Devoir de Philosophie

Le gorille Vous avez bien fait, me dit Laure, car si vous aviez accepté ce que M.

Publié le 12/04/2014

Extrait du document

Le gorille Vous avez bien fait, me dit Laure, car si vous aviez accepté ce que M. Berwick vous proposait, nous nous serions trouvés désarmés. Il n'aurait plus gardé aucun ménagement vis-à-vis de moi. Ces ménagements, poursuivit Paul, ne devaient pas durer longtemps. Je ne vous raconterai pas par le menu, mes amis, mes rendez-vous avec Mme Berwick. Par eux, je fus tenu au courant de ce qui se passait dans la place. Le banquier n'avait pas obtenu de moi l'aveu de la créance, quoique bien persuadé d'ailleurs que j'étais le créancier, mais il avait appris à compter sur moi pour secourir sa femme dans les cas extrêmes. Avait-il de nouveau besoin d'argent? Cela est probable, d'après l'insistance nouvelle qu'il mît à connaître le nom du bailleur de fonds. Il eut la constance d'exposer à Laure les avantages attachés aux fameuses «parts de propriété» qu'il m'avait offertes. Il persuada même à sa femme qu'il y aurait profit pour elle à accepter de ces parts de propriété, en échange du reçu des 300,000 francs. Je ne fus pas peu surpris d'entendre Mme Berwick me demander si je n'avais pas eu tort de refuser. Tout compte fait, suivant elle, ce mode de remboursement pouvait mieux valoir que le néant. Je la détrompai. Quoi qu'il en soit, Berwick, furieux de trouver sa femme aussi opposée que moi à une liquidation de la dette qui lui permettrait d'en contracter de nouvelles, eut recours au moyen des lâches: il lui donna huit jours pour déclarer le nom du prêteur, puisqu'il tenait à effectuer le remboursement; à défaut de quoi, dans un transport de colère, il lui signifia carrément qu'il la tuerait. Elle prit peur; elle le savait homme à accomplir sa menace, non avec le bruyant éclat d'un assassin vulgaire, mais avec ces précautions abominables qui, sans égarer la justice, donnent au criminel l'espoir de l'impunité. Représentez-vous cette infortunée enfermée vis-à-vis de son bourreau, dans une habitation vaste, mais presque déserte, l'indifférence et l'éloignement de la domesticité, un vide d'un demi-kilomètre entre le château et les maisons du village, et vous comprendrez ce que j'ai éprouvé jours et nuits depuis lors. Or, j'étais avec vous, j'étais ici le surlendemain du jour où j'avais été sur le point de faire réussir l'évasion de Laure, entravée dans son accomplissement par l'apparition soudaine du valet qui garde à vue Mme Berwick. J'étais, dis-je, avec vous, quand un journal, tombant ici, le soir, au milieu de notre causerie, me révéla le subterfuge infâme auquel Berwick avait recours pour forcer mon incognito. Il me prenait à partie, dans un de ces échos à initiales transparentes dont j'étais obligé de reconnaître l'inspirateur, quoiqu'il puisse paraître invraisemblable qu'un mari mette en jeu l'honneur de sa propre femme. Voici, au surplus, l'article en question: «Il n'est bruit, en ce moment, dans les salons de la haute société parisienne, que d'une aventure dont Mme B..., la femme d'un banquier bien connu, aurait été l'héroïne. «M. de B..., dont la récente et subite retraite dans un quartier excentrique a donné lieu, depuis quelque temps, à des suppositions plus ou moins fondées, poursuivait, paraît-il, Mme B... de ses assiduités. De son côté, Mme B... n'était pas insensible, malgré la différence d'âge. «M. de B..., du reste, ancien militaire a encore fort belle prestance, malgré ses cinquante ans. «Toujours est-il que M. B... ayant emmené sa femme dans sa propriété de C..., M. de B... les suivit et, avant hier soir, à la nuit tombante, il tentait d'opérer, de concert avec elle, l'enlèvement de la jeune femme. «Ici commence le côté comique de l'histoire. Un chien dénonça