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La Terre facile et plus drole, mettez-vous en greve.

Publié le 11/04/2014

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La Terre facile et plus drole, mettez-vous en greve. Vous avez tous des sous, vous vous enteterez aussi longtemps qu'il faudra. Ne cultivez que pour vos besoins, ne portez plus rien au marche, pas un sac de ble, pas un boisseau de pommes de terre. Ce qu'on creverait a Paris! quel nettoyage, nom de Dieu! On aurait dit que, par la fenetre ouverte, un coup de froid entrait, venu de loin, des profondeurs noires. Les lampes a petrole filaient tres haut. Personne n'interrompait plus l'enrage, malgre les mauvais compliments qu'il faisait a chacun. Il finit en gueulant, en cognant son livre sur une table, dont les verres tintaient. --Je vous dis ca, mais je suis tranquille.... Vous avez beau etre laches, c'est vous autres qui foutrez tout par terre, quand l'heure viendra. Il en a ete souvent ainsi, il en sera de meme encore. Attendez que la misere et la faim vous jettent sur les villes comme des loups.... Et ce ble qu'on amene, l'occasion est peut-etre bien la. Quand il y en aura de trop, il n'y en aura pas assez, on reverra les disettes. C'est toujours pour le ble qu'on se revolte et qu'on se tue.... Oui, oui, les villes brulees et rasees, les villages deserts, les terres incultes, envahies par les ronces, et du sang, des ruisseaux de sang, pour qu'elles puissent redonner du pain aux hommes qui naitront apres nous! Lequeu, violemment, avait ouvert la porte. Il disparut. Derriere lui, dans la stupeur, un cri monta. Ah! le brigand, on aurait du le saigner! Un homme si tranquille jusque-la! bien sur qu'il devenait fou. Sorti de son calme habituel, Delhomme declara qu'il allait ecrire au prefet; et les autres l'y pousserent. Mais c'etaient surtout Jesus-Christ et son ami Canon qui semblaient hors d'eux, le premier avec son 89, sa devise humanitaire de liberte, egalite, fraternite, le second avec son organisation sociale, autoritaire et scientifique. Ils en restaient pales, exasperes de n'avoir pas trouve un mot a repondre, s'indignant plus fort que les paysans, criant qu'un particulier de cette espece, on devrait le guillotiner. Buteau, devant tout le sang que ce furieux avait demande, ce fleuve de sang qu'il lachait du geste sur la terre, s'etait leve dans un frisson, la tete agitee de secousses nerveuses, inconscientes, comme s'il approuvait. Puis, il se coula le long du mur, le regard oblique pour voir si on ne le suivait pas, et il disparut a son tour. Tout de suite, les conscrits recommencerent leur noce. Ils vociferaient, ils voulaient que Flore leur fit cuire des saucisses, lorsque Nenesse les bouscula, en leur montrant Delphin qui venait de tomber evanoui, le nez sur la table. Le pauvre bougre etait d'une blancheur de linge. Son mouchoir, glisse de sa main blessee, se tachait de plaques rouges. Alors, on hurla dans l'oreille de Becu, toujours endormi; et il s'eveilla enfin, il regarda le poing mutile de son garcon. Sans doute il comprit, car il empoigna un litre, pour l'achever, gueulait-il. Ensuite, lorsqu'il l'eut emmene, chancelant, ou l'entendit dehors, au milieu de ses jurons, eclater en larmes. Ce soir-la, Hourdequin ayant appris au diner l'accident de Francoise, vint a Rognes demander des nouvelles, par amitie pour Jean. Sorti a pied, fumant sa pipe dans la nuit noire, roulant ses chagrins au milieu du grand silence, il descendit la cote, avant d'entrer chez son ancien serviteur, calme un peu, desireux d'allonger la route. Mais, en bas, la voix de Lequeu, que la fenetre ouverte du cabaret semblait souffler aux tenebres de la campagne, l'arreta, immobile dans l'ombre. Puis, lorsqu'il se fut decide a remonter, elle le suivit; et maintenant encore, devant la maison de Jean, il l'entendait amincie et comme aiguisee par la distance, toujours