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Joseph Leif, Pièges et mystifications de la parole.

Publié le 27/04/2011

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C'est parce que le verbe est l'expression de la réalité humaine que la langue est dite la meilleure et la pire des choses. Pourtant, en soi et par essence, cette réalité n'est ni bonne ni mauvaise, ni vraie ni fausse. Comme il en est de la nature humaine elle-même, dans ses manifestations originelles. D'abord et profondément, parce que le langage est une fonction de l'homme qui parle comme il respire. Une fonction vitale, parce que la parole répond à un besoin qui est nécessité, pour les êtres humains, de communiquer entre eux, pour exister et subsister. Et c'est dans la communication que l'humain témoigne à la fois de sa spécificité et de sa valeur : de sa spécificité, parce que l'homme seul use de la parole ; de sa valeur, parce que le verbe est révélateur de son intelligence ; et parce qu'il comporte pouvoir et puissance. Ainsi, dans la communication, la parole n'a d'abord de sens que par la compréhension réciproque, réversible, qu'elle établit entre les hommes ; par l'échange d'idées — un rapport que crée l'intelligence. Les effets de cette compréhension sont manifestation de l'efficience du verbe, laquelle s'éprouve dans les conduites et l'action, par l'exercice du pouvoir et de la puissance. Mais, précisément, c'est aussi par les voies de l'intelligence et du pouvoir que le verbe s'ouvre à la perversion, mystifie, pose ses pièges et trompe. Car le langage contient ce qu'il dit et ce qu'il ne dit pas, pour différentes raisons, et de diverses façons : parfois inconsciemment, quand opèrent, sous-jacents, les refoulements et les ressentiments, par où se montre la bête davantage que l'homme ; souvent, aussi, à cause de l'incompréhension, témoin de la bêtise, de l'étroitesse sinon de la médiocrité de l'esprit ; enfin, par suite d'une intention dissimulée mais voulue, qui mystifie, trompe et piège pour des visées précises. Il s'agit de faire croire ce qu'on ne croit pas soi-même, de déguiser la vérité sous les différentes formes du mensonge, en tout cas d'user de simulation, suggestion, sophisme, dialectique formelle, falsification, comédie, prière ou incantation. Ceci afin d'infléchir les idées, de susciter les croyances, de diriger les sentiments, les activités et les conduites. (...) Ces pièges et ces tromperies, aujourd'hui, se développent. Leur efficacité est considérablement renforcée par les médias. Le temps est, en effet, révolu où les puissants n'avaient ni à expliquer ni à justifier leur pouvoir, leurs décisions et leurs actions, par la parole ou le discours. Temps où la puissance était d'autant plus crainte et respectée qu'elle était dissimulée au commun des mortels qui considérait humblement que « les voies du seigneur étaient impénétrables «. Temps où la bêtise comme l'intelligence ne se distinguaient et ne se percevaient concrètement que dans les cercles réduits des relations personnelles et des activités journalières. Maintenant, l'homme gouverné — sous quelque forme que ce soit — attend et exige que s'explique et se justifie celui qui gouverne. Dans cette conjoncture, les détenteurs du pouvoir et de l'autorité n'ont jamais couru autant de risques que ceux auxquels les exposent les techniques modernes. Car elles font la ruine des hommes publics dont les discours à pièges tombent sous les critiques des auditeurs attentifs aux contenus du langage, aux sens de la parole, et aux rapports du verbe à l'action. Ceux-ci finissent par percevoir aussi la faiblesse ou la médiocrité, en dépit des mises en scène qui ne révèlent souvent que le vide ou le non-sens de la parole. Cependant, tout compte fait, ce sont encore les masses qui sont le plus souvent piégées, trompées, mystifiées, par les discours dont on ne cesse de les combler. D'autant plus que ceux-ci se reproduisent indéfiniment, et que les redondances endorment l'attention. Car, aujourd'hui, le verbe n'est plus seulement au commencement (1). Il se manifeste constamment et partout, et ce grâce aux médias qui, de plus, le concrétisent par l'image ; cela, certes, peut en dévoiler les artifices, mais aussi et surtout multiplie les pièges et les mystifications. Joseph Leif, Pièges et mystifications de la parole. Vous ferez d'abord de ce texte, à votre gré, un résumé ou une analyse. Dans une seconde partie, vous dégagerez du texte un problème qui offre une réelle consistance et qui vous aura intéressé. Vous en préciserez les données et vous exposerez, en le justifiant, votre point de vue.

(1) Allusion ironique au début de l'Évangile selon saint Jean : « Au commencement était le Verbe «, c'est-à-dire la parole créatrice de Dieu.

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