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La conceptualisation technique.

Publié le 11/05/2011

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technique

Les actes de l'homme qui construit, ou qui fabrique quelque chose, ne s'inquiètent pas de « toutes « les qualités de la substance qu'ils modifient, mais seulement de quelques-unes. Ce qui est suffisant à notre but, voilà ce qui nous importe. Ce qui suffit à l'orateur, ce sont les effets du langage. Ce qui suffit au logicien, ce sont ses relations et sa suite, et comme l'un néglige la rigueur, l'autre les ornements. Et de même dans l'ordre matériel : une roue, une porte, une cuve, demandent telle solidité, tel poids, telles facilités d'ajustement ou de travail ; et si le châtaignier, ou l'orme, ou le chêne y sont également (ou presque également) propres, le charron ou le menuisier les emploieront à peu près indifféremment, ne regardant qu'à la dépense. Mais tu ne vois pas dans la nature le citronnier produire des pommes, quoique, peut-être, cette année-là, elles lui coûteraient moins cher à former que des citrons. L'homme fabrique par abstraction, ignorant et oubliant une grande partie des qualités de ce qu'il emploies, s'attachant seulement à des conditions claires et distinctes, qui peuvent, le plus souvent, être simultanément satisfaites, non par une seule, mais par plusieurs espèces de matières. Il boit du lait, ou du vin, ou de l'eau, ou de la cervoise, indifféremment dans l'or, dans le verre, dans la corne ou dans l'onyx ; et que le vase soit large ou élancé, ou en forme de feuille, ou de fleur, ou bizarrement tordu sur son pied, le buveur ne regarde guère que le boire.... L'homme n'a pas besoin de toute la nature, mais seulement d'une partie d'elle. Philosophe est celui qui se fait une idée plus étendue, et veut avoir besoin de tout. Mais l'homme qui ne veut que vivre, n'a besoin ni du fer ni de l'airain « en eux-mêmes « ; mais seulement de telle dureté ou de telle ductilité. Il est contraint de les prendre où elles se trouvent, c'est-à-dire dans un métal qui a aussi d'autres qualités indifférentes.... Il ne regarde que son but. S'il veut enfoncer un clou, il le frappe avec un pieu, ou avec un marteau qui est de fer, ou de bronze, ou même de bois très dur ; et il l'enfonce à petits coups, ou d'un seul plus énergique, ou parfois par une pression ; qu'importe à lui ? Le résultat est le même, le clou est enfoncé. Mais si l'on ne regarde pas à suivre le fil de cette action, et qu'on envisage toutes les circonstances, ces opérations paraissent entièrement différentes, et des phénomènes incomparables entre eux.

VALÉRY.

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