par ses aboiements la présence d'un inconnu à un valet qui se promenait au fond du parc, et celui-ci arriva au saut-de-loup qu'il s'agissait de franchir, juste au moment où la dame allait se laisser choir aux bras de son ravisseur! «Aussitôt alerte, tumulte, scandale, fuite de l'amant et arrivée du mari, qui trouve sa femme en toilette de voyage et prête à lever le pied. On rapporte que M. de B...., qui est marié, avait déjà opéré le sauvetage d'un sac de nuit qui contenait des objets indispensables. Nous tiendrons nos lecteurs au courant de l'aventure, et leur dirons si M. de B... est venu réclamer une récompense en rapportant au château le sac de nuit en XIV 53 Le gorille question.» Que dis-tu de cela, Adrien? fit Mayran en passant à M. de Vermont le journal qu'il venait de lire. J'ai vu ailleurs de semblables ordures, repartit le sceptique; dans certains pays d'Amérique, cela se fait couramment et avec non moins d'effronterie. Cela ne se pratique pas encore avec impunité en France, repartit Paul avec emportement, et malheur à l'auteur, quel qu'il soit, de cette infamie! L'ayant lue, vous vous en souvenez, je levai brusquement la séance et je repartis pour la campagne. Mayran, en sa qualité de général, se montrait d'autant plus froid que les situations étaient plus graves. Il y a ici quelqu'un en mauvaise passe, dit-il, mais qui? La réputation de Mme Berwick, dont on mettra le nom sur l'initiale incriminée. Berwick, qui évidemment ne se bat pas! Le journaliste? Il se retranchera derrière Berwick. Il excipera, comme on dit, de sa bonne foi, et si Paul pourfend le journaliste, le banquier reste debout. Une provocation, dit Adrien, n'atteint donc pas le coupable. Elle met Mme Berwick en cause, et elle n'expose que Paul. Il doit être pourtant possible de forcer Berwick à se battre, et je l'y forcerai, dussé-je le souffleter publiquement et périodiquement. Tu iras en correctionnelle pour voies de fait, lui dit Vermont; et devant les tribunaux le nom de ta pauvre Dulcinée sera livré en pâture aux quolibets. Est-ce là ton but? Non, évidemment. Le général était pensif. Il y a, dit-il, une chose que je n'aperçois pas. Quel intérêt Berwick a-t-il à diffamer sa femme, dans une feuille publique et à provoquer, de la part de l'homme qui s'intéresse à elle, des représailles inévitables? Affaire de chantage, riposta M. de Vermont. Avec le tendre intérêt que notre ami porte à sa fille, il payera, pour faire taire, comme il a payé déjà pour sauver Mme Berwick d'un ignoble guet-apens! On n'a pas tous les jours 300,000 fr. sous la main, ajouta M. de Breuilly avec une ironique tristesse. En attendant, messieurs, continua-t-il avec emportement, les faits se réduisent à ceci: Laure est aux mains d'un assassin, d'un empoisonneur, et Laure est ma fille! Elle n'a de protecteur que moi. Je tuerai le gorille, je tuerai Berwick. Parlons seulement des voies, moyens et armes. Vous serez naturellement mes témoins, et je suis l'offensé. Dieu sait, dit le général, si je respecte tes sentiments, ton anxiété, ta colère. Mais voilà de ces extrémités auquel l'amour nous porte, et que, pour ma part, j'avoue n'avoir jamais connues! Et encore, s'il s'agissait de Charlotte elle-même, qui n'est plus, mais c'est de sa fille qu'il s'agit, et sa fille ne porte pas ton nom! C'est pourtant le seul enfant qui me reste, repartit le comte avec un sanglot dans la gorge; tu n'as pas comme moi, Gustave, perdu les deux autres! J'aimerais mieux pour toi, répliqua Mayran, que tu n'eusses jamais rencontré ni adopté cette enfant-là! Mais revenons à notre sujet: il y a devant nous, comme tu le dis, un gorille qui torture une femme. Une femme qui est ta fille! Il faut tuer le gorille pour la sauver. Eh bien! Nous allons au journal; nous demandons à parler à XIV 54

