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ARTAUD Antoine Marie-Joseph, dit Antonin : sa vie et son oeuvre - Le Théâtre et son double

Publié le 16/11/2018

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artaud

ARTAUD Antoine Marie-Joseph, dit Antonin (1896-1948). Indissociables, l’œuvre et la vie d’Antonin Artaud se situent à la fin d’un romantisme exacerbé, où la folie côtoie le génie, à moins qu’elle n’en passe pour synonyme. Rattacher le nom d’Artaud à ceux de Nerval ou de Poe, inscrire son histoire singulière dans une anthologie du délire métaphysique ne diminue en rien les souffrances qu’il a endurées ni l’authenticité d’un langage qu’il a voulu maîtriser dans la mesure même où il lui échappait : « Je souffre d’une effroyable maladie de l’esprit. Ma pensée m’abandonne à tous les degrés. Depuis le fait simple de la pensée jusqu’au fait extérieur de sa matérialisation dans les mots. Mots, formes de phrase, directions intérieures de la pensée, réactions simples de l’esprit, je suis à la poursuite constante de mon être intellectuel. Lors donc que je peux saisir une forme, si imparfaite soit-elle, je la fixe dans la crainte de perdre toute la pensée. Je suis au-dessous de moi-même, je le sais, j’en souffre, mais j’y consens dans l'espoir de ne pas mourir tout à fait ».

 

Le théâtre comme thérapeutique

 

C’est avec cette lettre à Jacques Rivière, alors directeur de la Nouvelle Revue française, qu’en 1923 commence, paradoxalement, l’œuvre d'Artaud. Cette correspondance s’était engagée après que Jacques Rivière avait refusé des poèmes qu’Artaud lui avait adressés. Poèmes bien moins révélateurs, effectivement, que ces violents aveux qui, tout au long d’une vie tragique, vont constituer, grâce à une abondante correspondance, la trame visible d'une œuvre par ailleurs fragmentaire et déchirée. Sur la fin de sa vie, appelé à préfacer ses Oeuvres complètes, Artaud écrivait :

 

Moi, poète j'entends des voix qui ne sont plus du monde des idées

 

Car là où je suis, il n'y a plus à penser.

 

Ces rivages extrêmes, dilués dans la noche oscura d’une métaphysique où la subjectivité le dispute au prophétisme millénariste, Artaud y a été conduit inexorablement dès sa jeunesse. Ce fils d’un capitaine au long cours marseillais, tôt révolté contre son père, est soigné dès l’adolescence pour « neurasthénie ». Envoyé dans divers établissements de cure, il en vient à vivre à Paris chez un psychiatre qui ne le détourne pas du seul exutoire qu’Artaud ait d’abord trouvé : le théâtre. Très beau, le visage passionné, il est d’abord engagé chez Lugné-Poe — le découvreur de Strindberg et de Jarry — puis participe aux premières recherches chez Dullin et à la création de l’Atelier (1922). Il y rencontre l’actrice Genica Athanasiou, le seul grand amour de sa vie. Comédien excessif, trouvant Dullin trop timide, il ne tardera pas à rompre avec lui pour fonder, avec Roger Vitrac et Robert Aron, le théâtre Alfred-Jarry, où il créera, notamment, et sans l’autorisation de l’auteur, un acte de Partage de midi, de Paul Claudel — « un infâme traître » —, et le Songe, de Strindberg, provoquant la colère des surréalistes, qui accusaient Artaud d’avoir fait appel à l’ambassade de Suède pour monter le spectacle.

 

Le théâtre comme totalité

 

C’est qu’entre-temps Antonin Artaud a publié textes et poèmes au sein du monde clos et explosif de l’avant- garde parisienne : Tric-trac du ciel (1922), le Pèse-nerfs et l'Ombilic des limbes (1925). Cette même année, un an après la publication du Manifeste surréaliste, André Breton lui confie la rédaction du troisième numéro de la Révolution surréaliste, où il rédige quatre textes dont les titres cernent curieusement l’univers dans lequel il va se débattre : « Lettre aux recteurs des universités européennes » (« Dans la citerne étroite que vous appelez “Pensée” les rayons spirituels pourrissent comme de la paille »); « Adresse au pape » (« Pape confiné dans le monde, ni la terre ni Dieu ne parlent de toi »); « Adresse au dalaï-lama; lettre aux Écoles du Bouddha »; « Lettre aux médecins-chefs des asiles de fous » (« Nous n’admettons pas qu’on entrave le libre développement d’un délire, aussi légitime, aussi logique que toute autre succession d’idées ou d’actes humains »).

Exclu du groupe surréaliste au moment où Breton et ses amis s’orientent vers la politique, Artaud, que tout rejette vers la solitude, n’en poursuivra pas moins une œuvre littéraire : l'Art et la Mort (1929); un roman pseudo-historique : Héliogabale ou l'Anarchiste couronné (1934); les Nouvelles Révélations de l'être ( 1937). L’année suivante paraîtront divers textes et conférences réunis sous le titre le Théâtre et son double (1938), son œuvre la plus connue.

