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Le Corricolo C'etait un conseil d'avocat: aussi venait-il de Ciceron.

Publié le 11/04/2014

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ciceron
Le Corricolo C'etait un conseil d'avocat: aussi venait-il de Ciceron. On perdait ainsi a la fois Antoine et Octave: Antoine, en mettant a jour toutes ses turpitudes; Octave, en l'envoyant au secours d'un des meurtriers de son pere. Mais patience, Octave ne s'appelle plus Octave: un decret du senat l'a autorise a s'appeler Cesar. Laissons donc de cote l'enfant, voila l'homme qui commence. Les deux armees se rencontrent: Antoine est vaincu; les deux consuls, Hirtius et Pansa, sont tues dans la melee, on ne sait par qui: seulement, comme une simple blessure pourrait n'etre pas mortelle et qu'il faut qu'ils meurent, ils ont ete frappes tous deux par des glaives empoisonnes. Cesar seul est sain et sauf: Cesar est trop souffrant pour se battre, Cesar est reste sous sa tente tandis que l'on se battait. C'est, au reste, ce qu'il fera a Philippes et a Actium: pendant toutes les victoires qu'il remportera il dormira ou sera malade. N'importe! Antoine est en fuite, les consuls sont morts et Cesar est a la tete d'une armee. Pendant ce temps, Ciceron a son tour regne a Rome; il succede a Antoine comme Antoine a succede a Cesar. Le senat a besoin d'etre gouverne; peu lui importe que ce soit par un grand politique, ou par un soldat grossier, ou par un habile avocat. Le senat croit que c'est le moment de mettre en pratique le jeu de mots de Ciceron: il n'a plus besoin de cet enfant. C'est ainsi que le senat traite maintenant Octave, et il lui refuse le consulat. Mais, comme nous l'avons dit, l'enfant s'est fait homme, Octave est devenu Cesar. Attendez. Au moment ou Antoine traverse les Alpes en fuyant, et ou Lepide, qui commande dans la Gaule, accourt au devant de lui, un envoye de Cesar arrive, qui offre a Antoine l'amitie de Cesar. Antoine accepte en reservant les droits de Lepide. Le lieu fixe pour la conference fut une petite ile du Reno, situee pres de Bologne, ainsi que firent plus tard a Tilsitt Napoleon et Alexandre. Chacun y arriva de son cote: Cesar par la rive droite, Antoine par la rive gauche. Trois cents hommes de garde furent laisses a chaque tete de pont. Lepide avait d'avance visite l'ile.--En se joignant, Napoleon et Alexandre s'embrasserent; Antoine et Cesar n'en etaient pas la. Antoine fouilla Cesar, Cesar fouilla Antoine, de peur que l'un ou l'autre n'eut une arme cachee. Robert Macaire et Bertrand n'auraient pas fait mieux. Ce dut etre une scene terrible que celle qui se passa entre ces trois hommes, lorsque, apres s'etre partage le monde, chacun reclama le droit de faire perir ses ennemis. Chacun y mit du sien: Lepide ceda la tete de son frere; Antoine, celle de son neveu. Cesar refusa, ou fit semblant de refuser trois jours celle de Ciceron; mais Antoine y tenait, Antoine menacait de tout rompre si on ne la lui accordait. Antoine, brutal et entete, etait capable de le faire comme il le disait; Cesar ne voulut point se brouiller avec lui pour si peu; la mort de Ciceron fut resolue. J'essaierais d'ecrire cette scene si Shakspeare ne l'avait pas ecrite. Trois jours se passerent pendant lesquels on chicana ainsi. Au bout de trois jours la liste des proscrits montait a deux mille trois cents noms: trois cents noms de senateurs, deux mille noms de chevaliers. Alors on redigea une proclamation: Appien nous a laisse cette proclamation traduite en grec. Tous ces preparatifs hostiles, disaient les trumvirs, etaient diriges contre Brutus et Cassius; seulement les trois nouveaux allies, en marchant contre les assassins de Cesar, ne voulaient pas, disaient-ils, laisser d'ennemis derriere eux. III. Le Tombeau de Virgile. 