La rêverie créatrice.

   (L'auteur répond aux questions d'un interlocuteur.)    Je crois que dans une œuvre dite d'imagination, la mémoire ne joue pas moins de rôle que dans une œuvre réaliste; bien loin de là. Dans une œuvre d'imagination tous les éléments sont fournis    — ils sont seulement recomposés d'une autre façon. 11 ne peut en être autrement : le fantastique fabriqué (les romans d'anticipation par exemple) laisse forcément froid; qu'aurions-nous de commun avec lui? 11 y a des procédés mécaniques qui permettent d'en obtenir presque à volonté; l'esprit humain est d'ailleurs fait de telle manière qu'il fabrique du cohérent à perte de vue : songez qu'il est au fond impossible d'écrire quelque chose, pour autant de bonne volonté qu'on y mette, qui à sa manière ne réussisse pas à « tenir debout «. Je pense ici à un titre de poème de Rimbaud qui va loin en moi : « Le pauvre songe. « Je serais tenté de croire — en fait je crois très profondément - que la vraie rêverie créatrice est une rêverie pauvre, ressassante, à caractère plutôt obsessionnel. Il s'agit surtout d'avoir la faculté d'accrocher, à quelques images capables d'électriser toutes les autres, un énorme coefficient émotif; c'est à partir de là que toute la masse de matériaux empruntés au donné pourra s'échauffer, se colorer de proche en proche, par contact. Je disais tout à l'heure que la mémoire de l'écrivain n'est sans doute pas plus riche de contenu qu'une autre    — seulement elle est orientée; ce qu'elle retient d'instinct, c'est justement tout ce qui pourra refléter de plus ou moins loin, tout ce qui pourra prendre feu à la chaleur de ces quelques images privilégiées; c'est à cause de ce tri instinctif fait dans les souvenirs que les correspondances s'éveillent en lui plus facilement à l'appel d'une image; la mémoire, en effet, a retenu surtout ce que ces images élues étaient capables de vivifier, d'électriser, tout ce qui était en somme matériaux bons conducteurs.    Je crois (...) que, quand on a dit que les choses parlent à l'imagination, on a tout dit, pour l'écrivain. En effet, il y a un filtre; ou bien il y a incompatibilité absolue entre ces choses et lui, ou bien il y a communication, effervescence immédiate; mais si ces choses lui parlent vraiment, c'est seulement parce qu'elles trouvent uii écho, un accès, une intercession auprès de ces images dispensatrices d'énergie que nous avons essayé de définir. Tout cela commence d'ailleurs à être généralement admis. M. Gaston Bachelard a écrit là-dessus de remarquables ouvrages. Certainement, pour un écrivain, l'efficacité tient beaucoup à la fidélité qu'il observe vis-à-vis de certains pactes d'alliance assez obscurs qu'on ne sait qui a dû conclure pour lui : il a certaines figures de cartes dans son jeu et pas d'autres.    Julien Gracq, Les yeux ouverts, in « Préférences «.    Vous donnerez de cette méditation sur la création littéraire soit un résumé suivi, soit une analyse des thèmes et vous exposerez des réflexions personnelles et justifiées à propos d'un aspect du texte.