Livre singulier qui s’ouvre sur une vaste et précise description de la peste, inspirée par la dernière épidémie qu’ait connue l’Occident, en 1720, à Marseille, ville natale d’Artaud, avec cette conclusion : « Si le théâtre essentiel est comme la peste, ce n’est pas parce qu’il est contagieux, mais parce que comme la peste il est la révélation, la mise en avant, la poussée vers l’extérieur d’un fond de cruauté latente par lequel se localisent sur un individu ou sur un peuple toutes les possibilités perverses de l’esprit »... Après la peste, « le Théâtre et la métaphysique », appel forcené d’un théâtre du geste, au-delà des mots, qui dégagerait les grands mythes; l’exaltation du théâtre oriental, vu surtout à travers le « théâtre balinais », qu’Artaud a découvert à l’Exposition coloniale de 1931; et enfin « le Théâtre de la cruauté », où l’on trouve la nomenclature des spectacles que tout « théâtre essentiel » devrait défendre Arden de Faversham (œuvre anonyme élisabéthaine); la véritable histoire de Barbe-Bleue; la prise de Jérusalem; des récits bibliques; les contes du marquis de Sade; le Woyzeck de Büchner...

Le Théâtre et son double , publié en février 1938, réunit des textes écrits par Artaud depuis 1932. Après une préface où il s'en prend à l'idée de culture, Artaud compare le théâtre à la peste, qui, comme ce fléau, « dénonce des conflits, dégage des forces, déclenche des possibilités ». Prenant ensuite exemple du tableau de Lucas de Leyde, Loth et ses filles, il réclame un théâtre qui ne serait plus seulement parole, mais « langage physique, matériel et solide ». La mise en scène, devenue métaphysique, devrait être capable d'organiser tout un monde souterrain d'analogies qui passeraient par les intonations, le geste et tout élément susceptible d'engendrer la notion de danger de rupture, fût-ce par le rire (l'exemple des Marx Brothers). Après la métaphysique, l'alchimie — tout comme le théâtre, art virtuel — nous conduisant à un « théâtre primitif » qu'illustre parfaitement le théâtre balinais qui « remet le théâtre à son plan de création autonome et pure, sous l'angle de l'hallucination et de la peur ». Les exemples dont se sert Artaud visent, en fait, à détruire la psychologie, qui, selon lui, est le principal ressort du théâtre occidental. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de lui voir intituler un des chapitres suivants : « En finir avec les chefs-d'œuvre », c'est-à-dire en finir avec le respect passéiste des œuvres littéraires pour aboutir à ce qu’il nomme « le théâtre de la cruauté », favorisant une « action immédiate et violente » où les spectateurs, entourant le spectacle, seraient directement concernés. Artaud précise les techniques — musique, lumière, costumes, etc. — que nécessiterait un tel théâtre, ainsi que les textes — n'appartenant pas forcément à la littérature dramatique — à exploiter. Lettres et

artaud

« manifestes précisent.

non sans répétition.

les exigences de ce « double » secret qu'un nouveau théâtre.

ayant force de vie et de mort.

pourrait mettre au jour.

A ce programme idéal, auquel il faut ajouter l'exem­ ple à suivre des Marx Brothers et, à titre d'illustration, le premier spectacle de Jean-Louis Barrault, Autour d'une mère (1935), nombre d'hommes de théâtre se référeront après la mort d'Artaud -de Peter Brook à Jerzy Gro­ towski, du Living Theater à Andreï Serban -, comme antidote au brechtisme des années 50.

De New York à la Pologne, le Théâtre et son double servira de bible à toute une génération qui n'avait pas connu Artaud.

Encore ces pseudo-disciples n'ont-ils pu s'inspirer d'Artaud que de loin.

Du Théâtre et son double et, plus particulièrement, des chapitres consacrés au «Théâtre de la cruauté», ils auront retenu surtout que le texte n'est pas intangible, que les œuvres du passé ne peuvent être transmises qu'avec des moyens actuels et pour un public d'à présent.

Tout juste Grotowski, bien polonais en cela, a-t-il voulu que l'acteur devienne un saint, là où Artaud parlait de cruauté envers soi-même comme envers le public.

«Je propose donc un théâtre, écrivait-il, où des images physiques violentes broient et hypnotisent la sen­ sibilité du spectateur pris dans le théâtre comme dans un tourbillon de forces supérieures ».

Et plus loin : « On ne peut continuer à prostituer 1' idée de théâtre, qui ne vaut que par une liaison magique, atroce, avec la réalité et avec le danger>>.

Exemples majeurs? Un tableau de Lucas de Leyde, Loth et ses filles, les peintures de GrU­ newald ou de Bosch, certains drames élisabéthains où s'amoncellent les cadavres, des événements historiques sanglants (hormis la peste, la sauvage «conquête du Mexique>>, les tremblements de terre, etc.) et, dans la réalisation théâtrale même, les cérémonies balinaises, «ce théâtre de quintessence où les choses font d'étranges volte-face avant de rentrer dans l'abstraction >>.

Vers d'autres enfers Ces exigences vitales, élaborées au cours des années, trouveront forme de livre en 1938.