220 Le Corricolo Puis on pensa a reunir encore Antoine et Cesar par une alliance de sang. Les mariages ont de tout temps ete la grande sanction des raccommodemens politiques. Louis XIV epousa une infante d'Espagne; Napoleon epousa Marie-Louise; Cesar epousa une belle-fille d'Antoine, deja fiancee a un autre. Plus tard Antoine epousera une soeur d'Auguste; il est vrai que ce double mariage n'empechera pas la bataille d'Actium. Pendant ce temps, le bruit de la reunion de Cesar, d'Antoine et de Lepide se repand par toute l'Italie; Rome s'emeut, le senat tremble; Ciceron fait des discours auxquels le senat applaudit, mais qui ne le rassurent pas. Les uns proposent de se defendre, les autres proposent de fuir; Ciceron continue de parler sur les chances de la fuite et sur les chances de la defense, mais il ne se decide ni a fuir ni a se defendre; pendant ce temps, les triumvirs entrent dans Rome. Voyez Plutarque, in Cicerone. Ciceron mourut mieux qu'on n'aurait du s'y attendre de la part d'un homme qui avait passe sa vie a avocasser. Il vit qu'il ne pouvait gagner le bateau dans lequel il esperait s'embarquer: il fit arreter sa litiere, defendit a ses esclaves de le defendre, passa la tete par la portiere, tendit la gorge et recut le coup mortel. C'etait pour sa femme qu'Antoine avait demande sa tete; on porta donc cette tete a Fulvie. Fulvie tira une epingle de ses cheveux et lui en perca la langue. Puis on alla clouer cette tete, au dessus de ses deux mains, a la tribune aux harangues. Le lendemain, on apporta une autre tete a Antoine. Antoine la prit; mais il eut beau la tourner et la retourner, il ne la reconnut point. --Cela ne me regarde pas, dit-il, portez cette tete a ma femme. En effet, c'etait la tete d'un homme qui avait refuse de vendre sa maison a Fulvie. Fulvie fit clouer la tete a la porte de la maison. Pendant huit jours on egorgea dans les rues et le sang coula dans les ruisseaux de Rome. Velleius Parterculus ecrit a ce propos quatre lignes qui peignent effroyablement cette effroyable epoque: "II y eut, dit-il, beaucoup de devoument chez les femmes, assez dans les affranchis, quelque peu dans les esclaves, mais aucun dans les fils." Puis il ajoute, avec cette simplicite antique qui fait fremir: "II est vrai que l'espoir d'heriter que chacun venait de concevoir, rendait l'attente difficile." Ce fut le septieme ou le huitieme jour de cette boucherie, que Mecene, voyant Cesar acharne sur son siege de prescripteur, lui fit passer une feuille de ses tablettes avec ces trois mots ecrits au crayon: "Leve-toi, bourreau!" Cesar se leva, car il n'y mettait ni haine, ni acharnement; il proscrivait parce qu'il croyait utile de proscrire. Lorsqu'il recut le petit mot de Mecene, il fit un signe de tete et se leva, Mecene se fit honneur de la clemence de Cesar. Mecene se trompait: Cesar avait son compte, et l'impassible arithmeticien ne demandait rien de plus. Tournons les yeux vers Brutus et Cassius, et voyons ce qu'ils font. Brutus et Cassius sont en Asie, ou ils exigent d'un seul coup le tribut de dix annees; Brutus et Cassius sont a Tarse, qu'ils frappent d'une contribution de quinze cents talens; Brutus et Cassius sont a Rhodes, ou ils font egorger cinquante des principaux citoyens, parce que ceux-ci refusent de payer une contribution impossible. C'est qu'il faut des millions a Brutus et a Cassius pour soutenir l'impopulaire parti qu'ils ont adopte, et pour retenir sous leurs aigles republicaines les vieilles legions royalistes de Cesar. Aussi les cris des peuples qu'il ruine deviennent-ils le remords incessant de Brutus. Ce remords c'est le mauvais genie qui apparait dans ses nuits; c'est le spectre qu'il a vu a Xanthe et qu'il reverra a Philippes. III. Le Tombeau de Virgile. 221
ciceron

« Puis on pensa a reunir encore Antoine et Cesar par une alliance de sang.

