L'Argent Vendre, pourquoi ?
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
joueurs de flair défirent leurs positions, il y en eut même qui, d'acheteurs, eurent le temps de se mettre
vendeurs.
On alla se coucher dans un malaise de fièvre, comme à la veille des grands désastres.
Le lendemain, le temps fut exécrable.
Il avait plu toute la nuit, une petite pluie glaciale noyait la ville,
changée par le dégel en un cloaque de boue, jaune et liquide.
La Bourse, dès midi et demi, damait dans ce
ruissellement.
Réfugiée sous le péristyle et dans la salle, la foule était énorme ; et la salle, bientôt, avec les
parapluies mouillés qui s'égouttaient, se trouva changée en une immense flaque d'eau bourbeuse.
La crasse
noire des murs suintait, il ne tombait du toit vitré qu'un jour bas et roussâtre, d'une désespérée mélancolie.
Au milieu des mauvais bruits qui couraient, des histoires extraordinaires détraquant les têtes, tous les regards,
dès l'entrée, cherchaient Saccard, le dévisageaient.
Il était à son poste, debout, près du pilier accoutumé ; et il
avait l'air des autres jours, des jours triomphants, son air de gaieté brave et d'absolue confiance.
Il n'ignorait
pas que l'Universelle avait baissé de trois cents francs la veille, à la petite Bourse du soir ; il flairait un danger
immense, il s'attendait à un furieux assaut des baissiers ; mais son plan de bataille lui semblait inattaquable, le
mouvement tournant de Daigremont, l'arrivée imprévue d'une armée fraîche de millions devait tout emporter
et lui assurer une fois de plus la victoire.
Lui, désormais, se trouvait sans ressources ; les caisses de
l'Universelle étaient vides, il en avait gratté jusqu'aux centimes ; et il ne désespérait pourtant pas, il s'était fait
reporter par Mazaud, il l'avait conquis à un tel point, en lui confiant l'appui du syndicat de Daigremont, que
l'agent, sans couverture, venait encore d'accepter des ordres d'achat pour plusieurs millions.
La tactique
arrêtée entre eux était de ne pas trop laisser tomber les cours, au début de la Bourse, de les soutenir, de
guerroyer, en attendant l'armée de renfort.
L'émotion était si vive, que Massias et Sabatani, renonçant à des
ruses inutiles, maintenant que la vraie situation faisait l'objet de tous les commérages, vinrent causer
ouvertement avec Saccard, puis coururent porter ses recommandations dernières, l'un à Nathansohn, sous le
péristyle, l'autre à Mazaud, encore dans le cabinet des agents de change.
Il était une heure moins dix, et Moser qui arrivait, blême d'une crise de foie, dont la morsure l'avait empêché
de fermer l'oeil, la nuit précédente, fit remarquer à Pillerault que tout le monde, ce jour-là était jaune et avait
l'air malade.
Pillerault, que l'approche des désastres redressait dans des fanfaronnades de chevalier errant,
partit d'un éclat de rire.
" Mais c'est vous, mon cher, qui avez la colique.
Tout le monde est très gai.
Nous allons nous flanquer une de
ces tripotées dont on se souvient longtemps.
"
La vérité était que, dans l'anxiété générale, la salle restait morue, sous le jour roussâtre, et cela se sentait
surtout au grondement affaibli des voix.
Ce n'était plus l'éclat tumultueux des grands jours de hausse,
l'agitation, le vacarme d'une marée, débordant de toutes parts en conquérante.
On ne courait plus, on ne criait
plus, on se glissait, on parlait bas, comme dans la maison d'un malade.
Bien que la foule fût considérable, et
que l'on s'étouffât pour circuler, un murmure seulement s'élevait, navré, le chuchotement des craintes qui
couraient, des nouvelles déplorables qu'on échangeait à l'oreille.
Beaucoup se taisaient, livides, la face
contractée, avec des yeux élargis, qui interrogeaient désespérément les autres visages.
" Salmon, vous ne dites rien ? demanda Pillerault, plein d'une ironie agressive.
\24 Parbleu ! murmura Moser, il est comme les autres, il n'a rien à dire, il a peur.
"
En effet, ce jour-là, les silences de Salmon n'inquiétaient plus personne, dans l'attente profonde et muette de
tous.
Mais c'était autour de Saccard que se pressait surtout un flot de clients, frémissants d'incertitude, avides d'une
bonne parole.
On remarqua plus tard que Daigremont ne s'était pas montré, pas plus que le député Huret,
averti sans doute, redevenu le chien fidèle de Rougon.
Kolb, au milieu d'un groupe de banquiers, affectait L'Argent
X 182.
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