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Keraban Le Tetu, Vol.

Publié le 12/04/2014

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Keraban Le Tetu, Vol. II Mossoul et de Chehrezour. Un instant, seulement, Bruno put se glisser jusqu'a lui et repeter d'un voix sinistre: "Prenez garde, mon maitre, prenez garde! Vous risquez gros jeu en tout ceci! --Eh! puis-je faire autrement, Bruno? repondit Van Mitten d'un ton resigne. En tout cas, si c'est une sottise, elle tire mes amis d'embarras, et les suites n'en seront point graves! --Hum! fit Bruno en hochant la tete, se marier, mon maitre, c'est se marier, et...." Et, comme, sur ce mot, on appela le Hollandais, nul ne saura jamais de quelle facon le fidele serviteur aurait acheve cette phrase veritablement comminatoire! Il etait midi, au moment ou le seigneur Yanar et autres Kurdes de grande mine vinrent chercher le futur qu'ils ne devaient plus quitter jusqu'a la fin de la ceremonie. Et alors, ce noeud des fiancailles fut noue en grand appareil. Pendant cette operation, il n'y eut pas meme a critiquer la tenue des deux conjoints, Van Mitten ne laissant rien paraitre d'une certaine inquietude qui le dominait, la noble Saraboul fiere d'enchainer un homme du nord de l'Europe a une femme du nord de l'Asie! Quelle gloire, en effet, d'avoir allie la Hollande au Kurdistan. La fiancee etait superbe dans son costume de mariage,--un costume qu'evidemment elle emportait en voyage, a tout hasard,--bonne precaution cette fois, on en conviendra. Rien de splendide comme sont "mitan" de drap d'or, dont les manches et le corsage disparaissaient sous des broderies et des passementeries de filigrane! Rien de plus riche que ce chale qui lui serrait a la taille, cet "entari" a raies alternees de lignes de fleurettes et recouverte des mille plis de ces mousselines de Brousse designees sous le nom de "tchembers!" Rien de plus majestueux que ce "chalwar" en gaze de Salonique, dont les jambes se rattachaient sous le cuir de fines bottes de maroquin brodees de perles! Et ce fez evase, entoure de "yeminis" aux fleurs voyantes, d'ou se developpait jusqu'a mi-corps un long "puskul" orne de dentelles d'oya! Et les bijoux, les pendeloques de pieces d'or, tombant sur le front jusqu'aux sourcils, et ces pendants d'oreilles formes de ces petites rosaces, desquels rayonnent des chainettes supportant un petit croissant d'or, et les agrafes de ceinture en vermeil, et les epingles en filigrane azure, figurant une palme indienne, et ces colliers irradiants a double rangee, ces "guerdanliks" composes d'une suite d'agates serties en griffes, gravees chacune du nom d'un iman! Non! jamais plus belle fiancee ne s'etait vue marchant dans les rues de Trebizonde, et en cette circonstance, elles auraient du etre recouvertes d'un tapis de pourpre, comme elles le furent jadis a la naissance de Constantin Porphyrogenete! Mais si la noble Saraboul etait superbe, le seigneur Van Mitten, lui, etait magnifique, et son ami Keraban ne lui menagea pas des compliments, qui ne pouvaient etre ironiques de la part d'un vieux croyant reste fidele au vetement oriental. Il faut en convenir, ce costume donnait a Van Mitten une tournure martiale, un air hautain, une physionomie avantageuse, quelque chose de farouche, enfin, peu en rapport avec son temperament de negociant rotterdamois! Et comment en eut-il ete autrement avec ce leger manteau do mousseline charge d'applications de cotonnade, ce large pantalon de satin rouge qui se perdait dans des bottes de cuir, eperonnees, ergotees et treillissees d'or sous les mille plis de leur tige, cette robe ouverte dont les manches se deroulaient jusqu'a terre, et ce fez, orne de "yeminis", et ce "puskul", dont la grosseur invraisemblable indiquait le rang qu'allait bientot occuper au Kurdistan l'epoux de la noble Saraboul? Le grand bazar de Trebizonde avait fourni tous ces ajustements, qui, faits sur mesure, n'auraient pas plus elegamment vetu Van Mitten. Il avait procure aussi ces armes merveilleuses, dont le fiance portait tout un arsenal au chale brode, soutachat passemente, qui lui serrait la taille: poignant damasquines, avec manche en jade vert et lame en damas a double