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Le monologue de Figaro (1784). (Le Mariage de Figaro, acte V, sc. VII.)

Publié le 20/06/2011

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figaro

Dans le Mariage de Figaro. Figaro n'est plus seulement un barbier harda et impertinent. Rentré au service du comte Almaviva, il est devenu à la fois un intrigant et un tribun. — Au V° acte de la pièce, sous les marronniers du parc, repasse sa destinée et fait le procès de la société. Ce monologue célèbre peut être considéré, à sa date (1784), comme un réquisitoire du peuple contre les privilégiés.

Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !... Noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier! Qu'avez-vous fait pour tant de bien? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire! Tandis que moi, morbleu! perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes. (Il s'assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarre que ma destinée! fils de je ne sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs moeurs, je m'en dégoûte, et veux courir une carrière honnête; et partout je suis repoussé! J'apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie; et tout le crédit d'un grand seigneur peut à peine me mettre en main une lancette vétérinaire! — Las d'attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou? Je broche une comédie dans les moeurs du sérail; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l'instant, un envoyé... de je ne sais où, se plaint que j'offense dans mes vers la Sublime Porte, la Perse, une partie de la presqu'île de l'Inde, toute l'Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et du Maroc; et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate, en nous disant : chiens de chrétiens — Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant. — Mes joues creusaient; mon terme était échu : je voyais de loin arriver l'affreux recors, la plume fichée dans sa perruque : en frémissant je m'évertue. Il s'élève une question sur la nature des richesses : et comme il n'est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner, n'ayant pas un sol, j'écris sur la valeur de l'argent et sur son produit net ; sitôt je vois, du fond d'un fiacre, baisser pour moi le pont d'un château fort, à l'entrée duquel je laissais l'espérance et la liberté. (Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil! Je lui dirais... que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours; que, sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge, flatteur; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. (Il se rassied.) — Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue, et comme il faut dîner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume et demande à chacun de quoi il est question : on me dit que pendant ma retraite économique, il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s'étend même à celles de la presse; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits, ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j'annonce un écrit périodique, et croyant n'aller sur les brisées d'aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou! je vois s'élever contre moi mille pauvres diables à la feuille; on me supprime ; et me voilà derechef sans emploi! — Le désespoir m'allait saisir; on pense à moi pour une place, mais par malheur j'y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint. Il ne me restait plus qu'à voler; je me fais banquier de pharaon : alors, bonnes gens! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m'ouvrent poliment leur maison, en retenant pour elles les trois quarts du profit. J'aurais bien pu me remonter; je commençais même à comprendre que pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. Pour le coup, je quittai le monde ; et vingt brasses d'eau m'en allaient séparer, lorsqu'un dieu bienfaisant m'appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse et mon cuir anglais; puis, laissant la fumée aux sots qui s'en nourrissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci.

(Le Mariage de Figaro, acte V, sc. VII.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Une violente satire, sous la forme d'un monologue, contre les privilèges de la noblesse et les abus de l'administration française à la veille de la Révolution de 1789. — Quelle situation occupait Figaro auprès du comte Almaviva? Comment vous expliquez-vous qu'un homme puisse parfois parler seul? (songez aux échecs réitérés de Figaro, au sentiment de dépit qu'ils ont fait naître, à l'amertume dont son coeur déborde); Figaro ne se sent-il pas supérieur à sa situation? De qui vous paraît-il être la personnification? Son monologue n'a-t-il pas le caractère d'un réquisitoire? (à préciser) Quel en est le ton général? Quel intérêt en présente la lecture?

II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les différentes parties du monologue? (deux parties, d'inégale étendue : a) Protestation de Figaro contre l'injustice du sort : b) Diversité des professions qu'il a dû exercer: — il a été vétérinaire, — auteur dramatique, — économiste, — journaliste, — banquier de pharaon, — barbier, sa première et aussi sa dernière profession); Quelle opposition est marquée dans la première partie ? Faites sentir toute la force de cette expression : Tandis que moi, morbleu! Figaro avait-il de louables intentions? (... je veux courir une carrière honnête); Pourquoi ne réussit-il ni comme auteur dramatique, ni comme économiste, ni comme journaliste? (parler des entraves apportées aux productions de l'esprit ; la pensée n'était pas libre...) ; Malgré ses multiples déceptions, le ton amer ou ironique de ses propos, Figaro n'est-il pas philosophe? (Voir la fin du monologue.)

III. — Le style; - les expressions. - Montrez la vigueur du style, dans ce monologue (Tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure.... Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours...); L'auteur ne manie-t-il pas supérieurement l'ironie ? (citer quelques passages); Relevez quelques mots de Beaumarchais, qui sont aujourd'hui dans toutes les mémoires (vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus;... il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint); Quel est le sens des expressions suivantes : brocher une comédie, — l'affreux recors, — banquier de pharaon ? Quelle différence y a-t-il, entre le savoir-faire et le savoir ?

IV. — La grammaire. — Quels sont les mots de la même famille que génie ? Indiquez la composition des mots : monologue, attrister, avilir; Distinguez les propositions contenues dans la première phrase; 4° Nature et fonction de chacun des mots suivants : tout cela rend si fier.

Rédaction. - Relevez dans ce monologue les attaques les plus violentes dirigées par Figaro contre les privilégiés. — Ces attaques étaient-elles fondées?   

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