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Le Juge arbitre, l'Hospitalier et le Solitaire. La Fontaine

Publié le 12/07/2011

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fontaine

Trois saints également jaloux de leur salut Portés d'un même esprit, tendaient à même but. Ils s'y prirent tous trois par des routes diverses: Tous chemins vont à Rome; ainsi nos concurrents Crurent pouvoir choisir des sentiers différents. L'un touché des soucis, des longueurs, des traverses Qu'en apanage on voit aux procès attachés, S'offrit de les juger sans récompense aucune, Peu soigneux d'établir ici-bas sa fortune. Depuis qu'il est des lois, l'homme, pour ses péchés. Se condamne à plaider la moitié de sa vie. La moitié ! les trois quarts, et bien souvent le tout. Le conciliateur crut qu'il viendrait à bout De guérir cette folle et détestable envie. Le second de nos saints choisit les hôpitaux. Je le loue; et le soin de soulager les maux Est une charité que je préfère aux autres. Les malades d'alors, étant tels que les nôtres, Donnaient de l'exercice au pauvre hospitalier; Chagrins, impatients, et se plaignant sans cesse: "Il a pour tels et tels un soin particulier. Ce sont ses amis.- il nous laisse." Ces plaintes n'étaient rien au prix de l'embarras Où se trouva réduit l'appointeur des débats: Aucun n'était content; la sentence arbitrale A nul des deux ne convenait : Jamais le juge ne tenait A leur gré la balance égale. De semblables discours rebutaient l'appointeur : Il court aux hôpitaux, va voir leur directeur. Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure, Affligés et contraints de quitter ces emplois, Vont conter leur peine au silence des bois. Là, sous d'âpres rochers, près d'une source pure, Lieu respecté des vents, ignoré du soleil, Ils trouvent l'autre saint, lui demandent conseil. « Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même. Qui, mieux que vous, sait vos besoins? Apprendre à se connaître est le premier des soins Qu'impose à tout mortel la majesté suprême. Vous êtes-vous connus dans le monde habité? L'on ne le peut qu'aux lieux pleins de tranquillité: Chercher ailleurs ce bien est erreur extrême. Troublez l'eau: vous y voyez-vous? Agitez celle-ci. — Comment nous verrions-nous? La vase est un épais nuage Qu'aux effets du cristal nous venons d'opposer. — Mes frères, dit le saint, laissez-la reposer, Vous verrez alors votre image. Pour vous mieux contempler demeurez au désert. « Ainsi parla le solitaire. Il fut cru; l'on suivit ce conseil salutaire. Ce n'est pas qu'un emploi ne doive être souffert. Puisqu'on plaide et qu'on meurt, et qu'on devient malade Il faut des médecins, il faut des avocats; Les secours, grâce à Dieu, ne nous manqueront pas: Les honneurs et le gain, tout me le persuade. Cependant on s'oublie en ces communs besoins. O vous, dont le public emporte tous les soins, Magistrats, princes et ministres, Vous que doivent troubler mille accidents sinistres, Que le malheur abat, que le bonheur corrompt, Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne, Si quelque bon moment à ces pensers vous donne, Quelque flatteur vous interrompt. Cette leçon sera la fin de ces ouvrages: Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir ! Je la présente aux rois, je la propose aux sages : Par où saurais-je mieux finir?

L'ensemble. — Fable profondément philosophique, elle se fonde encore sur l'expérience et sur la vie, puisqu'elle nous présente trois personnages désireux de faire le bien, de réaliser l'idéal de perfectionnement qu'ils ont entrevu. Tous trois, dit le poète, prennent des chemins différents, l'un cherche à introduire dans la justice le désintéressement et la conciliation, l'autre va dans les hôpitaux et se met à soigner les malades, le troisième, seul, se retire du monde et se consacre, dans la solitude, à la pensée, à la méditation. Or, tandis que les deux premiers ne recueillent que tristesse, hostilité et déception, leur ami se félicite chaque jour de sa détermination, il explique donc aux deux autres que c'est seulement dans la retraite qu'on atteint le bien idéal, que l'on arrive à se connaître et à comprendre le secret de l'Univers. La Fontaine nous ouvre, par là, l'intimité de son cœur, il nous exprime son sentiment le plus constant : le besoin de silence et de solitude. « l'amour de la retraite «, et aussi «on mépris de l'altruisme, son incompréhension du dévouement, son égoïsme en un mot. 

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