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La conceptualisation biologique.

Publié le 11/05/2011

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Ce qui nous intéresse dans une situation donnée, ce que nous y devons saisir d'abord, c'est le côté par où elle peut répondre à une tendance ou à un besoin : or, le besoin va droit à la ressemblance ou à la qualité et n'a que faire des différences individuelles. A ce discernement de l'utile doit se borner d'ordinaire la perception des animaux. C'est l'herbe en général qui attire l'herbivore : la couleur et l'odeur de l'herbe, senties et subies comme des forces (nous n'allons pas jusqu'à dire : pensées comme des qualités ou des genres), sont les seules données immédiates de sa perception extérieure. Sur ce fond de généralité ou de ressemblance, sa mémoire pourra faire valoir les contrastes d'où naîtront les différenciations ; il distinguera alors un paysage d'un autre paysage, un champ d'un autre champ ; mais c'est là, nous le répétons, le superflu de la perception et non pas le nécessaire. Dira-t-on que nous ne faisons que reculer le problème, que nous rejetons simplement dans l'inconscient l'opération par laquelle se dégagent les ressemblances et se constituent les genres ? Mais nous ne rejetons rien dans l'inconscient, par la raison fort simple que ce n'est pas, à notre avis, un effort de nature psychologique qui dégage ici la ressemblance : cette ressemblance agit objectivement comme une force, et provoque des réactions identiques en vertu de la loi toute physique qui veut que les mêmes effets d'ensemble suivent les mêmes causes profondes. Parce que l'acide chlorhydrique agit toujours de la même manière sur le carbonate de chaux — qu'il soit marbre ou craie —, dira-t-on que l'acide démêle, entre les espèces, les traits caractéristiques d'un genre ? Or, il n'y a pas de différence essentielle entre l'opération par laquelle cet acide tire du sel sa base et l'acte de la plante qui extrait invariablement des sols les plus divers les mêmes éléments qui doivent lui servir de nourriture. Faites maintenant un pas de plus ; imaginez une conscience rudimentaire comme peut être celle de l'amibe s'agitant dans une goutte d'eau : l'animalcule sentira la ressemblance, et non pas la différence, des diverses substances organiques qu'il peut s'assimiler. Bref, on suit du minéral à la plante, de la plante aux plus simples êtres conscients, de l'animal à l'homme, le progrès de l'opération par laquelle les choses et les êtres saisissent dans leur entourage ce qui les attire, ce qui les intéresse pratiquement, sans qu'ils aient besoin d'abstraire, simplement parce que le reste de l'entourage reste sans prise sur eux : cette identité de réaction à des actions superficiellement différentes est le germe que la conscience humaine développe en idées générales... ... La ressemblance d'où l'esprit part, quand il abstrait d'abord, n'est pas la ressemblance où l'esprit aboutit lorsque, consciemment, il généralise. Celle d'où il part est une ressemblance sentie, vécue, ou, si vous voulez, automatiquement jouée. Celle où il revient est une ressemblance intelligemment aperçue ou pensée.

BERGSON.

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