tranchant, pistolets a crosse d'argent graves comme un collier d'idole, IX. DANS LEQUEL VAN MITTEN, EN SE FIANCANT A LA NOBLE SARABOUL, A L'HONNEUR DE DEVEN 67 Keraban Le Tetu, Vol. II sabre a lame courte, au tranchant taille en dents de scie avec poignee noire ornee d'un quadrille en argent et pommeau a rondelle, et enfin une arme d'hast en acier avec reliefs en meplat graves et dores et finissant en lame ondulee comme le fer des anciensfauchards! Ah! le Kurdistan peut sans crainte declarer la guerre a la Turquie! Ce ne sont pas de pareils guerriers que les armees du Padischah pourront jamais vaincre! Pauvre Van Mitten, qui eut dit qu'un jour tu aurais ete affuble de la sorte! Heureusement, comme le repetait le seigneur Keraban, et, apres lui, son neveu Ahmet, et apres Ahmet, Amasia et Nedjeb, et apres elle, tous, excepte Bruno: "Bah! c'est pour rire!" Pendant la ceremonie des fiancailles, les choses se passeront le plus convenablement du monde. Si ce n'est que le fiance fut trouve un peu froid par son terrible beau-frere et par sa non moins terrible soeur, tout alla bien. A Trebizonde, il ne manquait pas de juges, faisant fonctions d'officiers ministeriels, qui eussent reclame l'honneur d'enregistrer un pareil contrat,--d'autant plus que cela n'allait pas sans quelque profit;--mais ce fut le magistrat meme dont on avait pu apprecier la sagacite dans l'affaire du caravanserail de Rissar qui fut charge de cettehonorable tache et de complimenter, en bons termes, les futurs epoux. Puis, apres la signature du contrat, les deux fiances et leur suite, au milieu d'un immense concours de populaire, se transporterent a la ville close, dans une mosquee qui fut autrefois une eglise byzantine, et dont les murailles sont decorees de curieuses mosaiques. La, retentirent certains chants kurdes, qui sont plus expressifs, plus melodieux, plus artistiques enfin, par leur couleur et leur rhythme, que les chants turcs ou armeniens. Quelques instruments, dont la sonorite se rapproche d'un simple cliquetis metallique et que dominait la note aigue de deux ou trois petites flutes, joignirent leurs accords bizarres au concert des voix suffisamment rafraichies pour cette circonstance. Puis, l'iman dit une simple priere, et Van Mitten fut enfin fiance, bien fiance, ainsi que le repeta le seigneur Keraban a la noble Saraboul,--non sans une certaine arriere-pensee,--lorsqu'il lui adressa ses meilleurs compliments. Plus tard, le mariage devait s'achever au Kurdistan, ou de nouvelles fetes dureraient pendant plusieurs semaines. La, Van Mitten aurait a se conformer aux coutumes kurdes,--ou, du moins, il devrait essayer de s'y conformer. En effet, lorsque l'epouse arrive devant la maison conjugale, son epoux se presente inopinement devant elle, il l'entoure de ses bras, il la prend sur ses epaules, et il la porte ainsi jusqu'a la chambre qu'elle doit occuper. On veut, par la, epargner sa pudeur, car il ne faut point qu'elle semble entrer de son plein gre dans une demeure etrangere. Lorsqu'il en serait a cet heureux moment, Van Mitten verrait a ne rien faire qui put blesser les usages du pays. Mais heureusement, il en etait encore loin. Ici, les fetes des fiancailles furent tout naturellement completees par celles qui se donnaient, fort a propos, pour celebrer la nuit de l'ascension du Prophete, cet eilet-ul-my'rady, qui a lieu ordinairement le 29 du mois de Redjeb. Cette fois, par suite de circonstances particulieres, dues a une concurrence politico-religieuse, une ordonnance du chef des imans du pachalik l'avait fixee a cette date. Le soir meme, dans le plus vaste palais de la ville, magnifiquement dispose a cet effet, des milliers et des milliers de fideles s'empressaient a une ceremonie qui les avait attires a Trebizonde de tous les points de l'Asie musulmane. La noble Saraboul ne pouvait manquer cette occasion de produire son fiance en public. Quant au seigneur Keraban, a son neveu, aux deux jeunes filles, a leurs serviteurs, que pouvaient-ils faire de mieux, pour passer les quelques heures de la soiree, que d'assister en grand apparat a ce merveilleux spectacle? IX. DANS LEQUEL VAN MITTEN, EN SE FIANCANT A LA NOBLE SARABOUL, A L'HONNEUR DE DEVEN 68

