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La Curée depuis le commencement du dîner, surveillait les entrepreneurs du coin de l'oeil.

Publié le 11/04/2014

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La Curée depuis le commencement du dîner, surveillait les entrepreneurs du coin de l'oeil. L'administration, dit-il, a rencontré tant de dévouement! Tout le monde a voulu contribuer à la grande oeuvre. Sans les riches compagnies qui lui sont venues en aide, la Ville n'aurait jamais pu faire si bien ni si vite. Il se tourna, et avec une sorte de brutalité flatteuse: MM. Mignon et Charrier en savent quelque chose, eux qui ont en leur part de peine, et qui auront leur part de gloire. Les maçons enrichis reçurent béatement cette phrase en pleine poitrine. Mignon, auquel Mme Sidonie disait en minaudant: « Ah! monsieur, vous me flattez; non, le rose serait trop jeune pour moi... », la laissa au milieu de sa phrase pour répondre à Saccard: Vous êtes trop bon, nous avons fait nos affaires. Mais Charrier était plus dégrossi. Il acheva son verre de pommard et trouva le moyen de faire une phrase. Les travaux de Paris, dit-il, ont fait vivre l'ouvrier. Dites aussi, reprit M. Toutin-Laroche, qu'ils ont donné un magnifique élan aux affaires financières et industrielles. Et n'oubliez pas le côté artistique; les nouvelles voies sont majestueuses, ajouta M. Hupel de la Noue, qui se piquait d'avoir du goût. Oui, oui, c'est un beau travail, murmura M. de Mareuil, pour dire quelque chose. Quant à la dépense, déclara gravement le député Haffner, qui n'ouvrait la bouche que dans les grandes occasions, nos enfants la paieront, et rien ne sera plus juste. Et, comme, en disant cela, il regardait M. de Saffré, que la jolie Mme Michelin semblait bouder depuis un instant, le jeune secrétaire, pour paraître au courant de ce qu'on disait, répéta: Rien ne sera plus juste, en effet. Tout le monde avait dit son mot, dans le groupe que les hommes graves formaient au milieu de la table. M. Michelin, le chef de bureau, souriait, dodelinait de la tête; c'était, d'ordinaire, sa façon de prendre part à une conversation; il avait des sourires pour saluer, pour répondre, pour approuver, pour remercier, pour prendre congé, toute une jolie collection de sourires qui le dispensaient presque de jamais se servir de la parole, ce qu'il jugeait sans doute plus poli et plus favorable à son avancement. Un autre personnage était également resté muet, le baron Gouraud, qui mâchait lentement comme un boeuf aux paupières lourdes. Jusque-là, il avait paru absorbé dans le spectacle de son assiette. Renée, aux petits soins pour lui, n'en obtenait que de légers grognements de satisfaction, aussi fut-on surpris de le voir lever la tête et de l'entendre dire, en essuyant ses lèvres grasses: Moi qui suis propriétaire, lorsque je fais réparer et décorer un appartement, j'augmente mon locataire. La Curée 15 La Curée La phrase de M. Haffner: « Nos enfants paieront », avait réussi à réveiller le sénateur. Tout le monde battit discrètement des mains, et M. de Saffré s'écria: Ah! charmant, charmant. J'enverrai demain le mot aux journaux. Vous avez bien raison, messieurs, nous vivons dans un bon temps, dit le sieur Mignon, comme pour conclure, au milieu des sourires et des admirations que le mot du baron excitait. J'en connais plus d'un qui ont joliment arrondi leur fortune. Voyez-vous, quand on gagne de l'argent, tout est beau. Ces dernières paroles glacèrent les hommes graves. La conversation tomba net, et chacun parut éviter de regarder son voisin. La phrase du maçon atteignait ces messieurs, roide comme le pavé de l'ours. Michelin, qui justement contemplait Saccard d'un air agréable, cessa de sourire, très effrayé d'avoir eu l'air un instant d'appliquer les paroles de l'entrepreneur au maître de la maison. Ce dernier lança un coup d'oeil à Mme Sidonie, qui accapara de nouveau Mignon, en disant: «Vous aimez donc le rose, monsieur?... » Puis Saccard fit un long compliment à Mme d'Espanet; sa figure noirâtre, chafouine, touchait presque les épaules laiteuses de la jeune femme, qui se renversait avec de petits rires. On était au dessert. Les laquais allaient d'un pas plus vif autour de la table. Il y eut un arrêt, pendant que la nappe achevait de se charger de fruits et de sucreries. A l'un des bouts, du côté de Maxime, les rires devenaient plus clairs: on entendait la voix aigrelette de Louise dire: « Je vous assure que Sylvia avait une robe de Satin bleu dans son rôle de Dindonnette »; et une autre voix d'enfant ajoutait « Oui, mais la robe était garnie de dentelles blanches. » Un air chaud montait. Les visages, plus roses, étaient comme amollis par une béatitude intérieure. Deux laquais firent le tour de la table, versant de l'alicante et du tokai. Depuis le commencement du dîner, Renée semblait distraite. Elle remplissait ses devoirs de maîtresse de maison avec un sourire machinal. A chaque éclat de gaieté qui venait du bout de la table, où Maxime et Louise, côte à côte, plaisantaient comme de bons camarades, elle jetait de ce côté un regard luisant. Elle s'ennuyait. Les hommes graves l'assommaient. Mme d'Espanet et Mme Haffner lui lançaient des regards désespérés. Et les prochaines élections, comment s'annoncent-elles? demanda brusquement Saccard à M. Hupel de la Noue. Mais très bien, répondit celui-ci en souriant; seulement je n'ai pas encore de candidats désignés pour mon département. Le ministère hésite, paraît-il. M. de Mareuil, qui, d'un coup d'oeil, avait remercié Saccard d'avoir entamé ce sujet, semblait être sur des charbons ardents. Il rougit légèrement, il fit des saluts embarrassés, lorsque le préfet, s'adressant à lui, continua: On m'a beaucoup parlé de vous dans le pays, monsieur. Vos grandes propriétés vous y font de nombreux amis, et l'on sait combien vous êtes dévoué à l'empereur. Vous avez toutes les chances. Papa, n'est-ce pas que la petite Sylvia vendait des cigarettes à Marseille, en 1849? cria à ce moment Maxime du bout de la table. Et, comme Aristide Saccard feignait de ne pas entendre, le jeune homme reprit d'un ton plus bas: Mon père l'a connue particulièrement. La Curée 16

