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Le Corricolo Le lazzarone est le fils aine de la nature: c'est a lui le soleil qui brille; c'est a lui la mer qui murmure; c'est a lui la creation qui sourit.

Publié le 11/04/2014

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Le Corricolo Le lazzarone est le fils aine de la nature: c'est a lui le soleil qui brille; c'est a lui la mer qui murmure; c'est a lui la creation qui sourit. Les autres hommes ont une maison, les autres hommes ont une villa, les autres hommes ont un palais; le lazzarone, lui, a le monde. Le lazzarone n'a pas de maitre, le lazzarone n'a pas de lois, le lazzarone est en dehors de toutes les exigences sociales: il dort quand il a sommeil, il mange quand il a faim, il boit quand il a soif. Les autres peuples se reposent quand ils sont las de travailler; lui, au contraire, quand il est las de se reposer, il travaille. Il travaille non pas de ce travail du Nord qui plonge eternellement l'homme dans les entrailles de la terre pour en tirer de la houille ou du charbon; qui le courbe sans cesse sur la charrue pour feconder un sol toujours tourmente et toujours rebelle; qui le promene sans relache sur les toits inclines ou sur les murs croulans, d'ou il se precipite et se brise; mais de ce travail joyeux, insouciant, tout brode de chansons et de lazzis, tout interrompu par le rire qui montre ses dents blanches, et par la paresse qui etend ses deux bras; de ce travail qui dure une heure, une demi-heure, dix minutes, un instant, et qui dans cet instant rapporte un salaire plus que suffisant aux besoins de la journee. Quel est ce travail? Dieu seul le sait. Une malle portee du bateau a vapeur a l'hotel, un Anglais conduit du mole a Chiaja, trois poissons echappes du filet qui les emprisonne et vendus a un cuisinier, la main tendue a tout hasard et dans laquelle le forestiere laisse tomber en riant une aumone; voila le travail du lazzarone. Quant a sa nourriture, c'est plus facile a dire: quoique le lazzarone appartienne a l'espece des omnivores, le lazzarone ne mange en general que deux choses: la pizza et le cocomero. On croit que le lazzarone vit de macaroni: c'est une grande erreur qu'il est temps de relever; le macaroni est ne a Naples, il est vrai, mais aujourd'hui le macaroni est un mets europeen qui a voyage comme la civilisation, et qui, comme la civilisation, se trouve fort eloigne de son berceau. D'ailleurs, le macaroni coute deux sous la livre, ce qui ne le rend accessible aux bourses des lazzaroni que les dimanches et les jours de fetes. Tout le reste du temps le lazzarone mange, comme nous l'avons dit, des pizze et du cocomero; du cocomero l'ete, des pizze l'hiver. La pizza est une espece de talmouse comme on en fait a Saint-Denis; elle est de forme ronde et se petrit de la meme pate que le pain. Elle est de differentes largeurs, selon le prix. Une pizza de deux liards suffit a un homme; une pizza de deux sous doit rassasier toute une famille. Au premier abord, la pizza semble un mets simple; apres examen, c'est un mets compose. La pizza est a l'huile, la pizza est au lard, la pizza est au saindoux, la pizza est au fromage, la pizza est aux tomates, la pizza est aux petits poissons; c'est le thermometre gastronomique du marche: elle hausse ou baisse de prix, selon le cours des ingredients sus-designes, selon l'abondance ou la disette de l'annee. Quand la pizza aux poissons est a un demi-grain, c'est que la peche a ete bonne; quand la pizza a l'huile est a un grain, c'est que la recolte a ete mauvaise. Puis une chose influe encore sur le cours de la pizza, c'est son plus ou moins de fraicheur; on comprend qu'on ne peut plus vendre la pizza de la veille le meme prix qu'on vend celle du jour; il y a pour les petites bourses des pizza d'une semaine; celles-la peuvent, sinon agreablement, du moins avantageusement, remplacer le biscuit de mer. Comme nous l'avons dit, la pizza est la nourriture d'hiver. Au 1er mai, la pizza fait place au cocomero; mais la marchandise disparait seule, le marchand reste le meme. Le marchand c'est le Janus antique, avec sa face qui pleure au passe, et sa face qui sourit a l'avenir. Au jour dit, le pizza-jolo se fait mellonaro. IX. Le Lazzarone. 