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L'Argent Vendre, pourquoi ?

Publié le 11/04/2014

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L'Argent Vendre, pourquoi ? En voilà une folie ! Demain, nous serons les maîtres, l'Universelle remontera à trois mille cent : Et tenez bon, quoi qu'il arrive : vous serez contente du dernier cours... Je ne puis pas vous en dire davantage. " La baronne était partie, Daigremont s'habillait enfin, lorsqu'un coup de timbre annonça une troisième visite. Ah ! celui-là, non ! il ne le recevrait pas. Mais, lorsqu'on lui eut remis la carte de Delarocque, il cria tout de suite de faire entrer ; et, comme l'agent, l'air très ému, attendait pour parler, il renvoya son valet de chambre, achevant lui- même de mettre sa cravate blanche, devant une haute glace. " Mon cher, voilà ! dit Delarocque, avec sa familiarité d'homme du même cercle. Je m'en remets à votre amitié, n'est-ce pas ? parce que c'est assez délicat... Imaginez-vous que Jacoby, mon beau-frère, vient d'avoir la gentillesse de me prévenir d'un coup qui se prépare. A la Bourse de demain, Gundermann et les autres sont décidés à faire sauter l'Universelle. Ils vont jeter tout le paquet sur le marché... Jacoby a déjà les ordres, il est accouru... Fichtre ! lâcha simplement Daigremont devenu pâle. Vous comprenez, j'ai de très fortes positions à la hausse engagées chez moi, oui ! pour une quinzaine de millions, de quoi y laisser bras et jambes... Alors, n'est-ce pas ? j'ai pris une voiture et je fais le tour de mes clients sérieux. Ce n'est pas correct, mais l'intention est bonne... Fichtre ! répéta l'autre. Enfin, mon bon ami, comme vous jouez à découvert, je viens vous prier de me couvrir ou de défaire votre position. " Daigremont eut un cri : " Défaites, défaites, mon cher... Ah ! non, par exemple ! je ne reste pas dans les maisons qui croulent, c'est de l'héroïsme inutile... N'achetez pas, vendez ! J'en ai pour près de trois millions chez vous, vendez, vendez tout. " Et, comme Delarocque se sauvait, en disant qu'il avait d'autres clients à voir, il lui prit les mains, les serra énergiquement. " Merci, je n'oublierai jamais. Vendez, vendez tout ! " Resté seul, il rappela son valet de chambre, pour se faire arranger la chevelure et la barbe. Ah ! quelle école ! il avait failli, cette fois, se laisser jouer comme un enfant. Voilà ce que c'était que de se mettre avec un fou ! Le soir, à la petite Bourse de huit heures, la panique commença. Cette Bourse se tenait alors sur le trottoir du boulevard des Italiens, à l'entrée du passage de l'Opéra ; et il n'y avait là que la coulisse, opérant au milieu d'une cohue louche de courtiers, de remisiers, de spéculateurs véreux. Des camelots circulaient, des ramasseurs de bouts de cigare se jetaient à quatre pattes, au milieu du piétinement des groupes. C'était, barrant le boulevard, un entassement obstiné de troupeau, que le flot des promeneurs emportait, séparait, et qui se reformait toujours. Ce soir-là, près de deux mille personnes stationnaient ainsi, grâce à la douceur du ciel couvert et fumeux, qui annonçait de la pluie, après des froids terribles. Le marché était très actif, on offrait l'Universelle, de tous côtés, les cours tombaient rapidement. Aussi, bientôt, des rumeurs coururent, toute une anxiété naissante. Que se passait-il donc ? A demi-voix, on se nommait les vendeurs probables, selon le remisier qui donnait l'ordre, ou le coulissier qui l'exécutait. Puisque les gros vendaient de la sorte, il se préparait quelque chose de grave, sûrement. Et, de huit heures à dix heures, ce fut une bousculade, tous les X 181 L'Argent joueurs de flair défirent leurs positions, il y en eut même qui, d'acheteurs, eurent le temps de se mettre vendeurs. On alla se coucher dans un malaise de fièvre, comme à la veille des grands désastres. Le lendemain, le temps fut exécrable. Il avait plu toute la nuit, une petite pluie glaciale noyait la ville, changée