aussi nette, d'un fil tranchant de couteau. Dehors, a cote de la porte, Jean etait adosse au mur. Il ne pouvait plus rester pres du lit de Francoise, il etouffait, il souffrait trop. --Eh bien! mon pauvre garcon, demanda Hourdequin, comment ca va-t-il, chez vous? Le malheureux eut un geste accable. IV 253 La Terre --Ah! monsieur, elle se meurt! Et ni l'un ni l'autre n'en dirent davantage, le grand silence retomba, tandis que la voix de Lequeu montait toujours, vibrante, obstinee. Au bout de quelques minutes, le fermier, qui ecoutait malgre lui, laissa echapper ces mots de colere: --Hein? l'entendez-vous gueuler, celui-la! Comme c'est drole, ce qu'il dit, quand on est triste! Tous ses chagrins l'avaient repris, a cette voix effrayante, pres de cette femme qui agonisait. La terre qu'il aimait tant, d'une passion sentimentale, intellectuelle presque, l'achevait, depuis les dernieres recoltes. Sa fortune y avait passe, bientot la Borderie ne lui donnerait meme plus de quoi manger. Rien n'y avait fait, ni l'energie, ni les cultures nouvelles, les engrais, les machines. Il expliquait son desastre par son manque de capitaux; encore doutait-il, car la ruine etait generale, les Robiquet venaient d'etre expulses de la Chamade dont ils ne payaient, pas les fermages, les Coquart allaient etre forces de vendre leur ferme, de Saint-Juste. Et pas moyen de briser la geole, jamais il ne s'etait senti, davantage le prisonnier de sa terre, chaque jour l'argent engage, le travail depense l'y avaient rive d'une chaine plus courte. La catastrophe approchait, qui terminerait l'antagonisme seculaire de la petite propriete et de la grande, en les tuant toutes les deux. C'etait le commencement des temps predits, le ble au-dessous de seize francs, le ble vendu a perte, la faillite de la terre, que des causes sociales amenaient, plus fortes decidement que la volonte des hommes. Et, brusquement, Hourdequin, saignant dans sa defaite, approuva Lequeu. --Nom de Dieu! il a raison.... Que tout craque, que nous crevions tous, que les ronces poussent partout, puisque la race est finie et la terre epuisee! Il ajouta, en faisant allusion a Jacqueline: --Moi, heureusement, j'ai sous la peau un autre mal qui m'aura casse les reins avant ca. Mais, dans la maison, on entendit la Grande et la Frimat marcher, chuchoter. Jean frissonna, a ce leger bruit. Il rentra, trop tard. Francoise etait morte, peut-etre depuis longtemps. Elle n'avait pas rouvert les yeux, pas desserre les levres. La Grande venait simplement de s'apercevoir qu'elle n'etait plus, en la touchant. Tres blanche, la face amincie et tetue, elle semblait dormir. Debout au pied du lit, Jean la regarda, hebete d'idees confuses, la peine qu'il avait, la surprise qu'elle n'eut pas voulu faire de testament, la sensation que quelque chose se brisait et finissait dans son existence. A ce moment, comme Hourdequin, apres avoir salue en silence, s'en allait, assombri encore, il vit, sur la route, une ombre se detacher de la fenetre et galoper au fond des tenebres. L'idee lui vint de quelque chien rodeur. C'etait Buteau qui, monte pour guetter la mort, courait l'annoncer a Lise. V Le lendemain, dans la matinee, on achevait de mettre en biere le corps de Francoise, et le cercueil restait au milieu de la chambre, sur deux chaises, lorsque Jean eut un sursaut de surprise indignee, en voyant entrer Lise et Buteau, l'un derriere l'autre. Son premier geste fut pour les chasser, ces parents sans coeur qui n'etaient pas venus embrasser la mourante, et qui arrivaient enfin des qu'on avait cloue le cercueil sur elle, comme delivres de la crainte de se retrouver en sa presence. Mais les membres presents de la famille, Fanny, la Grande, l'arreterent: ca ne portait pas chance, de se disputer autour d'un mort; puis, quoi? on ne pouvait empecher Lise de racheter sa rancune, en se decidant a veiller les restes de sa soeur. V 254

« —Ah! monsieur, elle se meurt! Et ni l'un ni l'autre n'en dirent davantage, le grand silence retomba, tandis que la voix de Lequeu montait toujours, vibrante, obstinee. Au bout de quelques minutes, le fermier, qui ecoutait malgre lui, laissa echapper ces mots de colere: —Hein? l'entendez-vous gueuler, celui-la! Comme c'est drole, ce qu'il dit, quand on est triste! Tous ses chagrins l'avaient repris, a cette voix effrayante, pres de cette femme qui agonisait.

La terre qu'il aimait tant, d'une passion sentimentale, intellectuelle presque, l'achevait, depuis les dernieres recoltes.

Sa fortune y avait passe, bientot la Borderie ne lui donnerait meme plus de quoi manger.

Rien n'y avait fait, ni l'energie, ni les cultures nouvelles, les engrais, les machines.

Il expliquait son desastre par son manque de capitaux; encore doutait-il, car la ruine etait generale, les Robiquet venaient d'etre expulses de la Chamade dont ils ne payaient, pas les fermages, les Coquart allaient etre forces de vendre leur ferme, de Saint-Juste.

Et pas moyen de briser la geole, jamais il ne s'etait senti, davantage le prisonnier de sa terre, chaque jour l'argent engage, le travail depense l'y avaient rive d'une chaine plus courte.

La catastrophe approchait, qui terminerait l'antagonisme seculaire de la petite propriete et de la grande, en les tuant toutes les deux.

C'etait le commencement des temps predits, le ble au-dessous de seize francs, le ble vendu a perte, la faillite de la terre, que des causes sociales amenaient, plus fortes decidement que la volonte des hommes. Et, brusquement, Hourdequin, saignant dans sa defaite, approuva Lequeu. —Nom de Dieu! il a raison....

Que tout craque, que nous crevions tous, que les ronces poussent partout, puisque la race est finie et la terre epuisee! Il ajouta, en faisant allusion a Jacqueline: —Moi, heureusement, j'ai sous la peau un autre mal qui m'aura casse les reins avant ca. Mais, dans la maison, on entendit la Grande et la Frimat marcher, chuchoter.

Jean frissonna, a ce leger bruit.

Il rentra, trop tard.

Francoise etait morte, peut-etre depuis longtemps.

Elle n'avait pas rouvert les yeux, pas desserre les levres.

La Grande venait simplement de s'apercevoir qu'elle n'etait plus, en la touchant.

Tres blanche, la face amincie et tetue, elle semblait dormir.

Debout au pied du lit, Jean la regarda, hebete d'idees confuses, la peine qu'il avait, la surprise qu'elle n'eut pas voulu faire de testament, la sensation que quelque chose se brisait et finissait dans son existence. A ce moment, comme Hourdequin, apres avoir salue en silence, s'en allait, assombri encore, il vit, sur la route, une ombre se detacher de la fenetre et galoper au fond des tenebres.

L'idee lui vint de quelque chien rodeur. C'etait Buteau qui, monte pour guetter la mort, courait l'annoncer a Lise. V Le lendemain, dans la matinee, on achevait de mettre en biere le corps de Francoise, et le cercueil restait au milieu de la chambre, sur deux chaises, lorsque Jean eut un sursaut de surprise indignee, en voyant entrer Lise et Buteau, l'un derriere l'autre.

Son premier geste fut pour les chasser, ces parents sans coeur qui n'etaient pas venus embrasser la mourante, et qui arrivaient enfin des qu'on avait cloue le cercueil sur elle, comme delivres de la crainte de se retrouver en sa presence.

Mais les membres presents de la famille, Fanny, la Grande, l'arreterent: ca ne portait pas chance, de se disputer autour d'un mort; puis, quoi? on ne pouvait empecher Lise de racheter sa rancune, en se decidant a veiller les restes de sa soeur.

La Terre V 254. »

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