale à elle-même. Une phrase, une page se modifient, s'approfondissent, s'éclairent, changent parfois de sens. Le langage des mots et celui des images demeurent distincts et ne peuvent encore être tout à fait substitués l'un à l'autre. Mais surtout, si l'image s'adresse d'abord aux yeux ou aux oreilles et à travers eux à la sensibilité et à l'intelligence, c'est d'abord à l'intelligence que s'adresse l'écriture, et ensuite à l'imagination visuelle et auditive et à la sensibilité. Les voies d'accès sont différentes ; et ce qui est atteint, irradié, vivifié est également différent. Nous sommes nourris par les livres et ce sont eux qui nous habitent le plus longtemps. Peut-être n'est-il donc pas utile, pour le moment, de se préoccuper de l'avenir de la lecture, ni de la façon dont vivront nos arrière-petits-neveux. Se nourriront-ils de pilules ? Dormiront-ils sur des coussins d'air ? C'est possible mais, pour le moment, nous continuons à nous procurer des tables et des lits. Se feront-ils leur propre cinéma, seront-ils, à volonté, créateurs de sensations et d'images ? C'est également possible mais, pour le moment, nous continuons à lire des livres. Les ébénistes et les écrivains ont encore quelques jours devant eux. On connaît moins bien l'usage des livres que celui des lits et des tables. Il se pourrait qu'ils servissent tout d'abord à rendre heureux — à rendre heureux ceux qui les font et ceux qui les lisent. En effet, même quand ils sont conçus dans l'anxiété, nourris des tourments de leurs auteurs, arrosés de leurs larmes, même et surtout quand ils sont écrits dans les fers, les livres, toujours, sont les enfants de la liberté et du bonheur ; et c'est un peu cela qu'ils dispensent, s'ils sont de bons livres.

Dans une première partie, vous ferez un résumé ou une analyse de ce texte en indiquant, au début de la copie, le type de contraction choisi ; puis vous dégagerez du texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données, et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur cette question ; cette seconde partie sera précédée du titre « discussion «.   

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