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Keraban Le Tetu, Vol.

Publié le 12/04/2014

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Keraban Le Tetu, Vol. II C'etait le seigneur Keraban. Il etait six heures du soir, et depuis le minuit de la veille,--instant precis ou il avait ete rendu a la liberte en dehors du territoire russe,--le seigneur Keraban ne decolerait pas. Une assez pauvre cabane, batie au flanc de la route, miserablement habitee, mal couverte, mal close, encore plus mal fournie de vivres, lui avait servi d'abri ou plutot de refuge. Une demi-verste avant d'y arriver, Ahmet et Van Mitten, ayant apercu, l'un son oncle, l'autre son ami, avaient presse leurs chevaux, et ils mirent pied a terre a quelques pas de lui. Le seigneur Keraban, allant, venant, gesticulant, se parlant a lui-meme ou plutot se disputant avec lui-meme, puisque personne n'etait la pour lui tenir tete, ne semblait pas avoir apercu ses compagnons. "Mon oncle! s'ecria Ahmet en lui tendant les bras, pendant que Nizib et Bruno gardaient son cheval et celui du Hollandais, mon oncle! --Mon ami!" ajouta Van Mitten. Keraban leur saisit la main a tous deux, et montrant les Cosaques, qui se promenaient sur la lisiere de la route: "En chemin de fer! s'ecria-t-il. Ces miserables m'ont force a monter en chemin de fer! ... Moi! ... moi!" Bien evidemment, d'avoir ete reduit a ce mode de locomotion, indigne d'un vrai Turc, c'etait ce qui excitait chez le seigneur Keraban la plus violente irritation! Non! il ne pouvait digerer cela! Sa rencontre avec le seigneur Saffar, sa querelle avec cet insolent personnage et ce qui en etait suivi, le bris de sa chaise de poste, l'embarras ou il allait se trouver pour continuer son voyage, il oubliait tout devant cette enormite: avoir ete en chemin de fer! Lui, un vieux croyant! "Oui! c'est indigne! repondit Ahmet, qui pensa que c'etait ou jamais le cas de ne pas contrarier son oncle. --Oui, indigne! ajouta Van Mitten, mais, apres tout, ami Keraban, il ne vous est rien arrive de grave.... --Ah! prenez garde a vos paroles, monsieur Van Mitten! s'ecria Keraban. Rien de grave, dites-vous?" Un signe d'Ahmet au Hollandais lui indiqua qu'il faisait fausse route. Son vieil ami venait de le traiter de: "Monsieur Van Mitten" et continuait de l'interpeller de la sorte: "Me direz-vous ce que vous entendez par ces inqualifiables paroles: rien de grave? --Ami Keraban, j'entends qu'aucun de ces accidents habituels aux chemins de fer, ni deraillement, ni tamponnement, ni collision.... --Monsieur Van Mitten, mieux vaudrait avoir deraille! s'ecria Keraban. Oui! par Allah! mieux vaudrait avoir deraille, avoir perdu bras, jambes et tete, entendez-vous, que de survivre a pareille honte! --Croyez bien, ami Keraban! ... reprit Van Mitten, qui ne savait comment pallier ses imprudentes paroles. --Il ne s'agit pas de ce que je puis croire! repondit Keraban en marchant sur le Hollandais, mais de ce que vous croyez! ... Il s'agit de la facon dont vous envisagez ce qui vient d'arriver a l'homme qui, depuis trente ans, se croyait votre ami." Ahmet voulut detourner une conversation dont le plus clair resultat eut ete d'empirer les choses. I. DANS LEQUEL ON RETROUVE LE SEIGNEUR KERABAN, FURIEUX D'AVOIR VOYAGE EN CHEMIN D 7 Keraban Le Tetu, Vol. II "Mon oncle, dit-il, je crois pouvoir l'affirmer, vous avez mal compris monsieur Van Mitten.... --Vraiment! --Ou plutot monsieur Van Mitten s'est mal exprime! Tout comme moi, il ressent une indignation profonde pour le traitement que ces maudits Cosaques vous ont inflige!" Heureusement, tout cela etait dit en turc, et les "maudits Cosaques" n'y pouvaient rien comprendre. "Mais, en somme, mon oncle, c'est a un autre qu'il faut faire remonter la cause de tout cela! C'est un autre qui est responsable de ce qui vous est arrive! C'est l'impudent personnage qui a fait obstacle a votre passage au railway de Poti! C'est ce Saffar!... --Oui! ce Saffar! s'ecria Keraban, tres opportunement lance par son neveu sur cette nouvelle piste. --Mille fois oui, ce Saffar! se hata d'ajouter Van Mitten. C'est la ce que je voulais dire, ami Keraban! --L'infame Saffar! dit Keraban. --L'infame Saffar!" repeta Van Mitten en se mettant au diapason de son interlocuteur. Il aurait meme voulu employer un qualificatif plus energique encore, mais il n'en trouva pas. "Si nous le rencontrons jamais! ... dit Ahmet. --Et ne pouvoir retourner a Poti! s'ecria Keraban, pour lui faire payer son insolence, le provoquer, lui arracher l'ame du corps, le livrer a la main du bourreau!... --Le faire empaler!...." crut devoir ajouter Van Mitten, qui se faisait feroce pour reconquerir une amitie compromise. Et cette proposition, si bien turque, on en conviendra, lui valut un serrement de main de son ami Keraban. "Mon oncle, dit alors Ahmet, il serait inutile, en ce moment, de se mettre a la recherche de ce Saffar! --Et pourquoi, mon neveu? --Ce personnage n'est plus a Poti, reprit Ahmet, Quand nous y sommes arrives, il venait de s'embarquer sur le paquebot qui fait le service du littoral de l'Asie Mineure. --Le littoral de l'Asie Mineure! s'ecria Keraban, Mais notre itineraire ne suit-il pas ce littoral? --En effet, mon oncle! --Eh bien! si l'infame Saffar, repondit Keraban, se rencontre sur mon chemin, Vallah-billah tielah! Malheur a lui!" Apres avoir prononce cette formule qui est le "serment de Dieu", le seigneur Keraban ne pouvait rien dire de plus terrible: il se tut. I. DANS LEQUEL ON RETROUVE LE SEIGNEUR KERABAN, FURIEUX D'AVOIR VOYAGE EN CHEMIN D 8

