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La Bete Humaine Flore se leva, sortit du trou de roches.

Publié le 11/04/2014

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La Bete Humaine Flore se leva, sortit du trou de roches. Elle n'hésita pas, car elle venait de trouver d'instinct où elle devait aller. D'un nouveau regard au ciel, vers les étoiles, elle sut qu'il était près de neuf heures. Comme elle arrivait à la ligne du chemin de fer, un train passa, à grande vitesse, sur la voie descendante, ce qui parut lui faire plaisir: tout irait bien, on avait évidemment déblayé cette voie, tandis que l'autre était sans doute encore obstruée, car la circulation n'y semblait pas rétablie. Dès lors, elle suivit la haie vive, au milieu du grand silence de ce pays sauvage. Rien ne pressait, il n'y aurait plus de train avant l'express de Paris, qui ne serait là qu'à neuf heures vingt-cinq; et elle longeait toujours la haie à petits pas, dans l'ombre épaisse, très calme, comme si elle eût fait une de ses promenades habituelles, par les sentiers déserts. Pourtant, avant d'arriver au tunnel, elle franchit la haie, elle continua d'avancer sur la voie même, de son pas de flânerie, marchant à la rencontre de l'express. Il lui fallut ruser, pour n'être pas vue du gardien, ainsi qu'elle s'y prenait d'ordinaire, chaque fois qu'elle rendait visite à Ozil, là-bas, à l'autre bout. Et, dans le tunnel, elle marcha encore, toujours, toujours en avant. Mais ce n'était plus comme l'autre semaine, elle n'avait plus peur, si elle se retournait, de perdre la notion exacte du sens où elle allait. La folie du tunnel ne battait point sous son crâne, ce coup de folie où sombrent les choses, le temps et l'espace, au milieu du tonnerre des bruits et de l'écrasement de la voûte. Que lui importait! elle ne raisonnait pas, ne pensait même pas, n'avait qu'une résolution fixe: marcher, marcher devant elle, tant qu'elle ne rencontrerait pas le train, et marcher encore, droit au fanal, dès qu'elle le verrait flamber dans la nuit. Flore s'étonna cependant, car elle croyait aller ainsi depuis des heures. Comme c'était loin, cette mort qu'elle voulait! L'idée qu'elle ne la trouverait pas, qu'elle cheminerait des lieues et des lieues, sans se heurter contre elle, la désespéra un moment. Ses pieds se lassaient, serait-elle donc obligée de s'asseoir, de l'attendre, couchée en travers des rails? Mais cela lui paraissait indigne, elle avait besoin de marcher jusqu'au bout, de mourir toute droite, par un instinct de vierge et de guerrière. Et ce fut, en elle, un réveil d'énergie, une nouvelle poussée en avant, lorsqu'elle aperçut, très lointain, le fanal de l'express, pareil à une petite étoile, scintillante et unique au fond d'un ciel d'encre. Le train n'était pas encore sous la voûte, aucun bruit ne l'annonçait, il n'y avait que ce feu si vif, si gai, grandissant peu à peu. Redressée dans sa haute taille souple de statue, balancée sur ses fortes jambes, elle avançait maintenant d'un pas allongé, sans courir pourtant, comme à l'approche d'une amie, à qui elle voulait épargner un bout du chemin. Mais le train venait d'entrer dans le tunnel, l'effroyable grondement approchait, ébranlant la terre d'un souffle de tempête, tandis que l'étoile était devenue un oeil énorme, toujours grandissant, jaillissant comme de l'orbite des ténèbres. Alors, sous l'empire d'un sentiment inexpliqué, peut-être pour n'être que seule à mourir, elle vida ses poches, sans cesser sa marche d'obstination héroïque, posa tout un paquet au bord de la voie, un mouchoir, des clefs, de la ficelle, deux couteaux; même elle enleva le fichu noué sur son cou, laissa son corsage dégrafé, à moitié arraché. L'oeil se changeait en un brasier, en une gueule de four vomissant l'incendie, le souffle du monstre arrivait, humide et chaud déjà, dans ce roulement de tonnerre, de plus en plus assourdissant. Et elle marchait toujours, elle se dirigeait droit à cette fournaise, pour ne pas manquer la machine, fascinée ainsi qu'un insecte de nuit, qu'une flamme attire. Et, dans l'épouvantable choc, dans l'embrassade, elle se redressa encore, comme si, soulevée par une dernière révolte de lutteuse, elle eût voulu étreindre le colosse, et le terrasser. Sa tête avait porté en plein dans le fanal, qui s'éteignit. Ce ne fut que plus d'une heure après qu'on vint ramasser le cadavre de Flore. Le mécanicien avait bien vu cette grande figure pâle marcher contre la machine, d'une étrangeté effrayante d'apparition, sous le jet de clarté vive qui l'inondait; et, lorsque, brusquement, la lanterne éteinte, le train s'était trouvé dans l'obscurité profonde, roulant avec son bruit de foudre, il avait frémi, en sentant passer la mort. Au sortir du tunnel, il s'était efforcé de crier l'accident au