Devoir de Philosophie

La rotisserie de la Reine Pedauque envoyé ce gros traitant à Catherine, sa créature, il a du moins permis qu'elle le rencontrât.

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

La rotisserie de la Reine Pedauque envoyé ce gros traitant à Catherine, sa créature, il a du moins permis qu'elle le rencontrât. Nous ignorons ses voies, et ce que dit cette innocente contient plus de vérité, encore qu'il s'y trouve quelque mélange et alliage de blasphème, que toutes les vaines paroles que l'impie tire glorieusement du vide de son coeur. Il n'est rien de plus détestable que ce libertinage d'esprit que la jeunesse étale aujourd'hui. Vos paroles font frémir. Y répondrai-je par des preuves tirées des livres saints et des écrits des Pères? Vous ferai-je entendre Dieu parlant aux patriarches et aux prophètes: Si locutus est Abraham et semini ejus in saecula? Déroulerai-je à vos yeux la tradition de l'Église? Invoquerai-je contre vous l'autorité des deux Testaments? Vous confondrai-je avec les miracles du Christ et sa parole aussi miraculeuse que ses actes? Non! je ne prendrai point ces saintes armes; je craindrais trop de les profaner dans ce combat, qui n'est point solennel. L'Église nous avertit, dans sa prudence, qu'il ne faut point s'exposer à ce que l'édification se tourne en scandale. C'est pourquoi je me tairai, monsieur, sur les vérités dans lesquelles je fus nourri au pied des sanctuaires. Mais, sans faire violence à la chaste modestie de mon âme et sans exposer aux profanations les sacrés mystères, je vous montrerai Dieu s'imposant à la raison des hommes; je vous le montrerai dans la philosophie des païens et jusque dans les propos des impies. Oui, monsieur, je vous ferai connaître que vous le confessez vous-même malgré vous, alors que vous prétendez qu'il n'existe pas. Car vous m'accorderez bien que, s'il y a dans le monde un ordre, cet ordre est divin et coule de la source et fontaine de tout ordre. --Je vous l'accorde, répondit M. d'Anquetil renversé dans son fauteuil et caressant son mollet, qu'il avait beau. --Prenez-y donc garde, reprit mon bon maître. Quand vous dites que Dieu n'existe pas, que faites-vous qu'enchaîner des pensées, ordonner des raisons et manifester en vous-même le principe de toute pensée et de toute raison, qui est Dieu? Et peut-on seulement tenter d'établir qu'il n'est pas, sans faire briller par le plus méchant raisonnement, qui est encore un raisonnement, quelque reste de l'harmonie qu'il a établie dans l'univers? --L'abbé, répondit M. d'Anquetil, vous êtes un plaisant sophiste. On sait aujourd'hui que le monde est l'ouvrage du seul hasard, et il ne faut plus parler de providence depuis que les physiciens ont vu dans la lune, au bout de leur lunette, des grenouilles ailées. --Eh bien, monsieur, répliqua mon bon maître, je ne suis pas fâché qu'il y ait dans la lune des grenouilles ailées; ces oiseaux marécageux sont les très dignes habitants d'un monde qui n'a pas été sanctifié par le sang de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Nous ne connaissons, j'en conviens, qu'une petite partie de l'univers, et il se peut, comme le dit M. d'Astarac, qui d'ailleurs est fou, que ce monde ne soit qu'une goutte de boue dans l'infinité des mondes. Il se peut que l'astrologue Copernic n'ait pas tout à fait rêvé en enseignant que la terre n'est point mathématiquement le centre de la création. J'ai lu qu'un Italien du nom de Galilée, qui mourut misérablement, pensa comme ce Copernic; et nous voyons aujourd'hui le petit M. de Fontenelle entrer dans ces raisons. Mais ce n'est là qu'une vaine imagerie, propre seulement à troubler les esprits faibles. Qu'importe que le monde physique soit plus grand ou plus petit, et d'une forme ou d'une autre? Il suffit qu'il ne puisse être considéré que sous les caractères de l'intelligence et de la raison, pour que Dieu y soit manifeste. "Si les méditations d'un sage peuvent vous être de quelque profit, monsieur, je vous apprendrai comment cette preuve de l'existence de Dieu, meilleure que la preuve de saint Anselme et tout à fait indépendante de celles qui résultent de la Révélation, m'apparut soudainement dans toute sa clarté. C'était à Séez, il y a vingt-cinq ans. J'étais bibliothécaire de M. l'évêque, et les fenêtres de la galerie donnaient sur une cour où je voyais tous les matins une fille de cuisine récurer les casseroles de Monseigneur. Elle était jeune, grande et robuste. Un léger duvet qui faisait une ombre sur ses lèvres donnait à son visage une grâce