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(L'auteur vient de montrer que le livre n'est aujourd'hui qu'un moyen entre autres de conserver la parole et qu'il tend à devenir un simple objet de consommation vite périmé.)

Publié le 23/04/2011

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   « Finie la dernière page, le livre ne serait bon qu'à jeter ; ce papier, cette encre qui restent, des épluchures. Tout cela pour provoquer l'achat d'un autre livre qu'on espère aussi vite expédié.    « Telle est la pente sur laquelle risque de glisser aujourd'hui le commerçant du livre, danger si pressant qu'on a pu voir dans ces dernières années un éditeur fort connu édicter pour sa maison la règle suivante : tout ouvrage qui n'était point épuisé dans l'année serait inéluctablement pilonné (1) tel un marchand de colifichets ne voulant pas s'encombrer d'articles périmés. Les plus intelligents et les plus courageux de ses aides avaient beau lui remontrer qu'il y avait là, quant au livre, quelque sottise, qu'une telle sévérité à l'égard de sa propre production était sans doute justifiée pour la plupart des petits romans qu'il avait proposés aux prix de fin d'année, mais que les essais, par exemple, en particulier lorsqu'ils étaient traduits d'une langue étrangère, avaient besoin d'un certain temps pour atteindre lentement mais sûrement leur public, il ne voulait rien entendre, proclamant que telles étaient les règles actuelles de l'industrie. Qu'on est loin, on le voit, du scripta marient (2).    « Il faut reconnaître en effet qu'une immense partie du commerce actuel de la librairie roule sur des objets de consommation ultra-rapide : les journaux quotidiens, périmés dès la parution du numéro suivant. L'habitude d'écrire pour ces feuilles amène presque fatalement à encourager les livres que l'on n'a pas besoin de relire, que l'on absorbe d'un seul coup, qui se lisent vite, se jugent vite, s'oublient vite. Mais il est évident qu'alors le livre comme tel est condamné à disparaître au profit des magazines illustrés, et surtout des magazines radiodiffusés ou télévisés. L'éditeur incapable de considérer son métier comme autre chose qu'une branche du journalisme coupe la branche sur laquelle il est assis. Si cette histoire n'a vraiment pas besoin d'être relue, s'il est absolument inutile de revenir en arrière, pourquoi ne pas l'écouter par l'intermédiaire d'un transistor, d'un magnétophone ou d'un pick-up, joliment dite par un acteur au goût du jour qui restituera à tous les mots leur intonation ?    « C'est évidemment le développement dé cette concurrence au livre qui nous oblige à repenser celui-ci sous tous ses aspects. C'est elle en fait qui le débarrassera de tous les malentendus qui l'encombrent encore, qui lui rendra sa dignité de monument (3), et remettra au premier plan tous les aspects que la poursuite forcenée d'une rapidité de consommation de plus en plus grande avait fait passer sous silence.    « Le journal, la radio, la télévision, le cinéma vont obliger le livre à devenir de plus en plus « beau « (4), de plus en plus dense. De l'objet de consommation au sens le plus trivial du terme, on passe à l'objet d'étude et de contemplation, qui nourrit sans se consumer, qui transforme la façon dont nous connaissons et nous habitons l'univers.    « Rien n'est plus remarquable à cet égard que l'actuelle évolution du livre à bon marché ou livre de poche : la proportion des classiques et des essais y est de plus en plus grande, en France comme dans tous les autres pays. Il se constitue ainsi peu à peu une sorte d'énorme bibliothèque publique, dont la consultation, l'usage est à la portée d'une clientèle incomparablement plus grande que celle des établissements anciens. On aurait traité de doux rêveur celui qui aurait dit avant la guerre qu'on trouverait vingt-cinq ans plus tard le Discours de la Méthode ou les Confessions de saint Augustin dans toutes les librairies des gares. «    Michel Butor, Essais sur le roman, le livre comme objet.    Le candidat doit résumer ou analyser le texte ci-dessus (le choix sera précisé dans la marge). Dans un second temps, il choisira un thème auquel il attache un intérêt particulier. Il le commentera à son gré sous la forme d'un exposé cohérent et clair.    (1) Pilonné : détruit au pilon.    (2) Scripta marient : allusion au proverbe latin « Les paroles s'envolent, lès écrits demeurent «.    (3) Monument : au sens de « œuvre durable «.    (4) Beau : il ne s'agit pas de la beauté matérielle du livre, mais de la qualité de son contenu.   

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