62 Le Corricolo Le changement ne s'etend pas jusqu'a la boutique: la boutique reste la meme. On apporte un panier de cocomeri au lieu d'une corbeille de pizze; on passe une eponge sur les differentes couches d'huile, de lard, de saindoux, de fromage, de tomates ou de poissons, qu'a laissees le comestible d'hiver, et tout est dit, on passe au comestible d'ete. Les beaux cocomeri viennent de Castellamare; ils ont un aspect a la fois joyeux et appetissant: sons leur enveloppe verte, ils offrent une chair dont les pepins nous font encore ressortir le rose vif; mais un bon cocomero coute cher; un cocomero de la grosseur d'un boulet de quatre-vingts coute de cinq a six sous. Il est vrai qu'un cocomero de cette grosseur, sous les mains d'un detailleur adroit, peut se diviser en mille ou douze cents morceaux. Chaque ouverture d'un nouveau cocomero est une representation nouvelle; les concurrents sont en face l'un de l'autre: c'est a qui donnera le coup de couteau le plus adroitement et le plus impartialement. Les spectateurs jugent. Le mellonaro prend le cocomero dans le panier plat, ou il est pose pyramidalement avec une vingtaine d'autres, comme sont poses les boulets dans un arsenal. Il le flaire, il l'eleve au dessus de sa tete, comme un empereur romain le globe du monde. Il crie: "C'est du feu!" ce qui annonce d'avance que la chair sera du plus beau rouge. Il l'ouvre d'un seul coup, et presente les deux hemispheres au public, un de chaque main. Si, au lieu d'etre rouge, la chair du cocomero est jaune ou verdatre, ce qui annonce une qualite inferieure, la piece fait fiasco; le mellonaro est hue, conspue, honni: trois chutes, et un mellonaro est deshonore a tout jamais! Si le marchand s'apercoit, au poids ou au flair, que le cocomero n'est point bon, il se garde de l'avouer. Au contraire, il se presente plus hardiment au peuple; il enumere ses qualites, il vante sa chair savoureuse, il exalte son eau glacee:--Vous voudriez bien manger cette chair! vous voudriez bien boire cette eau! s'ecrie-t-il; mais celui-ci n'est pas pour vous; celui-ci vous passe devant le nez; celui-ci est destine a des convives autrement nobles que vous. Le roi me l'a fait retenir pour la reine. Et il le fait passer de sa droite a sa gauche, au grand ebahissement de la multitude, qui envie le bonheur de la reine et qui admire la galanterie du roi. Mais si, au contraire, le cocomero ouvert est d'une qualite satisfaisante, la foule se precipite, et le detail commence. Quoiqu'il n'y ait pour le cocomero qu'un acheteur, il y a generalement trois consommateurs: d'abord son seul et veritable proprietaire, celui qui paie sa tranche un demi-denier, un denier ou un liard, selon sa grosseur; qui en mange aristocratiquement la meme portion a peu pres que mange d'un cantalou un homme bien eleve, et qui le passe a un ami moins fortune que lui; ensuite l'ami qui le tient de seconde main, qui en tire ce qu'il peut et le passe a son tour au gamin qui attend cette liberalite inferieure; enfin le gamin, qui en grignote l'ecorce, et derriere lequel il est parfaitement inutile de chercher a glaner. Avec le cocomero on mange, on boit et on se lave, a ce qu'assure le marchand; le cocomero contient donc a la fois le necessaire et le superflu. Aussi le mellonaro fait-il le plus grand tort aux aquajoli. Les aquajoli sont les marchands de coco de Naples, a l'exception qu'au lieu d'une execrable decoction de reglisse ils vendent une excellente eau glacee, acidulee par une tranche de citron ou parfumee par trois gouttes de sambuco. Contre toute croyance, c'est l'hiver que les aquajoli font les meilleures affaires. Le cocomero desaltere, tandis que la pizza etouffe; plus on mange de cocomero, moins on a soif; on ne peut pas avaler une pizza sans risquer la suffocation. IX. Le Lazzarone. 63

« Le changement ne s'etend pas jusqu'a la boutique: la boutique reste la meme.