irritante et fière. Ses cheveux emmêlés, sa maigre poitrine, ses longs bras nus étaient dignes d'Adonis autant que de Diane, et c'était une beauté garçonnière. Je l'aimais pour cela; j'aimais ses mains fortes et rouges. Cette fille enfin m'inspirait une convoitise rude et brutale comme elle-même. Vous n'ignorez pas combien de tels sentiments sont impérieux. Je lui fis connaître les miens de ma fenêtre, par un petit nombre de gestes et de paroles. Elle me fit connaître plus brièvement encore qu'elle correspondait à mes sentiments, et me donna rendez-vous, pour la nuit La rotisserie de la Reine Pedauque 57 La rotisserie de la Reine Pedauque prochaine, dans le grenier où elle couchait sur le foin, par l'effet des bontés de Monseigneur, dont elle lavait les écuelles. J'attendis la nuit avec impatience. Quand elle vint enfin couvrir la terre, je pris une échelle et montai dans le grenier où cette fille m'attendait. Ma première pensée fut de l'embrasser; la seconde, d'admirer cet enchaînement qui m'avait conduit dans ses bras. Car enfin, monsieur, un jeune ecclésiastique, une fille de cuisine, une échelle, une botte de foin! quelle suite, quelle ordonnance! quel concours d'harmonies préétablies, quel enchaînement d'effets et de causes! quelle preuve de l'existence de Dieu! C'est ce dont je fus étrangement frappé, et je me réjouis de pouvoir ajouter cette démonstration profane aux raisons que fournit la théologie et qui sont, d'ailleurs, amplement suffisantes. --L'abbé, dit Catherine, ce qu'il y a de mauvais dans votre affaire, c'est que cette fille n'avait pas de poitrine. Une femme sans poitrine, c'est un lit sans oreillers. Mais ne savez-vous pas, d'Anquetil, ce qu'il convient de faire? --Oui, dit-il, c'est de jouer à l'hombre, qui se joue à trois. --Si vous voulez, reprit-elle. Mais je vous prie, mon ami, de faire apporter des pipes. Rien n'est plus agréable que de fumer une pipe de tabac en buvant du vin. Un laquais apporta des cartes et les pipes que nous allumâmes. La chambre fut bientôt remplie d'une épaisse fumée au milieu de laquelle notre hôte et M. l'abbé Coignard jouaient gravement au piquet. La chance favorisa mon bon maître, jusqu'au moment où M. d'Anquetil, croyant le voir pour la troisième fois marquer cinquante-cinq lorsqu'il n'avait que quarante, l'appela grec, vilain pipeur, chevalier de Transylvanie et lui jeta à la tête une bouteille qui se brisa sur la table qu'elle inonda de vin. --Il faudra donc, monsieur, dit l'abbé, que vous preniez la peine de faire déboucher une autre bouteille, car nous avons grand'soif. --Volontiers, dit M. d'Anquetil, mais sachez, l'abbé, qu'un galant homme ne marque pas les points qu'il n'a pas et ne fait sauter la carte qu'au jeu du Roi, où se trouvent toutes sortes de personnes à qui l'on ne doit rien. Partout ailleurs, c'est une vilenie. L'abbé, voulez-vous donc qu'on vous prenne pour un aventurier? --Il est remarquable, dit mon bon maître, qu'on blâme au jeu de cartes ou de dés une pratique recommandée dans les arts de la guerre, de la politique et du négoce, où l'on s'honore de corriger les injures de la fortune. Ce n'est pas que je ne me pique de probité aux cartes. J'y suis, Dieu merci, fort exact, et vous rêviez, monsieur, quand vous avez cru voir que je marquais des points que je n'avais pas. S'il en était autrement, j'invoquerais l'exemple du bienheureux évêque de Genève, qui ne se faisait pas scrupule de tricher au jeu. Mais je ne puis me défendre de faire réflexion que les hommes sont plus délicats au jeu que dans les affaires sérieuses et qu'ils mettent la probité dans le trictrac où elle les gêne médiocrement, et ne la mettent pas dans une bataille ou dans un traité de paix, où elle serait importune. Élien, monsieur, a écrit en grec un livre dés stratagèmes, qui montre à quel excès la ruse est portée chez les grands capitaines. --L'abbé, dit M. d'Anquetil, je n'ai pas lu votre Élien, et ne le lirai de ma vie. Mais j'ai fait la guerre comme tout bon gentilhomme. J'ai servi le Roi pendant dix-huit mois. C'est l'emploi le plus noble. Je vais vous dire en quoi il consiste exactement. C'est un secret que je puis bien vous confier, puisqu'il n'y a pour l'entendre ici que vous, des bouteilles, monsieur, que je vais tuer tout à l'heure, et cette fille qui se déshabille. --Oui, dit Catherine, je me mets en chemise, parce que j'ai trop chaud. La rotisserie de la Reine Pedauque 58

« prochaine, dans le grenier où elle couchait sur le foin, par l'effet des bontés de Monseigneur, dont elle lavait les écuelles.

