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La rotisserie de la Reine Pedauque disparurent des fenêtres, qui se refermèrent, et, tandis que le jeune seigneur causait avec ses gens, je m'approchai de Catherine dont les larmes séchaient sur ses joues, au joli creux de son sourire.

Publié le 11/04/2014

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La rotisserie de la Reine Pedauque disparurent des fenêtres, qui se refermèrent, et, tandis que le jeune seigneur causait avec ses gens, je m'approchai de Catherine dont les larmes séchaient sur ses joues, au joli creux de son sourire. --Le pauvre frère est sauvé, me dit-elle. Mais j'ai tremblé pour lui. Les hommes sont terribles. Quand ils vous aiment, ils ne veulent rien entendre. --Catherine, lui dis-je assez piqué, ne m'avez-vous fait venir que pour assister à la querelle de vos amis? Hélas! je n'ai pas le droit d'y prendre part. --Vous l'auriez, monsieur Jacques, me dit-elle, vous l'auriez si vous l'aviez voulu. --Mais, lui dis-je encore, vous êtes la personne de Paris la plus entourée. Vous ne m'aviez point parlé de ce jeune gentilhomme. --Aussi bien n'y pensais-je guère. Il est venu impromptu. --Et il vous a surprise avec frère Ange. --Il a cru voir ce qui n'était pas. C'est un emporté à qui l'on ne peut faire entendre raison. Sa chemise entr'ouverte laissait voir dans la dentelle un sein, gonflé comme un beau fruit, et fleuri d'une rose naissante. Je la pris dans mes bras et couvris sa poitrine de baisers. --Ciel! s'écria-t-elle, dans la rue! devant M. d'Anquetil, qui nous voit! --Qui est ça, M. d'Anquetil? --C'est le meurtrier de frère Ange, pardi! Quel autre voulez-vous que ce soit? --Il est vrai, Catherine, qu'il n'en faut pas d'autres, vos amis sont près de vous en forces suffisantes. --Monsieur Jacques, ne m'insultez pas, je vous prie. --Je ne vous insulte pas, Catherine; je reconnais vos attraits, auxquels je voudrais rendre le même hommage que tant d'autres. --Monsieur Jacques, ce que vous dites sent odieusement la rôtisserie de votre bonhomme de père. --Vous étiez naguère bien contente, mam'selle Catherine, d'en flairer la cheminée. --Fi! le vilain! le pied plat! Il outrage une femme! Comme elle commençait à glapir et à s'agiter, M. d'Anquetil quitta ses gens, vint à nous, la poussa dans le logis en l'appelant friponne et dévergondée, entra derrière elle dans l'allée, et me ferma la porte au nez. La pensée de Catherine occupa mon esprit pendant toute la semaine qui suivit cette fâcheuse aventure. Son image brillait aux feuillets des in-folios sur lesquels je me courbais, dans la bibliothèque, à côté de mon bon maître; si bien que Photius, Olympiodore, Fabricius, Vossius, ne me parlaient plus que d'une petite demoiselle en chemise de dentelle. Ces visions m'inclinaient à la paresse. Mais, indulgent à autrui comme à lui-même, M. Jérôme Coignard souriait avec bonté de mon trouble et de mes distractions. La rotisserie de la Reine Pedauque 43 La rotisserie de la Reine Pedauque --Jacques Tournebroche, me dit un jour ce bon maître, n'êtes-vous point frappé des variations de la morale à travers les siècles? Les livres assemblés dans cette admirable Astaracienne témoignent de l'incertitude des hommes à ce sujet. Si j'y fais réflexion, mon fils, c'est pour loger dans votre esprit cette idée solide et salutaire qu'il n'est point de bonnes moeurs en dehors de la religion et que les maximes des philosophes, qui prétendent instituer une morale naturelle, ne sont que lubies et billevesées. La raison des bonnes moeurs ne se trouve point dans la nature qui est, par elle-même, indifférente, ignorant le mal comme le bien. Elle est dans la Parole divine, qu'il ne faut point transgresser, à moins de s'en repentir ensuite convenablement. Les lois humaines sont fondées sur l'utilité, et ce ne peut être qu'une utilité apparente et illusoire, car on ne sait pas naturellement ce qui est utile aux hommes, ni ce qui leur convient en réalité. Encore y a-t-il dans nos Coutumiers une bonne moitié des articles auxquels le préjugé