gardien. Mais, à Barentin seulement, il avait pu raconter que quelqu'un venait de se faire couper, là-bas: c'était certainement une femme; des cheveux, mêlés à des débris de crâne, restaient collés encore à la vitre brisée du fanal. Et, quand les hommes envoyés à la recherche du corps le découvrirent, ils furent saisis de le voir si blanc, d'une blancheur de marbre. Il gisait sur la voie montante, projeté là par la violence du choc, la tête en bouillie, les membres sans une égratignure, à moitié dévêtus, d'une beauté admirable, dans la pureté et la force. Silencieusement, les hommes l'enveloppèrent. Ils l'avaient reconnue. Elle s'était sûrement fait tuer, folle, pour échapper à la responsabilité terrible qui pesait sur elle. X 163 La Bete Humaine Dès minuit, le cadavre de Flore, dans la petite maison basse, reposa à côté du cadavre de sa mère. On avait mis par terre un matelas, et rallumé une chandelle, entre elles deux. Phasie, la tête penchée toujours, avec le rire affreux de sa bouche tordue, semblait maintenant regarder sa fille, de ses grands yeux fixes; tandis que, dans la solitude, au milieu du profond silence, on entendait de tous côtés la sourde besogne, l'effort haletant de Misard, qui s'était remis à ses fouilles. Et, aux intervalles réglementaires, les trains passaient, se croisaient sur les deux voies, la circulation venant d'être complètement rétablie. Ils passaient, inexorables, avec leur toute-puissance mécanique, indifférents, ignorants de ces drames et de ces crimes. Qu'importaient les inconnus de la foule tombés en route, écrasés sous les roues! On avait emporté les morts, lavé le sang, et l'on repartait pour là-bas, à l'avenir. XI C'était dans la grande chambre à coucher de la Croix-de-Maufras, la chambre tendue de damas rouge, dont les deux hautes fenêtres donnaient sur la ligne du chemin de fer, à quelques mètres. Du lit, un vieux lit à colonnes, placé en face, on voyait les trains passer. Et, depuis des années, on n'y avait pas enlevé un objet, pas dérangé un meuble. Séverine avait fait monter dans cette pièce Jacques blessé, évanoui; tandis qu'on laissait Henri Dauvergne au rez-de-chaussée, dans une autre chambre à coucher, plus petite. Elle gardait pour elle-même une chambre voisine de celle de Jacques, dont le palier seul la séparait. En deux heures, l'installation fut suffisamment confortable, car la maison était restée toute montée, il y avait jusqu'à du linge au fond des armoires. Un tablier noué par-dessus sa robe, Séverine se trouvait changée en infirmière, après avoir télégraphié simplement à Roubaud qu'il n'eût pas à l'attendre, qu'elle demeurerait là sans doute quelques jours, pour soigner des blessés, recueillis chez eux. Et, dès le lendemain, le médecin avait cru pouvoir répondre de Jacques, même en huit jours il comptait le remettre sur pied: un véritable miracle, à peine de légers désordres intérieurs. Mais il recommandait les plus grands soins, l'immobilité la plus absolue. Aussi, lorsque le malade ouvrit les yeux, Séverine, qui le veillait comme un enfant, le supplia-t-elle d'être gentil, de lui obéir en toute chose. Lui, très faible encore, promit d'un signe de tête. Il avait toute sa lucidité, il reconnaissait cette chambre, décrite par elle, la nuit de ses aveux: la chambre rouge, où, dès seize ans et demi, elle avait cédé aux violences du président Grandmorin. C'était bien le lit qu'il occupait maintenant, c'étaient les fenêtres par lesquelles, sans même lever la tête, il regardait filer les trains, dans le brusque ébranlement de la maison tout entière. Et, cette maison, il la sentait à son entour, telle qu'il l'avait vue si souvent, lorsque lui-même passait là, emporté sur sa machine. Il la revoyait, plantée de biais au bord de la voie, dans sa détresse et dans l'abandon de ses volets clos, rendue, depuis qu'elle était à vendre, plus lamentable et plus louche par l'immense écriteau, qui ajoutait à la mélancolie du jardin, obstrué de ronces. Il se rappelait l'affreuse tristesse qu'il éprouvait chaque fois, le malaise dont elle le hantait, comme si elle se dressait à cette place pour le malheur de son existence. Aujourd'hui, couché dans cette chambre, si faible, il croyait comprendre, car ce ne pouvait être que cela: il allait sûrement y mourir. Dès qu'elle l'avait vu en état de l'entendre, Séverine s'était empressée de le rassurer, en lui disant à l'oreille, pendant qu'elle remontait la couverture: Ne t'inquiète pas, j'ai vidé tes poches, j'ai pris la montre. Il la regardait, les yeux élargis, faisant un effort de mémoire. La montre... Ah! oui, la montre. On aurait pu te fouiller. Et je l'ai cachée parmi des affaires à moi. N'aie pas peur. XI 164

« Dès minuit, le cadavre de Flore, dans la petite maison basse, reposa à côté du cadavre de sa mère.

