« Qu'est-ce qu'il faut au poète? Est-ce une nature brute ou cultivée, paisible ou troublée? Préférera-t-il la beauté d'un jour pur et serein à l'horreur d'une nuit obscure, où le sifflement interrompu des vents se mêle par intervalles au murmure sourd et continu d'un tonnerre éloigné, et où il voit l'éclair allumer le ciel sur sa tête? Préférera-t-il le spectacle d'une mer tranquille à celui des flots agités? le muet et froid aspect d'un palais, à la promenade parmi des ruines? un édifice construit, un espace planté de la main des hommes, au touffu d'une antique forêt, au creux ignoré d'une roche déserte? des nappes d? eau, des bassins, des cascades, à la vue d'une cataracte qui se brise en tombant à travers des rochers, et dont le bruit se fait entendre au loin du berger qui a conduit son troupeau dans la montagne et qui l'écoute avec effroi? » Commentez ce passage de Diderot. Que pensez-vous de son style? Caractérisez les deux sortes de poésie que l'auteur oppose, et recherchez dans quelle mesure elles peuvent correspondre respectivement au classicisme et au romantisme.
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« Qu'est-ce qu'il faut au poète? Est-ce une nature brute ou cultivée, paisible ou troublée? Préférera-t-il la beauté d'un jour pur et serein à l'horreur d'une nuit obscure, où le sifflement interrompu des vents se mêle par intervalles au murmure sourd et continu d'un tonnerre éloigné, et où il voit l'éclair allumer le ciel sur sa tête? Préférera-t-il le spectacle d'une mer tranquille à celui des flots agités? le muet et froid aspect d'un palais, à la promenade parmi des ruines? un édifice construit, un espace planté de la main des hommes, au touffu d'une antique forêt, au creux ignoré d'une roche déserte? des nappes d? eau, des bassins, des cascades, à la vue d'une cataracte qui se brise en tombant à travers des rochers, et dont le bruit se fait entendre au loin du berger qui a conduit son troupeau dans la montagne et qui l'écoute avec effroi? « Commentez ce passage de Diderot. Que pensez-vous de son style? Caractérisez les deux sortes de poésie que l'auteur oppose, et recherchez dans quelle mesure elles peuvent correspondre respectivement au classicisme et au romantisme.
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- J.-J. Rousseau écrit dans sa troisième « Lettre à M. de Malesherbes » : « L'or des genêts et la pourpre des bruyères frappaient mes yeux d'un luxe qui touchait mon coeur; la majesté des arbres qui me couvraient de leur ombre, la délicatesse des arbustes qui m'environnaient, l'étonnante variété des herbes et des fleurs que je foulais sous mes pieds tenaient mon esprit dans une alternative continuelle d'observation et d'admiration : le concours de tant d'objets intéressants qui se disputaient mon attention, m'attirant sans cesse de l'un à l'autre, favorisait mon humeur rêveuse et paresseuse, et me faisait souvent redire en moi-même : « Non, Salomon dans toute sa gloire ne fut jamais vêtu comme l'un d'eux. » Mon imagination ne laissait pas longtemps déserte la terre ainsi parée. Je la peuplais bientôt d'êtres selon mon coeur, et, chassant bien loin l'opinion, les préjugés, toutes les passions factices, je transportais dans les asiles de la nature des hommes dignes de les habiter. » Commentez ce passage en montrant notamment ce qu'il vous apprend sur la sensibilité, l'imagination et l'art de l'auteur.