seul a donné naissance. Soutenues par la menace du châtiment, les lois humaines peuvent être éludées par ruse et dissimulation. Tout homme capable de réflexion est au-dessus d'elles. Ce sont proprement des attrape-nigauds. "Il n'en est pas de même, mon fils, des lois divines. Celles-là sont imprescriptibles, inéluctables et stables. Leur absurdité n'est qu'apparente et cache une sagesse inconcevable. Si elles blessent notre raison, c'est parce qu'elles y sont supérieures et qu'elles s'accordent avec les vraies fins de l'homme, et non avec ses fins apparentes. Il convient de les observer, quand on a le bonheur de les connaître. Toutefois, je ne fais pas de difficulté d'avouer que l'observation de ces lois, contenues dans le Décalogue et dans les commandements de l'Église, est difficile, la plupart du temps, et même impossible sans la grâce qui se fait parfois attendre, puisque c'est un devoir de l'espérer. C'est pourquoi nous sommes tous de pauvres pécheurs. "Et c'est là qu'il faut admirer l'économie de la religion chrétienne, qui fonde principalement le salut sur le repentir. Il est à remarquer, mon fils, que les plus grands saints sont des pénitents, et, comme le repentir se proportionne à la faute, c'est dans les plus grands pécheurs que se trouve l'étoffe des plus grands saints. Je pourrais illustrer cette doctrine d'un grand nombre d'exemples admirables. Mais j'en ai dit assez pour vous faire sentir que la matière première de la sainteté est la concupiscence, l'incontinence, toutes les impuretés de la chair et de l'esprit. Il importe seulement, après avoir amassé cette matière, de la travailler selon l'art théologique et de la modeler pour ainsi dire en figure de pénitence, ce qui est l'affaire de quelques années, de quelques jours et parfois d'un seul instant, comme il se voit dans le cas de la contrition parfaite. Jacques Tournebroche, si vous m'avez bien entendu, vous ne vous épuiserez pas dans des soins misérables pour devenir honnête homme selon le monde, et vous vous étudierez uniquement à satisfaire à la justice divine. Je ne laissai pas de sentir la haute sagesse renfermée dans les maximes de mon bon maître. Je craignais seulement que cette morale, au cas où elle serait pratiquée sans discernement, ne portât l'homme aux plus grands désordres. Je fis part de mes doutes à M. Jérôme Goignard, qui me rassura en ces termes: --Jacobus Tournebroche, vous ne prenez pas garde à ce que je viens de vous dire expressément, à savoir que ce que vous appelez désordres, n'est tel en effet que dans l'opinion des légistes et des juges tant civils qu'ecclésiastiques et par rapport aux lois humaines, qui sont arbitraires et transitoires, et qu'en un mot se conduire selon ces lois est le fait d'une âme moutonnière. Un homme d'esprit ne se pique pas d'agir selon les règles en usage au Châtelet et chez l'official. Il s'inquiète de faire son salut et il ne se croit pas déshonoré pour aller au ciel par les voies détournées que suivirent les plus grands saints. Si la bienheureuse Pélagie n'avait point exercé la profession de laquelle vous savez que vit Jeannette la vielleuse, sous le porche de Saint-Benoît-le-Bétourné, cette sainte n'aurait pas eu lieu d'en faire une ample et copieuse pénitence, et il est infiniment probable qu'après avoir vécu comme une matrone dans une médiocre et banale honnêteté, elle ne jouerait pas du psaltérion, au moment où je vous parle, devant le tabernacle où le Saint des Saints repose dans sa gloire. Appelez-vous désordre une si belle ordonnance de la vie d'une prédestinée? Non point! Il faut laisser ces façons basses de dire à M. le lieutenant de police qui, après sa mort, ne trouvera peut-être pas une petite place derrière les malheureuses qu'aujourd'hui il traîne ignominieusement à l'hôpital. Hors la perte de l'âme et la damnation éternelle, il ne saurait y avoir ni désordre, ni crime, ni mal aucun dans ce monde périssable, où tout doit se régler et s'ajuster en vue du monde divin. Reconnaissez donc, Tournebroche, mon La rotisserie de la Reine Pedauque 44