par le dégel en un cloaque de boue, jaune et liquide. La Bourse, dès midi et demi, damait dans ce ruissellement. Réfugiée sous le péristyle et dans la salle, la foule était énorme ; et la salle, bientôt, avec les parapluies mouillés qui s'égouttaient, se trouva changée en une immense flaque d'eau bourbeuse. La crasse noire des murs suintait, il ne tombait du toit vitré qu'un jour bas et roussâtre, d'une désespérée mélancolie. Au milieu des mauvais bruits qui couraient, des histoires extraordinaires détraquant les têtes, tous les regards, dès l'entrée, cherchaient Saccard, le dévisageaient. Il était à son poste, debout, près du pilier accoutumé ; et il avait l'air des autres jours, des jours triomphants, son air de gaieté brave et d'absolue confiance. Il n'ignorait pas que l'Universelle avait baissé de trois cents francs la veille, à la petite Bourse du soir ; il flairait un danger immense, il s'attendait à un furieux assaut des baissiers ; mais son plan de bataille lui semblait inattaquable, le mouvement tournant de Daigremont, l'arrivée imprévue d'une armée fraîche de millions devait tout emporter et lui assurer une fois de plus la victoire. Lui, désormais, se trouvait sans ressources ; les caisses de l'Universelle étaient vides, il en avait gratté jusqu'aux centimes ; et il ne désespérait pourtant pas, il s'était fait reporter par Mazaud, il l'avait conquis à un tel point, en lui confiant l'appui du syndicat de Daigremont, que l'agent, sans couverture, venait encore d'accepter des ordres d'achat pour plusieurs millions. La tactique arrêtée entre eux était de ne pas trop laisser tomber les cours, au début de la Bourse, de les soutenir, de guerroyer, en attendant l'armée de renfort. L'émotion était si vive, que Massias et Sabatani, renonçant à des ruses inutiles, maintenant que la vraie situation faisait l'objet de tous les commérages, vinrent causer ouvertement avec Saccard, puis coururent porter ses recommandations dernières, l'un à Nathansohn, sous le péristyle, l'autre à Mazaud, encore dans le cabinet des agents de change. Il était une heure moins dix, et Moser qui arrivait, blême d'une crise de foie, dont la morsure l'avait empêché de fermer l'oeil, la nuit précédente, fit remarquer à Pillerault que tout le monde, ce jour-là était jaune et avait l'air malade. Pillerault, que l'approche des désastres redressait dans des fanfaronnades de chevalier errant, partit d'un éclat de rire. " Mais c'est vous, mon cher, qui avez la colique. Tout le monde est très gai. Nous allons nous flanquer une de ces tripotées dont on se souvient longtemps. " La vérité était que, dans l'anxiété générale, la salle restait morue, sous le jour roussâtre, et cela se sentait surtout au grondement affaibli des voix. Ce n'était plus l'éclat tumultueux des grands jours de hausse, l'agitation, le vacarme d'une marée, débordant de toutes parts en conquérante. On ne courait plus, on ne criait plus, on se glissait, on parlait bas, comme dans la maison d'un malade. Bien que la foule fût considérable, et que l'on s'étouffât pour circuler, un murmure seulement s'élevait, navré, le chuchotement des craintes qui couraient, des nouvelles déplorables qu'on échangeait à l'oreille. Beaucoup se taisaient, livides, la face contractée, avec des yeux élargis, qui interrogeaient désespérément les autres visages. " Salmon, vous ne dites rien ? demanda Pillerault, plein d'une ironie agressive. Parbleu ! murmura Moser, il est comme les autres, il n'a rien à dire, il a peur. " En effet, ce jour-là, les silences de Salmon n'inquiétaient plus personne, dans l'attente profonde et muette de tous. Mais c'était autour de Saccard que se pressait surtout un flot de clients, frémissants d'incertitude, avides d'une bonne parole. On remarqua plus tard que Daigremont ne s'était pas montré, pas plus que le député Huret, averti sans doute, redevenu le chien fidèle de Rougon. Kolb, au milieu d'un groupe de banquiers, affectait X 182

