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La pensée et l'expérience

Publié le 12/06/2011

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« La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas ; elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion ; il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit. «

Gaston BACHELARD, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin. « La sagesse est intransmissible. Expérience est un mot trompeur. Il signifie tantôt un essai organisé artificiellement pour vérifier une hypothèse — c'est-à-dire expérimentation —tantôt le savoir accumulé au fil des ans —c'est-à-dire sagesse. Les Allemands ont deux mots pour cela : Experiment et Erfahrung. « Or, si les résultats d'une expérimentation peuvent facilement se communiquer, rien ne permet de faire profiter un autre de la vision et de la pratique des choses et des gens, acquises en toute vie. Cette vision, cette pratique formulées en des termes toujours insuffisants, feront hausser les épaules des jeunes qui ne sauraient qu'en faire, alors même qu'ils le voudraient. Si les gens d'expérience (Erfahrung) cèdent si souvent à l'envie de donner des conseils, c'est que, trompés par l'homonymie, ils croient détenir les résultats d'un certain nombre d'expériences (Experiment). En vérité, ils confondent deux niveaux de connaissance, l'un profond, obscur, tout mêlé au coeur, aux nerfs, au sexe, l'autre, abstrait, cérébral, léger, portatif. «

Michel TOURNIER, écrivain français contemporain, Le Vent paraclet, Gallimard.

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