« sabre a lame courte, au tranchant taille en dents de scie avec poignee noire ornee d'un quadrille en argent et pommeau a rondelle, et enfin une arme d'hast en acier avec reliefs en meplat graves et dores et finissant en lame ondulee comme le fer des anciensfauchards! Ah! le Kurdistan peut sans crainte declarer la guerre a la Turquie! Ce ne sont pas de pareils guerriers que les armees du Padischah pourront jamais vaincre! Pauvre Van Mitten, qui eut dit qu'un jour tu aurais ete affuble de la sorte! Heureusement, comme le repetait le seigneur Keraban, et, apres lui, son neveu Ahmet, et apres Ahmet, Amasia et Nedjeb, et apres elle, tous, excepte Bruno: “Bah! c'est pour rire!” Pendant la ceremonie des fiancailles, les choses se passeront le plus convenablement du monde.

Si ce n'est que le fiance fut trouve un peu froid par son terrible beau-frere et par sa non moins terrible soeur, tout alla bien. A Trebizonde, il ne manquait pas de juges, faisant fonctions d'officiers ministeriels, qui eussent reclame l'honneur d'enregistrer un pareil contrat,—d'autant plus que cela n'allait pas sans quelque profit;—mais ce fut le magistrat meme dont on avait pu apprecier la sagacite dans l'affaire du caravanserail de Rissar qui fut charge de cettehonorable tache et de complimenter, en bons termes, les futurs epoux. Puis, apres la signature du contrat, les deux fiances et leur suite, au milieu d'un immense concours de populaire, se transporterent a la ville close, dans une mosquee qui fut autrefois une eglise byzantine, et dont les murailles sont decorees de curieuses mosaiques.

La, retentirent certains chants kurdes, qui sont plus expressifs, plus melodieux, plus artistiques enfin, par leur couleur et leur rhythme, que les chants turcs ou armeniens.

Quelques instruments, dont la sonorite se rapproche d'un simple cliquetis metallique et que dominait la note aigue de deux ou trois petites flutes, joignirent leurs accords bizarres au concert des voix suffisamment rafraichies pour cette circonstance.

Puis, l'iman dit une simple priere, et Van Mitten fut enfin fiance, bien fiance, ainsi que le repeta le seigneur Keraban a la noble Saraboul,—non sans une certaine arriere-pensee,—lorsqu'il lui adressa ses meilleurs compliments. Plus tard, le mariage devait s'achever au Kurdistan, ou de nouvelles fetes dureraient pendant plusieurs semaines.

La, Van Mitten aurait a se conformer aux coutumes kurdes,—ou, du moins, il devrait essayer de s'y conformer.

En effet, lorsque l'epouse arrive devant la maison conjugale, son epoux se presente inopinement devant elle, il l'entoure de ses bras, il la prend sur ses epaules, et il la porte ainsi jusqu'a la chambre qu'elle doit occuper.

On veut, par la, epargner sa pudeur, car il ne faut point qu'elle semble entrer de son plein gre dans une demeure etrangere.

Lorsqu'il en serait a cet heureux moment, Van Mitten verrait a ne rien faire qui put blesser les usages du pays.

Mais heureusement, il en etait encore loin. Ici, les fetes des fiancailles furent tout naturellement completees par celles qui se donnaient, fort a propos, pour celebrer la nuit de l'ascension du Prophete, cet eilet-ul-my'rady, qui a lieu ordinairement le 29 du mois de Redjeb.

Cette fois, par suite de circonstances particulieres, dues a une concurrence politico-religieuse, une ordonnance du chef des imans du pachalik l'avait fixee a cette date. Le soir meme, dans le plus vaste palais de la ville, magnifiquement dispose a cet effet, des milliers et des milliers de fideles s'empressaient a une ceremonie qui les avait attires a Trebizonde de tous les points de l'Asie musulmane. La noble Saraboul ne pouvait manquer cette occasion de produire son fiance en public.

Quant au seigneur Keraban, a son neveu, aux deux jeunes filles, a leurs serviteurs, que pouvaient-ils faire de mieux, pour passer les quelques heures de la soiree, que d'assister en grand apparat a ce merveilleux spectacle? Keraban Le Tetu, Vol.

II IX.

DANS LEQUEL VAN MITTEN, EN SE FIANCANT A LA NOBLE SARABOUL, A L'HONNEUR DE DEVENIR BEAU-FRERE DU SEIGNEUR YANAR.

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