« joueurs de flair défirent leurs positions, il y en eut même qui, d'acheteurs, eurent le temps de se mettre vendeurs.

On alla se coucher dans un malaise de fièvre, comme à la veille des grands désastres.

Le lendemain, le temps fut exécrable.

Il avait plu toute la nuit, une petite pluie glaciale noyait la ville, changée par le dégel en un cloaque de boue, jaune et liquide.

La Bourse, dès midi et demi, damait dans ce ruissellement.

Réfugiée sous le péristyle et dans la salle, la foule était énorme ; et la salle, bientôt, avec les parapluies mouillés qui s'égouttaient, se trouva changée en une immense flaque d'eau bourbeuse.

La crasse noire des murs suintait, il ne tombait du toit vitré qu'un jour bas et roussâtre, d'une désespérée mélancolie.

Au milieu des mauvais bruits qui couraient, des histoires extraordinaires détraquant les têtes, tous les regards, dès l'entrée, cherchaient Saccard, le dévisageaient.

Il était à son poste, debout, près du pilier accoutumé ; et il avait l'air des autres jours, des jours triomphants, son air de gaieté brave et d'absolue confiance.

Il n'ignorait pas que l'Universelle avait baissé de trois cents francs la veille, à la petite Bourse du soir ; il flairait un danger immense, il s'attendait à un furieux assaut des baissiers ; mais son plan de bataille lui semblait inattaquable, le mouvement tournant de Daigremont, l'arrivée imprévue d'une armée fraîche de millions devait tout emporter et lui assurer une fois de plus la victoire.

Lui, désormais, se trouvait sans ressources ; les caisses de l'Universelle étaient vides, il en avait gratté jusqu'aux centimes ; et il ne désespérait pourtant pas, il s'était fait reporter par Mazaud, il l'avait conquis à un tel point, en lui confiant l'appui du syndicat de Daigremont, que l'agent, sans couverture, venait encore d'accepter des ordres d'achat pour plusieurs millions.

La tactique arrêtée entre eux était de ne pas trop laisser tomber les cours, au début de la Bourse, de les soutenir, de guerroyer, en attendant l'armée de renfort.

L'émotion était si vive, que Massias et Sabatani, renonçant à des ruses inutiles, maintenant que la vraie situation faisait l'objet de tous les commérages, vinrent causer ouvertement avec Saccard, puis coururent porter ses recommandations dernières, l'un à Nathansohn, sous le péristyle, l'autre à Mazaud, encore dans le cabinet des agents de change.

Il était une heure moins dix, et Moser qui arrivait, blême d'une crise de foie, dont la morsure l'avait empêché de fermer l'oeil, la nuit précédente, fit remarquer à Pillerault que tout le monde, ce jour-là était jaune et avait l'air malade.

Pillerault, que l'approche des désastres redressait dans des fanfaronnades de chevalier errant, partit d'un éclat de rire.

" Mais c'est vous, mon cher, qui avez la colique.

Tout le monde est très gai.

Nous allons nous flanquer une de ces tripotées dont on se souvient longtemps.

" La vérité était que, dans l'anxiété générale, la salle restait morue, sous le jour roussâtre, et cela se sentait surtout au grondement affaibli des voix.

Ce n'était plus l'éclat tumultueux des grands jours de hausse, l'agitation, le vacarme d'une marée, débordant de toutes parts en conquérante.

On ne courait plus, on ne criait plus, on se glissait, on parlait bas, comme dans la maison d'un malade.

Bien que la foule fût considérable, et que l'on s'étouffât pour circuler, un murmure seulement s'élevait, navré, le chuchotement des craintes qui couraient, des nouvelles déplorables qu'on échangeait à l'oreille.

Beaucoup se taisaient, livides, la face contractée, avec des yeux élargis, qui interrogeaient désespérément les autres visages.

" Salmon, vous ne dites rien ? demanda Pillerault, plein d'une ironie agressive.

\24 Parbleu ! murmura Moser, il est comme les autres, il n'a rien à dire, il a peur.

" En effet, ce jour-là, les silences de Salmon n'inquiétaient plus personne, dans l'attente profonde et muette de tous.

Mais c'était autour de Saccard que se pressait surtout un flot de clients, frémissants d'incertitude, avides d'une bonne parole.

On remarqua plus tard que Daigremont ne s'était pas montré, pas plus que le député Huret, averti sans doute, redevenu le chien fidèle de Rougon.

Kolb, au milieu d'un groupe de banquiers, affectait L'Argent X 182. »

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