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La connaissance du monde (Descartes)

Publié le 04/04/2011

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descartes

     24° Considérons donc maintenant les choses que l'on estime vulgairement être les plus faciles de toutes à connaître, et que l'on croit être le plus distinctement connues, c'est à savoir, les corps que nous touchons et que nous voyons : non pas à la vérité les corps en général, car ces notions générales sont d'ordinaire un peu plus confuses ; mais considérons-en un en particulier. Prenons par exemple ce morceau de cire : il vient tout fraîchement d'être tiré de la ruche; il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli; sa couleur, sa figure, sa grandeur, sont apparentes; il est dur, il est froid, il est maniable, et si vous frappez dessus il rendra quelque son. Enfin toutes les choses qui peuvent distinctement faire connaître un corps se rencontrent en celui-ci. Mais voici que, pendant que je parle, on l'approche du feu : ce qui y restait de saveur s'exhale, l'odeur s'évapore, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on manier, et quoique l'on frappe dessus il ne rendra plus aucun son. La même cire demeure-t-elle encore après ce changement? Il faut avouer qu'elle demeure; personne n'en doute, personne ne juge autrement. Qu'est-ce donc que l'on connaissait en ce morceau de cire avec tant de distinction?... Considérons-le attentivement et, retranchant toutes les choses qui n'appartiennent point à la cire, voyons ce qui reste. Certes il ne demeure rien que quelque chose d'étendu, de flexible et de muable... Il faut donc demeurer d'accord... qu'il n'y a que mon entendement seul qui le comprenne... Nous disons que nous voyons la même cire si elle est présente, et non pas que nous jugeons que c'est la même, de ce qu'elle a même couleur et même figure : d'où je voudrais presque conclure que l'on connaît la cire par la vision des yeux, et non par la seule inspection de l'esprit; si par hasard je ne regardais d'une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes, tout de même que je dis que je vois de la cire, et cependant que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux qui pourraient couvrir des machines artificielles qui ne se remueraient que par ressorts ? Mais je juge que ce sont des hommes et ainsi je comprends par la seule puissance de juger qui réside en mon esprit ce que je croyais voir de mes yeux.

   25° Nous concevons la matière comme une chose différente de Dieu et de notre pensée et il nous semble que l'idée que nous en avons se forme en nous à l'occasion des corps du dehors, auxquels elle est entièrement semblable. Or, puisque Dieu ne nous trompe point, parce que cela répugne à sa nature, comme il a été déjà remarqué, nous devons conclure qu'il y a une certaine substance étendue en longueur, largeur et profondeur, qui existe à présent dans le monde, avec toutes les propriétés que nous connaissons manifestement lui appartenir. Et cette substance étendue est ce qu'on nomme proprement le corps ou la substance des choses matérielles.    26° En ce faisant nous saurons que la nature de la matière ou du corps pris en général ne consiste point en ce qu'il est une chose dure, ou pesante, ou colorée, ou qui touche nos sens de quelque autre façon, mais seulement en ce qu'il est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur.    27° Qu'il ne faut point tâcher de comprendre l'infini mais seulement penser que tout ce en quoi nous ne trouvons aucunes bornes est indéfini.    28° Et nous appellerons ces choses indéfinies plutôt qu'infinies, afin de réserver à Dieu seul le nom d'infini, tant à cause que nous ne remarquons point de bornes en ses perfections, comme aussi à cause que nous sommes très assurés qu'il n'y en peut avoir. Que l'étendue du monde est indéfinie.    29° Qu'il ne faut point examiner pour quelle fin Dieu a fait chaque chose, mais seulement par quel moyen il a voulu qu'elle fût produite.    30° Qu'on présumerait trop de soi-même si on entreprenait de connaître la fin que Dieu s'est proposée en créant le monde.    31° II n'est aucunement vraisemblable que toutes choses aient été faites pour nous, en telle façon que Dieu n'ait eu aucune autre fin en les créant; et ce serait ce me semble être impertinent de se vouloir servir de cette opinion pour appuyer des raisonnements de Physique; car nous ne saurions douter qu'il n'y ait une infinité de choses qui sont maintenant dans le monde, ou bien qui y ont été autrefois et ont déjà entièrement cessé d'être, sans qu'aucun homme les ait jamais vues ou connues, et sans qu'elles lui aient jamais servi à aucun usage.   

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