- Victor Hugo écrit : «La nature procède par contrastes. C'est par les oppositions qu'elle fait saillir les objets. C'est par leurs contraires qu'elle fait sentir les choses, le jour par la nuit, le chaud par le froid, etc.; toute clarté fait ombre. De là le relief, le contour, la proportion, le rapport, la réalité. La création, la vie, le destin, ne sont pour l'homme qu'un immense clair-obscur. Le poète, ce philosophe du concret et ce peintre de l'abstrait, le poète, ce penseur suprême, doit faire comme la nature. Procéder par contrastes. Soit qu'il peigne l'âme humaine, soit qu'il peigne le monde extérieur, il doit opposer partout l'ombre à la lumière, le vrai invisible au réel visible, l'esprit à la matière, la matière à l'esprit; rendre le tout, qui est la création, sensible à la partie, qui est l'homme, aussi bien par le choc brusque des différences que par la rencontre harmonieuse des nuances. Cette confrontation perpétuelle des choses avec leurs contraires, pour la poésie comme pour la création, c'est la vie.» (Extrait de Tas de pierres, in Post-scriptum de ma vie, recueil de notes jetées au hasard par Hugo, de 1825 à 1880, sur des carnets et des bouts de papier et regroupées par son ami Paul Meurice en 1901; le fragment que nous citons date sans doute des années 1840-1844.) En prenant des exemples précis chez les poètes de votre choix, vous direz ce que vous pensez de cette esthétique et de cette technique du contraste.
- Vous analyserez la page suivante, en vous demandant si elle n'illustre pas la doctrine poétique de Paul Valéry : Je passais il y a quelque temps sur le Pont de Londres, et m'arrêtai pour regarder ce que j'aime : le spectacle d'une eau riche et lourde et complexe parée de nappes de nacre, troublée de nuages de fange... Je fus arrêté par les yeux; je m'accoudai contraint comme par un vice. La volupté de voir me tenait, de toute la force d'une soif, fixé à la lumière délicieusement composée, dont je ne pouvais épuiser les richesses. Mais je sentais derrière moi trotter, et s'écouler sans fin tout un peuple invisible d'aveugles éternellement entraînés à l'objet immédiat de leur vie... Je n'ai jamais tant ressenti la solitude, et mêlée d'orgueil et d'angoisse, une perception étrange et obscure de rêver entre la foule et l'eau... Je me trouvais coupable du crime de poésie sur le Pont de Londres. (London-Bridge, Choses tues.)
- Expliquez et discutez ce jugement de Montaigne sur la poésie : « Voici merveille : il y a bien plus de poètes que de juges et interprètes de poésie. Il est plus aisé de la faire que de la connaître. A certaine mesure basse, on peut la juger par les préceptes et par art. Mais la bonne, l'excessive, la divine est au-dessus des règles et de la raison. Quiconque en discerne la beauté d'une vue ferme et rassise, il ne la voit pas, non plus que la splendeur d'un éclair. » (Essais, I, 37.)
- Commentez ces lignes d'André Maurois : «La plupart des écrivains, consciemment ou non, fardent la vie ou la déforment ; les uns parce qu'ils n'osent pas montrer la vanité de tout ce à quoi s'attachent les hommes et eux-mêmes ; les autres parce que leurs propres griefs leur cachent ce qu'il y a, dans le monde, de grandeur et de poésie ; presque tous parce qu'ils n'ont pas la force d'aller au-delà des apparences et de délivrer la beauté captive. Observer ne suffit pas ; il faut pénétrer au-delà de l'objet, au-delà des êtres de chair, jusqu'aux vérités mystérieuses qu'ils cachent. La beauté ressemble à ces princesses des contes, qu'a enfermées dans un donjon quelque redoutable enchanteur. Nous pouvons, sans la trouver, ouvrir à grand-peine mille portes, et la plupart des hommes, sollicités par les ardeurs actives de la jeunesse, se lassent de la rechercher et l'abandonnent. Mais un Proust renonce à tout le reste pour atteindre la prisonnière et un jour, jour de révélation, d'illumination et de certitude, il aura son éblouissement et secrète récompense. «On a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, dit-il, et la seule par où on peut entrer et qu'on aurait cherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir et elle s'ouvre.» (À la Recherche de Marcel Proust, Hachette, 1949, p. 124).