« La phrase de M.

Haffner: « Nos enfants paieront », avait réussi à réveiller le sénateur.

Tout le monde battit discrètement des mains, et M.

de Saffré s'écria: \24 Ah! charmant, charmant.

J'enverrai demain le mot aux journaux.

\24 Vous avez bien raison, messieurs, nous vivons dans un bon temps, dit le sieur Mignon, comme pour conclure, au milieu des sourires et des admirations que le mot du baron excitait.

J'en connais plus d'un qui ont joliment arrondi leur fortune.

\24 Voyez-vous, quand on gagne de l'argent, tout est beau.

Ces dernières paroles glacèrent les hommes graves.

La conversation tomba net, et chacun parut éviter de regarder son voisin.

La phrase du maçon atteignait ces messieurs, roide comme le pavé de l'ours.

Michelin, qui justement contemplait Saccard d'un air agréable, cessa de sourire, très effrayé d'avoir eu l'air un instant d'appliquer les paroles de l'entrepreneur au maître de la maison.

Ce dernier lança un coup d'oeil à Mme Sidonie, qui accapara de nouveau Mignon, en disant: «Vous aimez donc le rose, monsieur?...

» Puis Saccard fit un long compliment à Mme d'Espanet; sa figure noirâtre, chafouine, touchait presque les épaules laiteuses de la jeune femme, qui se renversait avec de petits rires.

On était au dessert.

Les laquais allaient d'un pas plus vif autour de la table.

Il y eut un arrêt, pendant que la nappe achevait de se charger de fruits et de sucreries.

A l'un des bouts, du côté de Maxime, les rires devenaient plus clairs: on entendait la voix aigrelette de Louise dire: « Je vous assure que Sylvia avait une robe de Satin bleu dans son rôle de Dindonnette »; et une autre voix d'enfant ajoutait « Oui, mais la robe était garnie de dentelles blanches.

» Un air chaud montait.

Les visages, plus roses, étaient comme amollis par une béatitude intérieure.

Deux laquais firent le tour de la table, versant de l'alicante et du tokai.

Depuis le commencement du dîner, Renée semblait distraite.

Elle remplissait ses devoirs de maîtresse de maison avec un sourire machinal.

A chaque éclat de gaieté qui venait du bout de la table, où Maxime et Louise, côte à côte, plaisantaient comme de bons camarades, elle jetait de ce côté un regard luisant.

Elle s'ennuyait.

Les hommes graves l'assommaient.

Mme d'Espanet et Mme Haffner lui lançaient des regards désespérés.

\24 Et les prochaines élections, comment s'annoncent-elles? demanda brusquement Saccard à M.

Hupel de la Noue.

\24 Mais très bien, répondit celui-ci en souriant; seulement je n'ai pas encore de candidats désignés pour mon département.

Le ministère hésite, paraît-il.

M.

de Mareuil, qui, d'un coup d'oeil, avait remercié Saccard d'avoir entamé ce sujet, semblait être sur des charbons ardents.

Il rougit légèrement, il fit des saluts embarrassés, lorsque le préfet, s'adressant à lui, continua: \24 On m'a beaucoup parlé de vous dans le pays, monsieur.

Vos grandes propriétés vous y font de nombreux amis, et l'on sait combien vous êtes dévoué à l'empereur.

Vous avez toutes les chances.

\24 Papa, n'est-ce pas que la petite Sylvia vendait des cigarettes à Marseille, en 1849? cria à ce moment Maxime du bout de la table.

Et, comme Aristide Saccard feignait de ne pas entendre, le jeune homme reprit d'un ton plus bas: \24 Mon père l'a connue particulièrement.

La Curée La Curée 16. »

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