On avait mis par terre un matelas, et rallumé une chandelle, entre elles deux.

Phasie, la tête penchée toujours, avec le rire affreux de sa bouche tordue, semblait maintenant regarder sa fille, de ses grands yeux fixes; tandis que, dans la solitude, au milieu du profond silence, on entendait de tous côtés la sourde besogne, l'effort haletant de Misard, qui s'était remis à ses fouilles.

Et, aux intervalles réglementaires, les trains passaient, se croisaient sur les deux voies, la circulation venant d'être complètement rétablie.

Ils passaient, inexorables, avec leur toute-puissance mécanique, indifférents, ignorants de ces drames et de ces crimes.

Qu'importaient les inconnus de la foule tombés en route, écrasés sous les roues! On avait emporté les morts, lavé le sang, et l'on repartait pour là-bas, à l'avenir. XI C'était dans la grande chambre à coucher de la Croix-de-Maufras, la chambre tendue de damas rouge, dont les deux hautes fenêtres donnaient sur la ligne du chemin de fer, à quelques mètres.

Du lit, un vieux lit à colonnes, placé en face, on voyait les trains passer.

Et, depuis des années, on n'y avait pas enlevé un objet, pas dérangé un meuble. Séverine avait fait monter dans cette pièce Jacques blessé, évanoui; tandis qu'on laissait Henri Dauvergne au rez-de-chaussée, dans une autre chambre à coucher, plus petite.

Elle gardait pour elle-même une chambre voisine de celle de Jacques, dont le palier seul la séparait.

En deux heures, l'installation fut suffisamment confortable, car la maison était restée toute montée, il y avait jusqu'à du linge au fond des armoires.

Un tablier noué par-dessus sa robe, Séverine se trouvait changée en infirmière, après avoir télégraphié simplement à Roubaud qu'il n'eût pas à l'attendre, qu'elle demeurerait là sans doute quelques jours, pour soigner des blessés, recueillis chez eux. Et, dès le lendemain, le médecin avait cru pouvoir répondre de Jacques, même en huit jours il comptait le remettre sur pied: un véritable miracle, à peine de légers désordres intérieurs.

Mais il recommandait les plus grands soins, l'immobilité la plus absolue.

Aussi, lorsque le malade ouvrit les yeux, Séverine, qui le veillait comme un enfant, le supplia-t-elle d'être gentil, de lui obéir en toute chose.

Lui, très faible encore, promit d'un signe de tête.

Il avait toute sa lucidité, il reconnaissait cette chambre, décrite par elle, la nuit de ses aveux: la chambre rouge, où, dès seize ans et demi, elle avait cédé aux violences du président Grandmorin. C'était bien le lit qu'il occupait maintenant, c'étaient les fenêtres par lesquelles, sans même lever la tête, il regardait filer les trains, dans le brusque ébranlement de la maison tout entière.

Et, cette maison, il la sentait à son entour, telle qu'il l'avait vue si souvent, lorsque lui-même passait là, emporté sur sa machine.

Il la revoyait, plantée de biais au bord de la voie, dans sa détresse et dans l'abandon de ses volets clos, rendue, depuis qu'elle était à vendre, plus lamentable et plus louche par l'immense écriteau, qui ajoutait à la mélancolie du jardin, obstrué de ronces.

Il se rappelait l'affreuse tristesse qu'il éprouvait chaque fois, le malaise dont elle le hantait, comme si elle se dressait à cette place pour le malheur de son existence. Aujourd'hui, couché dans cette chambre, si faible, il croyait comprendre, car ce ne pouvait être que cela: il allait sûrement y mourir. Dès qu'elle l'avait vu en état de l'entendre, Séverine s'était empressée de le rassurer, en lui disant à l'oreille, pendant qu'elle remontait la couverture: \24Ne t'inquiète pas, j'ai vidé tes poches, j'ai pris la montre. Il la regardait, les yeux élargis, faisant un effort de mémoire. \24La montre...

Ah! oui, la montre. \24On aurait pu te fouiller.

Et je l'ai cachée parmi des affaires à moi.

N'aie pas peur.

La Bete Humaine XI 164. »

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