« —Jacques Tournebroche, me dit un jour ce bon maître, n'êtes-vous point frappé des variations de la morale à travers les siècles? Les livres assemblés dans cette admirable Astaracienne témoignent de l'incertitude des hommes à ce sujet.

Si j'y fais réflexion, mon fils, c'est pour loger dans votre esprit cette idée solide et salutaire qu'il n'est point de bonnes moeurs en dehors de la religion et que les maximes des philosophes, qui prétendent instituer une morale naturelle, ne sont que lubies et billevesées.

La raison des bonnes moeurs ne se trouve point dans la nature qui est, par elle-même, indifférente, ignorant le mal comme le bien.

Elle est dans la Parole divine, qu'il ne faut point transgresser, à moins de s'en repentir ensuite convenablement.

Les lois humaines sont fondées sur l'utilité, et ce ne peut être qu'une utilité apparente et illusoire, car on ne sait pas naturellement ce qui est utile aux hommes, ni ce qui leur convient en réalité.

Encore y a-t-il dans nos Coutumiers une bonne moitié des articles auxquels le préjugé seul a donné naissance.

Soutenues par la menace du châtiment, les lois humaines peuvent être éludées par ruse et dissimulation.

Tout homme capable de réflexion est au-dessus d'elles.

Ce sont proprement des attrape-nigauds. “Il n'en est pas de même, mon fils, des lois divines.

Celles-là sont imprescriptibles, inéluctables et stables. Leur absurdité n'est qu'apparente et cache une sagesse inconcevable.

Si elles blessent notre raison, c'est parce qu'elles y sont supérieures et qu'elles s'accordent avec les vraies fins de l'homme, et non avec ses fins apparentes.

Il convient de les observer, quand on a le bonheur de les connaître.

Toutefois, je ne fais pas de difficulté d'avouer que l'observation de ces lois, contenues dans le Décalogue et dans les commandements de l'Église, est difficile, la plupart du temps, et même impossible sans la grâce qui se fait parfois attendre, puisque c'est un devoir de l'espérer.

C'est pourquoi nous sommes tous de pauvres pécheurs. “Et c'est là qu'il faut admirer l'économie de la religion chrétienne, qui fonde principalement le salut sur le repentir.

Il est à remarquer, mon fils, que les plus grands saints sont des pénitents, et, comme le repentir se proportionne à la faute, c'est dans les plus grands pécheurs que se trouve l'étoffe des plus grands saints.

Je pourrais illustrer cette doctrine d'un grand nombre d'exemples admirables.

Mais j'en ai dit assez pour vous faire sentir que la matière première de la sainteté est la concupiscence, l'incontinence, toutes les impuretés de la chair et de l'esprit.

Il importe seulement, après avoir amassé cette matière, de la travailler selon l'art théologique et de la modeler pour ainsi dire en figure de pénitence, ce qui est l'affaire de quelques années, de quelques jours et parfois d'un seul instant, comme il se voit dans le cas de la contrition parfaite.

Jacques Tournebroche, si vous m'avez bien entendu, vous ne vous épuiserez pas dans des soins misérables pour devenir honnête homme selon le monde, et vous vous étudierez uniquement à satisfaire à la justice divine. Je ne laissai pas de sentir la haute sagesse renfermée dans les maximes de mon bon maître.

Je craignais seulement que cette morale, au cas où elle serait pratiquée sans discernement, ne portât l'homme aux plus grands désordres.

Je fis part de mes doutes à M.

Jérôme Goignard, qui me rassura en ces termes: —Jacobus Tournebroche, vous ne prenez pas garde à ce que je viens de vous dire expressément, à savoir que ce que vous appelez désordres, n'est tel en effet que dans l'opinion des légistes et des juges tant civils qu'ecclésiastiques et par rapport aux lois humaines, qui sont arbitraires et transitoires, et qu'en un mot se conduire selon ces lois est le fait d'une âme moutonnière.

Un homme d'esprit ne se pique pas d'agir selon les règles en usage au Châtelet et chez l'official.

Il s'inquiète de faire son salut et il ne se croit pas déshonoré pour aller au ciel par les voies détournées que suivirent les plus grands saints.

Si la bienheureuse Pélagie n'avait point exercé la profession de laquelle vous savez que vit Jeannette la vielleuse, sous le porche de Saint-Benoît-le-Bétourné, cette sainte n'aurait pas eu lieu d'en faire une ample et copieuse pénitence, et il est infiniment probable qu'après avoir vécu comme une matrone dans une médiocre et banale honnêteté, elle ne jouerait pas du psaltérion, au moment où je vous parle, devant le tabernacle où le Saint des Saints repose dans sa gloire.

Appelez-vous désordre une si belle ordonnance de la vie d'une prédestinée? Non point! Il faut laisser ces façons basses de dire à M.

le lieutenant de police qui, après sa mort, ne trouvera peut-être pas une petite place derrière les malheureuses qu'aujourd'hui il traîne ignominieusement à l'hôpital.

Hors la perte de l'âme et la damnation éternelle, il ne saurait y avoir ni désordre, ni crime, ni mal aucun dans ce monde périssable, où tout doit se régler et s'ajuster en vue du monde divin.

Reconnaissez donc, Tournebroche, mon La rotisserie de la Reine Pedauque La rotisserie de la Reine Pedauque 44. »

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