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Jean Onimus, Expérience de la poésie

Publié le 26/04/2011

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Nous pensons qu'il existe, en dehors de toute production littéraire, un état de poésie qui peut se définir comme une pénétration dans les profondeurs de l'existence. Ce peut être, par exemple, la brusque prise de conscience de l'instant vécu dans sa gratuité, sa singularité, sa merveille. Le regard habitué, hébété, s'avive, la conscience s'ouvre à sa propre existence comme une plante à la lumière : il suffit d'une métamorphose, d'une conversion intime qui peut être fugitive, improductive, mais qui fait de to^it homme potentiellement un poète. Du reste les poèmes valables de notre temps visent beaucoup moins à être des œuvres d'art que des fragments d'existence « arrachés à la gueule du néant « et portés par l'art à une sorte d'incandescence. Dans tous les cas la poésie est affaire de vitalité : présence (à soi, aux autres, au monde), présence pénétrante, qui brise les accoutumances et introduit, jusque dans les idéologies les plus avancées, cette fièvre qui empêche les idées de se reposer en systèmes. « L'amour est son foyer, l'insoumission sa loi, et son lieu est partout dans l'anticipation « : en ces termes la définissait Saint-John Perse lors de la réception de son prix Nobel. Il est très facile de nos jours de dévaloriser cette expérience (...).

On dira par exemple que « l'insoumission « poétique est un alibi, une trêve du dimanche, après quoi, la fête achevée sans risques, une conscience pusillanime et non engagée retrouve sa sérénité (ou sa torpeur) : invention « bourgeoise « pour occulter les vrais problèmes... La poésie serait-elle un opium? En réalité la récréation poétique est dialectiquement liée, inséparablement unie à l'action révolutionnaire. C'est dans son espace que s'exaltent les ferveurs, les espérances, les révoltes et que, parfois, mûrissent les utopies. N'est-ce pas après l'ère des Beatnicks (1), après le hurlement de Ginsberg (2), la poésie qui, ces dernières années, a réussi à ébranler la société américaine en suscitant une « nouvelle conscience « (ou mauvaise conscience), en attirant l'attention sur la dégradation de la vie citadine et l'absurdité massive de la société dite de consommation? Ce que l'on appelle évasion, alibi, manque de sérieux, dispersion de force, etc., est, en fait, l'expression la plus crue d'un besoin fondamental, celui d'un mode de vie intégrale, de la « vraie vie « (...) Parce que la poésie est épanouissante, parce qu'elle avive l'attention, débloque l'imagination, ouvre la sensibilité et rend créatif, on tend aujourd'hui à lui redonner sa place dans l'éducation. L'apprentissage intensif des mécanismes logiques (dont on ne prétend pas discuter la nécessité) risque, lorsque l'on en abuse, de briser l'équilibre d'un esprit vivant. A force de manier des abstractions, l'enfant perd contact avec le concret, c'est-à-dire avec les choses rencontrées mais aussi avec son être intime et même avec le champ du possible. Il ne dispose plus du langage nécessaire et, faute de pouvoir s'exprimer, il perd le goût du regard intérieur comme du regard critique ou du regard contemplateur. Surtout, les disciplines qu'on est amené à lui imposer lui font perdre confiance dans les images dont il jouait avec tant de spontanéité et de plaisir à l'école maternelle. La pudeur d'une imagination vierge est étrangement farouche : très tôt l'enfant n'ose plus prendre de risques et s'installe commodément dans les stéréotypes dont on l'environne... Il se surveille pour complaire; son imagination perd son mordant et ce qui lui reste de fantaisie se détériore en caricature. Aliénation sournoise et pénétrante, qui atteint peu à peu des zones essentielles. Que l'on ne s'étonne pas si, à l'âge dionysiaque de l'adolescence, le carcan explose; l'exigence de poésie sous son aspect insurrectionnel fait irruption et occupe tout l'espace que l'éducation avait masqué et laissé en friche. Consciente de cette lacune, la pédagogie contemporaine s'efforce de conserver chez l'enfant le don de création imaginaire qui lui est si naturel; elle cherche à lui procurer des instruments (verbaux, plastiques, picturaux), qui lui permettront de résister aux stéréotypes dont les mass média nous saturent, de projeter au-dehors l'univers obscur de désirs et d'angoisses qu'il porte en lui et, par ce moyen, d'en prendre conscience afin de mieux le développer et, par voie de conséquence, le maîtriser. L'éducation qui fait sa place à la lecture et à la poésie est humanisante, c'est-à-dire qu'elle rend les hommes plus humains. Jean Onimus, Expérience de la poésie (1974). Selon votre préférence, résumez ou analysez ce texte. Vous en dégagerez ensuite un problème auquel vous attachez un intérêt particulier : vous en préciserez les données, vous les discuterez s'il y a lieu et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question. (1) Beatnicks : poètes révoltés du milieu du XXe siècle, aux États-Unis (2) Allen Ginsberg : poète « beatnick «. né en 1926.

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