« “Mon oncle, dit-il, je crois pouvoir l'affirmer, vous avez mal compris monsieur Van Mitten.... —Vraiment! —Ou plutot monsieur Van Mitten s'est mal exprime! Tout comme moi, il ressent une indignation profonde pour le traitement que ces maudits Cosaques vous ont inflige!” Heureusement, tout cela etait dit en turc, et les “maudits Cosaques" n'y pouvaient rien comprendre. “Mais, en somme, mon oncle, c'est a un autre qu'il faut faire remonter la cause de tout cela! C'est un autre qui est responsable de ce qui vous est arrive! C'est l'impudent personnage qui a fait obstacle a votre passage au railway de Poti! C'est ce Saffar!... —Oui! ce Saffar! s'ecria Keraban, tres opportunement lance par son neveu sur cette nouvelle piste. —Mille fois oui, ce Saffar! se hata d'ajouter Van Mitten.

C'est la ce que je voulais dire, ami Keraban! —L'infame Saffar! dit Keraban. —L'infame Saffar!” repeta Van Mitten en se mettant au diapason de son interlocuteur. Il aurait meme voulu employer un qualificatif plus energique encore, mais il n'en trouva pas. “Si nous le rencontrons jamais! ...

dit Ahmet. —Et ne pouvoir retourner a Poti! s'ecria Keraban, pour lui faire payer son insolence, le provoquer, lui arracher l'ame du corps, le livrer a la main du bourreau!... —Le faire empaler!....” crut devoir ajouter Van Mitten, qui se faisait feroce pour reconquerir une amitie compromise. Et cette proposition, si bien turque, on en conviendra, lui valut un serrement de main de son ami Keraban. “Mon oncle, dit alors Ahmet, il serait inutile, en ce moment, de se mettre a la recherche de ce Saffar! —Et pourquoi, mon neveu? —Ce personnage n'est plus a Poti, reprit Ahmet, Quand nous y sommes arrives, il venait de s'embarquer sur le paquebot qui fait le service du littoral de l'Asie Mineure. —Le littoral de l'Asie Mineure! s'ecria Keraban, Mais notre itineraire ne suit-il pas ce littoral? —En effet, mon oncle! —Eh bien! si l'infame Saffar, repondit Keraban, se rencontre sur mon chemin, Vallah-billah tielah! Malheur a lui!” Apres avoir prononce cette formule qui est le “serment de Dieu", le seigneur Keraban ne pouvait rien dire de plus terrible: il se tut.

Keraban Le Tetu, Vol.

II I.

DANS LEQUEL ON RETROUVE LE SEIGNEUR KERABAN, FURIEUX D'AVOIR VOYAGE EN CHEMIN DE FER.

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