On apporte un panier de cocomeri au lieu d'une corbeille de pizze; on passe une eponge sur les differentes couches d'huile, de lard, de saindoux, de fromage, de tomates ou de poissons, qu'a laissees le comestible d'hiver, et tout est dit, on passe au comestible d'ete. Les beaux cocomeri viennent de Castellamare; ils ont un aspect a la fois joyeux et appetissant: sons leur enveloppe verte, ils offrent une chair dont les pepins nous font encore ressortir le rose vif; mais un bon cocomero coute cher; un cocomero de la grosseur d'un boulet de quatre-vingts coute de cinq a six sous.

Il est vrai qu'un cocomero de cette grosseur, sous les mains d'un detailleur adroit, peut se diviser en mille ou douze cents morceaux. Chaque ouverture d'un nouveau cocomero est une representation nouvelle; les concurrents sont en face l'un de l'autre: c'est a qui donnera le coup de couteau le plus adroitement et le plus impartialement.

Les spectateurs jugent. Le mellonaro prend le cocomero dans le panier plat, ou il est pose pyramidalement avec une vingtaine d'autres, comme sont poses les boulets dans un arsenal.

Il le flaire, il l'eleve au dessus de sa tete, comme un empereur romain le globe du monde.

Il crie: “C'est du feu!” ce qui annonce d'avance que la chair sera du plus beau rouge.

Il l'ouvre d'un seul coup, et presente les deux hemispheres au public, un de chaque main.

Si, au lieu d'etre rouge, la chair du cocomero est jaune ou verdatre, ce qui annonce une qualite inferieure, la piece fait fiasco; le mellonaro est hue, conspue, honni: trois chutes, et un mellonaro est deshonore a tout jamais! Si le marchand s'apercoit, au poids ou au flair, que le cocomero n'est point bon, il se garde de l'avouer.

Au contraire, il se presente plus hardiment au peuple; il enumere ses qualites, il vante sa chair savoureuse, il exalte son eau glacee:—Vous voudriez bien manger cette chair! vous voudriez bien boire cette eau! s'ecrie-t-il; mais celui-ci n'est pas pour vous; celui-ci vous passe devant le nez; celui-ci est destine a des convives autrement nobles que vous.

Le roi me l'a fait retenir pour la reine. Et il le fait passer de sa droite a sa gauche, au grand ebahissement de la multitude, qui envie le bonheur de la reine et qui admire la galanterie du roi. Mais si, au contraire, le cocomero ouvert est d'une qualite satisfaisante, la foule se precipite, et le detail commence. Quoiqu'il n'y ait pour le cocomero qu'un acheteur, il y a generalement trois consommateurs: d'abord son seul et veritable proprietaire, celui qui paie sa tranche un demi-denier, un denier ou un liard, selon sa grosseur; qui en mange aristocratiquement la meme portion a peu pres que mange d'un cantalou un homme bien eleve, et qui le passe a un ami moins fortune que lui; ensuite l'ami qui le tient de seconde main, qui en tire ce qu'il peut et le passe a son tour au gamin qui attend cette liberalite inferieure; enfin le gamin, qui en grignote l'ecorce, et derriere lequel il est parfaitement inutile de chercher a glaner. Avec le cocomero on mange, on boit et on se lave, a ce qu'assure le marchand; le cocomero contient donc a la fois le necessaire et le superflu. Aussi le mellonaro fait-il le plus grand tort aux aquajoli.

Les aquajoli sont les marchands de coco de Naples, a l'exception qu'au lieu d'une execrable decoction de reglisse ils vendent une excellente eau glacee, acidulee par une tranche de citron ou parfumee par trois gouttes de sambuco. Contre toute croyance, c'est l'hiver que les aquajoli font les meilleures affaires.

Le cocomero desaltere, tandis que la pizza etouffe; plus on mange de cocomero, moins on a soif; on ne peut pas avaler une pizza sans risquer la suffocation.

Le Corricolo IX.

Le Lazzarone.

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