Mais c'est déjà en 1937 que se produit la terrible rupture que laissait pré­ voir une existence douloureuse, marquée par les prémi­ ces d'une maladie mentale mal diagnostiquée (Artaud a longtemps été soigné pour une syphilis prétendument héréditaire), dont il calme les souffrances par l'abus de toutes sortes de drogues, dont l'opium et le laudanum, qu'il consomme à des doses de plus en plus massives.

Jusqu'à cette date, Antonin Artaud a mené une vie prodigieusement active pour un homme malade jus­ qu'aux tréfonds de son être.

Nous l'avons vu écrivain, acteur de théâtre, directeur de troupe.

Il écrit des chroni­ ques dans la Nouvelle Revue française.

Grâce à un cou­ sin «producteur>> , il sera également acteur de cinéma.

Entre 1924 et 1935, la plupart du temps pour des raisons alimentaires, il a tourné dans près de vingt films, nous laissant les images du Moine de la Passion de Jeanne d'Arc, de Carl Dreyer, et de Marat du Napoléon d'Abel Gance.

Lui-même, d'ailleurs, écrira un film, la Coquille et le Clergyman, réalisé par Germaine Dulac en 1928 - qu'Artaud et ses amis iront siffler quand il sera pré­ senté ...

N'oublions pas non plus, en 1935, ces Cenci, inspirés de Shelley et de Stendhal, qui, dans des décors de Balthus et avec Artaud lui-même pour interprète, figu­ rent parmi les événements parisiens de 1' avant-guerre.

Ces activités, plus consenties que voulues, ne lui suf­ fisent pas.

En 1936, il s'évade.

Il part pour le Mexique, où il pense trouver « liée au sol, perdue dans les coulées de lave volcanique, vibrante dans le sang indien, la réa­ lité magique d'une culture dont il faudrait peu de chose, sans doute, pour rallumer les feux >> (les Tarahumaras).

Fêté à Mexico, où il publie nombre d'articles, Artaud part dans la sierra Madre pour « étudier>) la tribu des Tarahumaras, qui se livrent à certains rites et danses sous l'effet du peyotl, qui, dit-il, devrait lui permettre de « sortir d'un monde faux».

C'est bien plus tard, entre 1945 et 1947, que paraîtront les principaux textes qui composeront, en 1955, le recueil intitulé les Tarahumaras.

Mais la célébration du « rite sombre >> de « la nuit qui marche sur la nuit » date de cette année 1936 où Artaud, perdu de dysenterie, voit chez ces Indiens le dépassement qu'il a cherché jusque-là.

La découverte des drogues hallucinogènes est P.OUr lui liée à une approche métaphysique enfin vécue.

Écrits beaucoup plus tard, ces beaux textes ont moins valeur ethnographique que, pour employer un autre titre d'Artaud, de « nouvelles révélations de 1 'être».

Aussi verra-t-on entre le premier texte, écrit en 1936, « la Mon­ tagne des signes », et les derniers, de 194 7, une constance d'inspiration qui prouve assez que la pensée «éclatée>> d'Artaud veut s'en tenir à une seule vérité; dont 1' autre versant serait constitué par le Théâtre et son double, qu'il préface à son retour du Mexique, écrivant : « Le plus urgent ne me parait pas tant de défendre une culture dont l'existence n'a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d'avoir faim que d'extraire de ce qu'on appelle la culture des idées, dont la force vivante est identique à celle de la faim >>.

Les Tarahumaras.

-Les textes constituant le volumo paru en 1955 sous ce titre ont été écrits entre 1936 et 1948.

Le premier d'entre eux.

"la Montagne des signes"· a été rédigé alors qu'Artaud était encore au Mexique.

Sa "mis­ sion " chez les Indiens de la Sierra Tarahumara avait duré d'août à octobre 1936.11 ne s'y était certes pas rendu en pur ethnologue mais en «pèlerin •· Aussi.

dès ces premières pages.

voit-on Artaud confronter son moi profond.

to ur à tour nié et exal té.

à un paysage • qui souffle une pensée métaphysique " et à des mythologies plus anciennes.

dit-il, que « le Déluge.

la légende du Graal ou la Secte des Rose· croix"· Plus loin.

il retrouvera chez ces Indiens >.

D'Irlande, les lettres à ses amis -dont Paulhan et Breton -mêlent aux demandes d'argent des délires qui auraient bien plus inquiété s'ils étaient venus d'un autre que lui.

Un mois après son arrivée, à la suite d'un épisode obscur -scandale à la porte d'un couvent? -, il est arrêté par la police de Dublin.

Réexpédié en France, il est remis à la police du Havre, où on lui passe la camisole de force.

Sur ordre du préfet, il est interné à l'asile psychiatrique ,de Rouen, puis à Paris, à Sainte-Anne, enfin à Ville-Evrard, d'où il sortira en 1943 pour l'asile psychiatrique de Rodez.

Abandonné de tous, sinon de sa mère -qu'il refuse de reconnaître-, ne subissant aucun traitement médical digne de ce nom, il connaîtra pendant six ans l'abjection des asiles d'aliénés.

Après la débâcle de 1940, la situa-. »

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