J'attendis la nuit avec impatience.

Quand elle vint enfin couvrir la terre, je pris une échelle et montai dans le grenier où cette fille m'attendait.

Ma première pensée fut de l'embrasser; la seconde, d'admirer cet enchaînement qui m'avait conduit dans ses bras.

Car enfin, monsieur, un jeune ecclésiastique, une fille de cuisine, une échelle, une botte de foin! quelle suite, quelle ordonnance! quel concours d'harmonies préétablies, quel enchaînement d'effets et de causes! quelle preuve de l'existence de Dieu! C'est ce dont je fus étrangement frappé, et je me réjouis de pouvoir ajouter cette démonstration profane aux raisons que fournit la théologie et qui sont, d'ailleurs, amplement suffisantes. —L'abbé, dit Catherine, ce qu'il y a de mauvais dans votre affaire, c'est que cette fille n'avait pas de poitrine. Une femme sans poitrine, c'est un lit sans oreillers.

Mais ne savez-vous pas, d'Anquetil, ce qu'il convient de faire? —Oui, dit-il, c'est de jouer à l'hombre, qui se joue à trois. —Si vous voulez, reprit-elle.

Mais je vous prie, mon ami, de faire apporter des pipes.

Rien n'est plus agréable que de fumer une pipe de tabac en buvant du vin. Un laquais apporta des cartes et les pipes que nous allumâmes.

La chambre fut bientôt remplie d'une épaisse fumée au milieu de laquelle notre hôte et M.

l'abbé Coignard jouaient gravement au piquet. La chance favorisa mon bon maître, jusqu'au moment où M.

d'Anquetil, croyant le voir pour la troisième fois marquer cinquante-cinq lorsqu'il n'avait que quarante, l'appela grec, vilain pipeur, chevalier de Transylvanie et lui jeta à la tête une bouteille qui se brisa sur la table qu'elle inonda de vin. —Il faudra donc, monsieur, dit l'abbé, que vous preniez la peine de faire déboucher une autre bouteille, car nous avons grand'soif. —Volontiers, dit M.

d'Anquetil, mais sachez, l'abbé, qu'un galant homme ne marque pas les points qu'il n'a pas et ne fait sauter la carte qu'au jeu du Roi, où se trouvent toutes sortes de personnes à qui l'on ne doit rien. Partout ailleurs, c'est une vilenie.

L'abbé, voulez-vous donc qu'on vous prenne pour un aventurier? —Il est remarquable, dit mon bon maître, qu'on blâme au jeu de cartes ou de dés une pratique recommandée dans les arts de la guerre, de la politique et du négoce, où l'on s'honore de corriger les injures de la fortune.

Ce n'est pas que je ne me pique de probité aux cartes.

J'y suis, Dieu merci, fort exact, et vous rêviez, monsieur, quand vous avez cru voir que je marquais des points que je n'avais pas.

S'il en était autrement, j'invoquerais l'exemple du bienheureux évêque de Genève, qui ne se faisait pas scrupule de tricher au jeu.

Mais je ne puis me défendre de faire réflexion que les hommes sont plus délicats au jeu que dans les affaires sérieuses et qu'ils mettent la probité dans le trictrac où elle les gêne médiocrement, et ne la mettent pas dans une bataille ou dans un traité de paix, où elle serait importune.

Élien, monsieur, a écrit en grec un livre dés stratagèmes, qui montre à quel excès la ruse est portée chez les grands capitaines. —L'abbé, dit M.

d'Anquetil, je n'ai pas lu votre Élien, et ne le lirai de ma vie.

Mais j'ai fait la guerre comme tout bon gentilhomme.

J'ai servi le Roi pendant dix-huit mois.

C'est l'emploi le plus noble.

Je vais vous dire en quoi il consiste exactement.

C'est un secret que je puis bien vous confier, puisqu'il n'y a pour l'entendre ici que vous, des bouteilles, monsieur, que je vais tuer tout à l'heure, et cette fille qui se déshabille. —Oui, dit Catherine, je me mets en chemise, parce que j'ai trop chaud.

La rotisserie de la Reine Pedauque La rotisserie de la Reine Pedauque 58. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles