Devoir de Philosophie

La connaissance et la raison

Publié le 12/06/2011

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« Vous savez ce qu'était l'homme sur la Terre, il y a quelques milliers d'années, et ce qu'il est aujourd'hui. Isolé au milieu d'une nature où tout pour lui était mystère, effaré à chaque manifestation inattendue de forces incompréhensibles. Il était incapable de voir dans la conduite de l'univers autre chose que le caprice ; il attribuait tous les phénomènes à l'action d'une multitude de petits génies fantasques et exigeants, et, pour agir sur le monde, il cherchait à se les concilier par des moyens analogues à ceux qu'on emploie pour gagner les bonnes grâces d'un ministre ou d'un député. Ses insuccès mêmes ne l'éclairaient pas, pas plus qu'aujourd'hui un solliciteur éconduit ne se décourage au point de cesser de solliciter. « Aujourd'hui, nous ne sollicitons plus la nature : nous lui commandons, parce que nous avons découvert quelques-uns de ses secrets et que nous en découvrons chaque jour de nouveaux. Nous lui commandons au nom des lois qu'elle ne peut récuser, parce que ce sont les siennes ; ces lois, nous ne lui demandons pas follement de les changer, nous sommes les premiers à nous y soumettre. Naturae non imperatur nisi parendo. « D'abord, c'est l'astronomie qui nous a appris qu'il y a des lois. Les Chaldéens qui, les premiers, ont regardé le ciel avec quelque attention, ont bien vu que cette multitude de points lumineux n'est pas une foule confuse errant à l'aventure, mais plutôt une armée disciplinée. Sans doute, les règles de cette discipline leur échappaient, mais le spectacle harmonieux de la nuit étoilée suffisait pour leur donner l'impression de la régularité, et c'était déjà beaucoup. Ces règles, d'ailleurs, Hipparque, Ptolémée, Copernic, Kepler les ont discernées l'une après l'autre, et, enfin, il est inutile de rappeler que c'est Newton qui a énoncé la plus ancienne, la plus précise, la plus simple, la plus générale de toutes les lois naturelles. « Et alors, avertis par cet exemple, nous avons mieux regardé notre petit monde terrestre et sous le désordre apparent, là aussi nous avons retrouvé l'harmonie que l'étude du ciel nous avait fait connaître. Lui aussi est régulier, lui aussi obéit à des lois immuables, mais elles sont plus compliquées, en conflit apparent les unes avec les autres, et un oeil qui n'aurait pas été accoutumé à d'autres spectacles n'y aurait vu que le chaos et le règne du hasard ou du caprice. «

Henri POINCARÉ, mathématicien français (1854-1912), La Valeur de la science, Flammarion. « Nous avons souvent entendu formuler l'exigence suivante : une science doit être construite sur des concepts fondamentaux clairs et nettement définis. En réalité, aucune science, même la plus exacte, ne commence par de telles définitions. Le véritable commencement de toute activité scientifique consiste plutôt dans la description des phénomènes qui sont ensuite rassemblés, ordonnés et insérés dans des relations. Dans la description, déjà, on ne peut éviter d'appliquer au matériel certaines idées abstraites que l'on puise ici ou là et certainement pas dans la seule expérience actuelle. De telles idées — qui deviendront les concepts fondamentaux de la science — sont dans l'élaboration ultérieure des matériaux encore plus indispensables. Elles comportent d'abord nécessairement un certain degré d'indétermination ; il ne peut être question de cerner clairement leur contenu. Aussi longtemps qu'elles sont dans cet état, on se met d'accord sur leur signification en multipliant les références au matériel de l'expérience, auquel elles semblent être empruntées mais qui, en réalité, leur est soumis. Elles ont donc, en toute rigueur, le caractère de conventions, encore que tout dépende du fait qu'elles ne soient pas choisies arbitrairement mais déterminées par leurs importantes relations aux matériaux empiriques ; ces relations, on croit les avoir devinées avant même de pouvoir en avoir la connaissance et en fournir la preuve. Ce n'est qu'après un examen plus approfondi du domaine de phénomènes considérés que l'on peut aussi saisir plus précisément les concepts scientifiques fondamentaux qu'il requiert et les modifier progressivement pour les rendre largement utilisables ainsi que libres de toute contradiction. C'est alors qu'il peut être temps de les enfermer dans des définitions. Mais le progrès de la connaissance ne tolère pas non plus de rigidité dans les définitions. Comme l'exemple de la physique l'enseigne de manière éclatante, même les "concepts fondamentaux" qui ont été fixés dans des définitions voient leur contenu constamment modifié. «

Sigmund FREUD, Métapsychologie, Idées, Gallimard.   

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