« question.» \24Que dis-tu de cela, Adrien? fit Mayran en passant à M.

de Vermont le journal qu'il venait de lire. \24J'ai vu ailleurs de semblables ordures, repartit le sceptique; dans certains pays d'Amérique, cela se fait couramment et avec non moins d'effronterie. \24Cela ne se pratique pas encore avec impunité en France, repartit Paul avec emportement, et malheur à l'auteur, quel qu'il soit, de cette infamie! L'ayant lue, vous vous en souvenez, je levai brusquement la séance et je repartis pour la campagne. Mayran, en sa qualité de général, se montrait d'autant plus froid que les situations étaient plus graves. \24Il y a ici quelqu'un en mauvaise passe, dit-il, mais qui? La réputation de Mme Berwick, dont on mettra le nom sur l'initiale incriminée.

Berwick, qui évidemment ne se bat pas! Le journaliste? Il se retranchera derrière Berwick.

Il excipera, comme on dit, de sa bonne foi, et si Paul pourfend le journaliste, le banquier reste debout. \24Une provocation, dit Adrien, n'atteint donc pas le coupable.

Elle met Mme Berwick en cause, et elle n'expose que Paul. \24Il doit être pourtant possible de forcer Berwick à se battre, et je l'y forcerai, dussé-je le souffleter publiquement et périodiquement. \24Tu iras en correctionnelle pour voies de fait, lui dit Vermont; et devant les tribunaux le nom de ta pauvre Dulcinée sera livré en pâture aux quolibets.

Est-ce là ton but? Non, évidemment. Le général était pensif. \24Il y a, dit-il, une chose que je n'aperçois pas.

Quel intérêt Berwick a-t-il à diffamer sa femme, dans une feuille publique et à provoquer, de la part de l'homme qui s'intéresse à elle, des représailles inévitables? \24Affaire de chantage, riposta M.

de Vermont.

Avec le tendre intérêt que notre ami porte à sa fille, il payera, pour faire taire, comme il a payé déjà pour sauver Mme Berwick d'un ignoble guet-apens! \24On n'a pas tous les jours 300,000 fr.

sous la main, ajouta M.

de Breuilly avec une ironique tristesse.

En attendant, messieurs, continua-t-il avec emportement, les faits se réduisent à ceci: Laure est aux mains d'un assassin, d'un empoisonneur, et Laure est ma fille! Elle n'a de protecteur que moi.

Je tuerai le gorille, je tuerai Berwick.

Parlons seulement des voies, moyens et armes.

Vous serez naturellement mes témoins, et je suis l'offensé. \24Dieu sait, dit le général, si je respecte tes sentiments, ton anxiété, ta colère.

Mais voilà de ces extrémités auquel l'amour nous porte, et que, pour ma part, j'avoue n'avoir jamais connues! Et encore, s'il s'agissait de Charlotte elle-même, qui n'est plus, mais c'est de sa fille qu'il s'agit, et sa fille ne porte pas ton nom! \24C'est pourtant le seul enfant qui me reste, repartit le comte avec un sanglot dans la gorge; tu n'as pas comme moi, Gustave, perdu les deux autres! \24J'aimerais mieux pour toi, répliqua Mayran, que tu n'eusses jamais rencontré ni adopté cette enfant-là! Mais revenons à notre sujet: il y a devant nous, comme tu le dis, un gorille qui torture une femme.

Une femme qui est ta fille! Il faut tuer le gorille pour la sauver.

Eh bien! Nous allons au journal; nous demandons à parler à Le gorille XIV 54. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles