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La Terre Francoise joignit les mains, suppliante.

Publié le 11/04/2014

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La Terre Francoise joignit les mains, suppliante. --Oh! va chercher monsieur Patoir!... Ca coutera ce que ca coutera, va chercher monsieur Patoir! Il etait devenu sombre. Apres un dernier combat, sans repondre un mot, il sortit la carriole. La Frimat, qui affectait de ne plus s'occuper de la vache, depuis qu'on reparlait du veterinaire, s'inquietait maintenant de Lise. Elle etait bonne aussi pour les accouchements, toutes les voisines lui passaient par les mains. Et elle semblait soucieuse, elle ne cachait point ses craintes a la Becu, qui rappela Buteau, en train d'atteler. --Ecoutez... Elle souffre beaucoup, votre femme. Si vous rameniez aussi un medecin. Il demeura muet, les yeux arrondis. Quoi donc? encore une qui voulait se faire dorloter! Bien sur qu'il ne payerait pas pour tout le monde! --Mais non! mais non! cria Lise entre deux coliques. Ca ira toujours, moi! On n'a pas d'argent a jeter par les fenetres. Buteau se hata de fouetter son cheval, et la carriole se perdit sur la route de Cloyes, dans la nuit tombante. Lorsque, deux heures plus tard, Patoir arriva enfin, il trouva tout au meme point, la Coliche ralant sur le flanc, et Lise se tordant comme un ver, a moitie glisse de sa chaise. Il y avait vingt-quatre heures que les choses duraient. --Pour laquelle, voyons? demanda le veterinaire, qui etait d'esprit jovial. Et, tout de suite, tutoyant Lise: --Alors, ma grosse, si ce n'est pas pour toi, fais-moi le plaisir de te coller dans ton lit. Tu en as besoin. Elle ne repondit pas, elle ne s'en alla pas. Deja, il examinait la vache. --Fichtre! elle est dans un foutu etat, votre bete. Vous venez toujours me chercher trop tard... Et vous avez tire, je vois ca. Hein? vous l'auriez plutot fendue en deux, que d'attendre, sacres maladroits! Tous l'ecoutaient, la mine basse, l'air respectueux et desespere; et, seule, la Frimat pincait les levres, pleine de mepris. Lui, otant son paletot, retroussant ses manches, rentrait les pieds, apres les avoir noues d'une ficelle, pour les ravoir; puis, il plongea la main droite. --Pardi! reprit-il au bout d'un instant, c'est bien ce que je pensais: la tete se trouve repliee a gauche, vous auriez pu tirer jusqu'a demain, jamais il ne serait sorti... Et, vous savez, mes enfants, il est fichu, votre veau. Je n'ai pas envie de me couper les doigts a ses quenottes, pour le retourner. D'ailleurs, je ne l'aurais pas davantage, et j'abimerais la mere. Francoise eclata en sanglots. --Monsieur Patoir, je vous en prie, sauvez notre vache... Cette pauvre Coliche qui m'aime... Et Lise, qu'une tranchee verdissait, et Buteau, bien portant, si dur au mal des autres, se lamentaient, s'attendrissaient, dans la meme supplication. V 139 La Terre --Sauvez notre vache, notre vieille vache qui nous donne de si bon lait, depuis des annees et des annees... Sauvez-la, monsieur Patoir... --Mais, entendons-nous bien, je vas etre force de decouper le veau. --Ah! le veau, on s'en fout, du veau!... Sauvez notre vache, monsieur Patoir, sauvez-la! Alors, le veterinaire, qui avait apporte un grand tablier bleu, se fit preter un pantalon de toile; et, s'etant mis tout nu dans un coin, derriere la Rougette, il enfila simplement le pantalon, puis attacha le tablier a ses reins. Quand il reparut, avec sa bonne face de dogue, gros et court dans ce costume leger, la Coliche souleva la tete, s'arreta de se plaindre, etonnee sans doute. Mais personne n'eut un sourire, tellement l'attente serrait les coeurs. --Allumez des chandelles! Il en fit planter quatre par terre, et il s'allongea sur le ventre, dans la paille, derriere la vache, qui ne pouvait plus se lever. Un instant, il resta aplati, le nez entre les cuisses de la bete. Ensuite, il se decida a tirer sur la ficelle, pour ramener les pieds, qu'il examina attentivement. Pres de lui, il avait pose une petite boite longue, et il se redressait sur un coude, et il en sortait un bistouri, lorsqu'un gemissement rauque l'etonna et le fit s'asseoir. --Comment! ma grosse, tu es encore la?... Aussi, je me disais: ce n'est pas la vache! C'etait Lise, prise des grandes douleurs, qui poussait, les flancs arraches. --Mais, nom de Dieu! va donc faire ton affaire chez toi, et laisse-moi faire la mienne ici! Ca me derange, ca me tape sur les nerfs, parole d'honneur! de t'entendre pousser derriere moi... Voyons, est-ce qu'il y a du bon sens! emmenez-la, vous autres! La Frimat et la Becu se deciderent a prendre chacune Lise sous un bras et a la conduire dans sa chambre. Elle s'abandonnait, elle n'avait plus la force de resister. Mais, en traversant la cuisine, ou brulait une chandelle solitaire, elle exigea pourtant qu'on laissat toutes les portes ouvertes, dans l'idee qu'elle serait ainsi moins loin. Deja, la Frimat avait prepare le lit de misere, selon l'usage des campagnes: un simple drap jete au milieu de la piece, sur une botte de paille, et trois chaises renversees. Lise s'accroupit, s'ecartela, adossee a une des chaises, la jambe droite contre la seconde, la gauche contre la troisieme. Elle ne s'etait pas meme deshabillee, ses pieds s'arc-boutaient dans leurs savates, ses bas bleus montaient a ses genoux; et sa jupe, rejetee sur sa gorge, decouvrait son ventre monstrueux, ses cuisses grasses, tres blanches, si elargies, qu'on lui voyait jusqu'au coeur. Dans l'etable, Buteau et Francoise etaient restes pour eclairer Patoir, tous les deux assis sur leurs talons, approchant chacun une chandelle, tandis que le veterinaire, allonge de nouveau, pratiquait au bistouri une section autour du jarret de gauche. Il decolla la peau, tira sur l'epaule qui se depouilla et s'arracha. Mais Francoise, palissante, defaillante, laissa tomber sa chandelle et s'enfuit en criant: --Ma pauvre vieille Coliche... Je ne veux pas voir ca! je ne veux pas voir ca! Patoir s'emporta, d'autant plus qu'il dut se relever, pour eteindre un commencement d'incendie, determine dans la paille par la chute de la chandelle. --Nom de Dieu de gamine! ca vous a des nerfs de princesse!... Elle nous fumerait comme des jambons. V 140

