La Curée Vous êtes bien?
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
tandis que l'admiration se traduisait çà et là par une parole dite trop haut, un soupir inconscient, un rire
étouffé.
Cela dura cinq grandes minutes, sous le flamboiement des trois lustres.
M.
Hupel de la Noue, rassuré, souriait béatement à son poème.
Il ne put résister à la tentation de répéter aux
personnes qui l'entouraient ce qu'il disait depuis un mois.
\24 J'avais songé à faire ça en vers...
Mais, n'est-ce pas? c'est plus noble de lignes.
Puis, pendant que la valse allait et venait dans un bercement sans fin, il donna des explications.
Les Mignon
et Charrier s'étaient approchés et l'écoutaient attentivement.
\24 Vous connaissez le sujet, n'est-ce pas? Le beau Narcisse, fils du fleuve Céphise et de la nymphe Liriope,
méprise l'amour de la nymphe Echo...
Echo était de la suite de Junon, qu'elle amusait par ses discours pendant
que Jupiter courait le monde...
Echo, fille de l'Air et de la Terre, comme vous savez...
Et il se pâmait devant la poésie de la Fable.
Puis, d'un ton plus intime:
\24 J'ai cru pouvoir donner carrière à mon imagination...
La nymphe Echo conduit le beau Narcisse chez
Vénus, dans une grotte marine, pour que la déesse l'enflamme de ses feux.
Mais la déesse reste impuissante.
Le jeune homme témoigne par son attitude qu'il n'est pas touché.
L'explication n'était pas inutile, car peu de spectateurs, dans le salon, comprenaient le sens exact des groupes.
Quand le préfet eut nommé ses personnages à demi-voix, on admira davantage.
Les Mignon et Charrier
continuaient à ouvrir des yeux énormes.
Ils n'avaient pas compris.
Sur l'estrade, entre les rideaux de velours rouge, une grotte se creusait.
Le décor était fait d'une soie tendue à
grands plis cassés, imitant des anfractuosités de rocher, et sur laquelle étaient peints des coquillages, des
poissons, de grandes herbes marines.
Le plancher, accidenté, montant en forme de tertre, se trouvait recouvert
de la même soie, où le décorateur avait représenté un sable fin constellé de perles et de paillettes d'argent.
C'était un réduit de déesse.
Là, sur le sommet du tertre, Mme de Lauwerens, en Vénus, se tenait debout; un
peu forte, portant son maillot rose avec la dignité d'une duchesse de l'Olympe, elle avait compris son
personnage en souveraine de l'Amour, avec de grands yeux sévères et dévorants.
Derrière elle, ne montrant
que sa tête malicieuse, ses ailes et son carquois, la petite Mme Daste donnait son sourire au personnage
aimable de Cupidon.
Puis, d'un côté du tertre, les trois Grâces, Mmes de Guende, Tessière, de Meinbold, tout
en mousseline, se souriaient, s'enlaçaient, comme dans le groupe de Pradier; tandis que de l'autre côté, la
marquise d'Espanet et Mme Haffner, enveloppées du même flot de dentelles, les bras à la taille, les cheveux
mêlés, mettaient un coin risqué dans le tableau, un souvenir de Lesbos, que M.
Hupel de la Noue expliquait à
voix plus basse, pour les hommes seulement, en disant qu'il avait voulu montrer par là la puissance de Vénus.
En bas du tertre, la comtesse Vanska faisait la Volupté; elle s'allongeait, tordue par un dernier spasme, les
yeux entrouverts et mourants, comme lasse; très brune, elle avait dénoué sa chevelure noire, et sa tunique
striée de flammes fauves montrait des bouts de sa peau ardente.
La gamme des costumes, du blanc de neige
du voile de Vénus au rouge sombre de la tunique de la Volupté, était douce, d'un rose général, d'un ton de
chair.
Et sous le rayon électrique, ingénieusement dirigé sur la scène par une des fenêtres du jardin, la gaze,
les dentelles, toutes ces étoffes légères et transparentes se fondaient si bien avec les épaules et les maillots,
que ces blancheurs rosées vivaient, et qu'on ne savait plus si ces dames n'avaient pas poussé la vérité
plastique jusqu'à se mettre toutes nues.
Ce n'était là que l'apothéose; le drame se passait au premier plan.
A
gauche, Renée, la nymphe Echo, tendait les bras vers la grande déesse, la tête à demi tournée du côté de
Narcisse, suppliante, comme pour l'inviter à regarder Vénus, dont la vue seule allume de terribles feux; mais
Narcisse, à droite, faisait un geste de refus, il se cachait les yeux de sa main et restait d'une froideur de glace.
Les costumes de ces deux personnages avaient surtout coûté une peine infinie à l'imagination de M.
Hupel de
la Noue.
Narcisse, en demi-dieu rôdeur de forêts, portait un costume de chasseur idéal: maillot verdâtre, La Curée
PARTIE VI 128.
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