Les mariages ont de tout temps ete la grande sanction des raccommodemens politiques.

Louis XIV epousa une infante d'Espagne; Napoleon epousa Marie-Louise; Cesar epousa une belle-fille d'Antoine, deja fiancee a un autre.

Plus tard Antoine epousera une soeur d'Auguste; il est vrai que ce double mariage n'empechera pas la bataille d'Actium. Pendant ce temps, le bruit de la reunion de Cesar, d'Antoine et de Lepide se repand par toute l'Italie; Rome s'emeut, le senat tremble; Ciceron fait des discours auxquels le senat applaudit, mais qui ne le rassurent pas. Les uns proposent de se defendre, les autres proposent de fuir; Ciceron continue de parler sur les chances de la fuite et sur les chances de la defense, mais il ne se decide ni a fuir ni a se defendre; pendant ce temps, les triumvirs entrent dans Rome. Voyez Plutarque, in Cicerone. Ciceron mourut mieux qu'on n'aurait du s'y attendre de la part d'un homme qui avait passe sa vie a avocasser. Il vit qu'il ne pouvait gagner le bateau dans lequel il esperait s'embarquer: il fit arreter sa litiere, defendit a ses esclaves de le defendre, passa la tete par la portiere, tendit la gorge et recut le coup mortel. C'etait pour sa femme qu'Antoine avait demande sa tete; on porta donc cette tete a Fulvie.

Fulvie tira une epingle de ses cheveux et lui en perca la langue.

Puis on alla clouer cette tete, au dessus de ses deux mains, a la tribune aux harangues. Le lendemain, on apporta une autre tete a Antoine.

Antoine la prit; mais il eut beau la tourner et la retourner, il ne la reconnut point.

—Cela ne me regarde pas, dit-il, portez cette tete a ma femme.

En effet, c'etait la tete d'un homme qui avait refuse de vendre sa maison a Fulvie.

Fulvie fit clouer la tete a la porte de la maison. Pendant huit jours on egorgea dans les rues et le sang coula dans les ruisseaux de Rome.

Velleius Parterculus ecrit a ce propos quatre lignes qui peignent effroyablement cette effroyable epoque: “II y eut, dit-il, beaucoup de devoument chez les femmes, assez dans les affranchis, quelque peu dans les esclaves, mais aucun dans les fils.” Puis il ajoute, avec cette simplicite antique qui fait fremir: “II est vrai que l'espoir d'heriter que chacun venait de concevoir, rendait l'attente difficile.” Ce fut le septieme ou le huitieme jour de cette boucherie, que Mecene, voyant Cesar acharne sur son siege de prescripteur, lui fit passer une feuille de ses tablettes avec ces trois mots ecrits au crayon: “Leve-toi, bourreau!” Cesar se leva, car il n'y mettait ni haine, ni acharnement; il proscrivait parce qu'il croyait utile de proscrire. Lorsqu'il recut le petit mot de Mecene, il fit un signe de tete et se leva, Mecene se fit honneur de la clemence de Cesar.

Mecene se trompait: Cesar avait son compte, et l'impassible arithmeticien ne demandait rien de plus. Tournons les yeux vers Brutus et Cassius, et voyons ce qu'ils font. Brutus et Cassius sont en Asie, ou ils exigent d'un seul coup le tribut de dix annees; Brutus et Cassius sont a Tarse, qu'ils frappent d'une contribution de quinze cents talens; Brutus et Cassius sont a Rhodes, ou ils font egorger cinquante des principaux citoyens, parce que ceux-ci refusent de payer une contribution impossible. C'est qu'il faut des millions a Brutus et a Cassius pour soutenir l'impopulaire parti qu'ils ont adopte, et pour retenir sous leurs aigles republicaines les vieilles legions royalistes de Cesar. Aussi les cris des peuples qu'il ruine deviennent-ils le remords incessant de Brutus.

Ce remords c'est le mauvais genie qui apparait dans ses nuits; c'est le spectre qu'il a vu a Xanthe et qu'il reverra a Philippes.

Le Corricolo III.

Le Tombeau de Virgile.

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