« —Sauvez notre vache, notre vieille vache qui nous donne de si bon lait, depuis des annees et des annees... Sauvez-la, monsieur Patoir... —Mais, entendons-nous bien, je vas etre force de decouper le veau. —Ah! le veau, on s'en fout, du veau!...

Sauvez notre vache, monsieur Patoir, sauvez-la! Alors, le veterinaire, qui avait apporte un grand tablier bleu, se fit preter un pantalon de toile; et, s'etant mis tout nu dans un coin, derriere la Rougette, il enfila simplement le pantalon, puis attacha le tablier a ses reins. Quand il reparut, avec sa bonne face de dogue, gros et court dans ce costume leger, la Coliche souleva la tete, s'arreta de se plaindre, etonnee sans doute.

Mais personne n'eut un sourire, tellement l'attente serrait les coeurs. —Allumez des chandelles! Il en fit planter quatre par terre, et il s'allongea sur le ventre, dans la paille, derriere la vache, qui ne pouvait plus se lever.

Un instant, il resta aplati, le nez entre les cuisses de la bete.

Ensuite, il se decida a tirer sur la ficelle, pour ramener les pieds, qu'il examina attentivement.

Pres de lui, il avait pose une petite boite longue, et il se redressait sur un coude, et il en sortait un bistouri, lorsqu'un gemissement rauque l'etonna et le fit s'asseoir. —Comment! ma grosse, tu es encore la?...

Aussi, je me disais: ce n'est pas la vache! C'etait Lise, prise des grandes douleurs, qui poussait, les flancs arraches. —Mais, nom de Dieu! va donc faire ton affaire chez toi, et laisse-moi faire la mienne ici! Ca me derange, ca me tape sur les nerfs, parole d'honneur! de t'entendre pousser derriere moi...

Voyons, est-ce qu'il y a du bon sens! emmenez-la, vous autres! La Frimat et la Becu se deciderent a prendre chacune Lise sous un bras et a la conduire dans sa chambre.

Elle s'abandonnait, elle n'avait plus la force de resister.

Mais, en traversant la cuisine, ou brulait une chandelle solitaire, elle exigea pourtant qu'on laissat toutes les portes ouvertes, dans l'idee qu'elle serait ainsi moins loin. Deja, la Frimat avait prepare le lit de misere, selon l'usage des campagnes: un simple drap jete au milieu de la piece, sur une botte de paille, et trois chaises renversees.

Lise s'accroupit, s'ecartela, adossee a une des chaises, la jambe droite contre la seconde, la gauche contre la troisieme.

Elle ne s'etait pas meme deshabillee, ses pieds s'arc-boutaient dans leurs savates, ses bas bleus montaient a ses genoux; et sa jupe, rejetee sur sa gorge, decouvrait son ventre monstrueux, ses cuisses grasses, tres blanches, si elargies, qu'on lui voyait jusqu'au coeur. Dans l'etable, Buteau et Francoise etaient restes pour eclairer Patoir, tous les deux assis sur leurs talons, approchant chacun une chandelle, tandis que le veterinaire, allonge de nouveau, pratiquait au bistouri une section autour du jarret de gauche.

Il decolla la peau, tira sur l'epaule qui se depouilla et s'arracha.

Mais Francoise, palissante, defaillante, laissa tomber sa chandelle et s'enfuit en criant: —Ma pauvre vieille Coliche...

Je ne veux pas voir ca! je ne veux pas voir ca! Patoir s'emporta, d'autant plus qu'il dut se relever, pour eteindre un commencement d'incendie, determine dans la paille par la chute de la chandelle. —Nom de Dieu de gamine! ca vous a des nerfs de princesse!...

Elle nous fumerait comme des jambons.

La Terre V 140. »

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